"Pour apaiser la société, il faut d'abord s'interroger sur le lien parent-enfant et prendre le temps"

A l'initiative du département du Calvados, une journée d’étude « Aux livres les bébés ! » était organisée à la comédie de Caen jeudi 17 mars 2022. L'occasion de s'interroger sur le lien parent-enfant, qui se nourrit de moment d'échanges culturels et artistiques. "Tout est une question de temps", explique la spécialiste de la famille, Sophie Marinopoulos.

Sophie Marinopoulos est psychologue-psychanalyste, spécialiste de l’enfance et de la famille, fondatrice des lieux pour les familles Les Pâtes au beurre. Elle défend l'éveil culturel et artistique dès le plus jeune âge, ce qui a d'ailleurs fait l'objet d'un rapport, en 2019, remis au Ministère de la Culture. Interview.

Expliquez-nous en quoi l'éveil culturel et artistique peuvent aider les parents et leurs enfants ?

Sophie Marinopoulos  : C'est un peu un cri d'alarme. En consultation, j'ai remarqué que nos enfants et leurs parents avaient du mal à vivre ensemble. Il y a une difficulté à se comprendre. Les relations parent-enfant se trouvent fragilisées. 

Notre modernité n'a pas su accompagner notre humanité. On peut s'interroger et avoir le courage de se remettre en question. En vouloir toujours plus, consommer toujours plus, vouloir être toujours plus performant, finalement, ça ne nous emmène pas à l'équilibre. Cette société de la vitesse nous amène à rétrécir le temps et en particulier le temps humain. Nos vies sont cadencées, il faut faire tout, trop vite. Les parents n’ont plus le temps. Dès lors, le petit résiste, rechigne, comme pour ralentir ses parents.

La question du temps est fondamentale dans l'affaiblissement de nos liens avec nos enfants. Pour le construire et l'entretenir, il faut prendre le temps de vivre des expériences avec eux.

Sophie Marinopoulos, spécialiste de la famille

Ces expériences peuvent être polysensorielles parce que les bébés écoutent avec tous leurs sens en même temps. Il faut privilégier ce que j'appelle les cultures du ralentissement pour nous obliger à nous poser et à vivre authentiquement une relation. Par exemple, si vous lisez un livre le soir, vous êtes obligés de vous poser, de ralentir et vous savez bien que même si vous sautez une page, un enfant de trois ans vous le dira et vous fera recommencer. Donc au lieu de gagner du temps, vous en perdrez.

A quel âge peut-on commencer cet éveil culturel et artistique que vous appelez de vos vœux ?

En prénatal. On n'a pas besoin d'attendre la naissance pour lire à son enfant car ce sont ces moments qui vont nourrir le lien. C'est déjà prendre soin du bébé, prêt à naître, prendre soin du bébé qu'il sera et prendre soin des premiers liens parent-enfant, donc de la société. 

Quel est, selon vous, l'enjeu ?

L'enjeu, c'est la santé de notre société. C'est la pacification de notre société. Encore plus aujourd'hui qu'hier. Quand nous ne sommes pas des adultes équilibrés, nous n'arrivons pas à vivre ensemble. Cela commence par des incivilités, ça se poursuit par des violences ordinaires. On devient irritable. On ne se supporte pas les uns les autres. On se reconnaît de moins en moins. On quitte ces besoins fondamentaux de vivre avec, alors que les êtres humains ont besoin de vivre ensemble. On commence d'ailleurs notre vie comme ça. Un bébé tout seul, si on ne prend pas soin de lui à sa naissance, il meurt. 

C'est un enjeu de qualité de vie. C'est un enjeu de société. Pour tenir une démocratie, il faut avoir envie de vivre ensemble, de se respecter, de s'écouter.

Sophie Marinopoulos

Et les écrans n'arrangent rien...

Cela fait partie de nos préoccupations majeures. Personnellement, je ne suis pas opposée aux écrans car ils font partie de nos vies. A la condition qu'ils ne provoquent pas la confiscation de notre relation avec nos enfants. L'écran babysitter, c'est en effet un message fort donné à nos enfants, comme "ne bouge pas, "ne fais de bruit", "Ne m'ennuie pas", "J'ai autre chose à faire" etc ...

Ce sont des messages de rupture de liens. Nos enfants les captent bien et nous le rendent au centuple. Ils passent ensuite leur temps à nous réclamer, car ils sont privés de ce dont ils ont besoin.

En revanche, les écrans peuvent servir de médiation. On peut regarder ensemble quelque chose. Des artistes font des capsules de deux, trois minutes magnifiques, très esthétiques. 

Quels conseils donnez-vous aux parents, qui manquent de temps ?

D'abord, l'écran ne doit pas éduquer mon enfant. Je suis son parent, et c'est à moi de lui transmettre les choses importantes de la vie. Je veux voir ce qu'il regarde. Beaucoup de parents font ça très bien. Ils posent des limites. Pas plus de trois minutes.

Ceux qui n'y arrivent pas, ce n'est pas qu'ils ne veulent pas, mais ils sont un peu perdus et ils ont besoin qu'on les guide. En consultation, on les interroge et des parents me disent "j'ai remarqué qu'au bout d'un quart d'heure d'écran, mon enfant s'énerve". C'est intéressant d'observer et de poser ses limites.

Il ne faut pas culpabiliser les parents, mais l'amener à réfléchir sur les effets des écrans sur leurs comportements. Mais encore une fois, il faut du temps pour ça. Mais c'est devenu un luxe.

Sophie Marinopoulos

Qu'entendez-vous par éveil culturel et artistique, quelles activités privilégier ?

C'est très simple. Aller se promener dans un jardin, observer la nature, les bourgeons. On n'est pas obligé d'aller au cinéma. Si vous utilisez le langage et que vous échangez, c'est très bien. Il n'y a pas une manière de faire. L'éveil artistique et culturel, ce n'est pas réservé qu'aux bobos, qui ont de l'argent. Pas du tout. L'important, c'est de vivre une expérience sensible, de prendre le temps de la vivre et c'est ainsi que vous vous sentirez plus apaisé. Les parents le disent eux-mêmes "Il est plus calme aujourd'hui, mais c'est vrai que nous avons passé du temps ensemble. "

C'est vertueux. L'apaisement de la société passe par là. C'est une alchimie qu'on construit tous ensemble. 

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