"Tous les jours, on travaille dans l'incertitude, avec dépit et colère" : cette greffière n'en peut plus

Les greffiers de toute la France se battent depuis le début de l'été pour de meilleures conditions de travail et une reconnaissance de leur dévouement pour la justice. Au tribunal de Caen, Marie Hochard est confrontée se dit "écoeurée" de l'avenir incertain promis à la profession.

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Comme la plupart de ses collègues du tribunal judiciaire de Caen (Calvados), Marie Hochard oscille entre "dépit et forte colère" depuis l'été 2023, face au mépris du garde des sceaux dans le cadre de la réforme de la justice.

Robe noire sur les épaules, cette greffière au service correctionnelle affichait ce mardi 26 septembre 2023 encore une épitoge rouge sous le menton en signe de contestation, lors d'une nouvelle journée "Justice morte" au palais de justice.

"Je déploie une énergie folle, c'est fatigant"

Depuis plusieurs semaines, sa vie professionnelle est rythmée par des grèves, des journées épuisantes de greffe et une mobilisation pour de meilleures conditions de travail qui empiète sur sa vie personnelle, après ses journées de boulot.

"Je suis constamment en contact avec les autres greffiers de Caen et les autres juridictions en France pour qu'on se tienne au courant des négociations et qu'on se coordonne sur des actions. Comme mes collègues, je déploie une énergie folle, c'est fatigant. Mais on continue à se battre pour faire reconnaître notre travail, nos responsabilités et nos compétences à leur juste valeur, en demandant une revalorisation salariale d'environ 300 euros brut par mois", détaille Marie Hochard, qui doit composer depuis plusieurs années avec des conditions de travail qui posent question.

Même le papier manque !

À son bureau au tribunal correctionnel de Caen, les dossiers s'empilent, les renvois d'affaires s'enchaînent. Pire, le papier manque parfois : à tel point qu'elle et ses collègues ont déjà dû rapporter leur propre feuille blanche pour imprimer des documents de justice.

C'est inimaginable. Et on ne parle même pas des logiciels obsolètes, qui ont constamment des bugs. On ne peut pas travailler en toute sérénité parce qu'il faut vérifier constamment s'il ne manque pas des mentions obligatoires qui peuvent causer la nullité d'une décision. Tous les jours, on travaille sans filet, dans une incertitude constante.

Marie Hochard, greffière au service correctionnel du tribunal de Caen

"Je n'ai pas exclu l'option de partir"

Malgré un combat mené depuis plusieurs mois, les greffiers ne se sentent pas écoutés, pas reconnus et se surnomment eux-mêmes les "fantômes de la justice".

Dans la soirée du lundi 25 septembre, la Direction des services judiciaires a mis fin aux négociations de manière unilatérale. "Ils ont retiré la grille qui nous faisait perdre de l'ancienneté dans la profession mais aucune nouvelle grille n'a été présentée. Ils proposent de faire passer, en trois ans, 3 000 greffiers en catégorie A (au lieu de catégorie B actuellement) avec augmentation de salaire. Sans préciser qui serait concerné alors que nous sommes 11 000 greffiers en France. Donc c'est le flou total et ça va créer un climat de frictions entre collègues. On subit une politique du 'diviser pour mieux régner'", détaille Séverine Hournon, greffière au juger de l'exécution.

Dans la profession depuis 2006 et "fixée à Caen depuis 2015", Marie Hochard s'insurge de cette situation.

Je suis écœurée. On n'est pas payé à hauteur du dévouement quotidien que l'on porte pour la justice et de notre rôle essentiel. J'ai des audiences qui commencent à 14h pour se finir parfois à 1h du matin. Si on n'est pas là, l'audience ne peut pas se tenir et les peines ne peuvent pas être mises en exécution.

Marie Hochard, greffière au service correctionnel du tribunal de Caen

Elle avoue s'être interrogée sur son avenir dans la profession. "On a de plus en plus de collègues qui demandent des détachements. À titre personnel, je suis très attachée à mon métier. Je n'ai pas exclu l'option de partir. Mais si je devais le faire, ce serait avec beaucoup de tristesse parce que c'est un beau métier que j'ai choisi et que j'aime", déplore la greffière caennaise.

Mobilisée encore au tribunal correctionnel de Caen avec ses collègues greffiers ce mardi pour réfléchir aux futures actions à mener, Marie Hochard continue d'espérer, même si elle avoue : "très clairement l'avenir est plus que morose et incertain nous concernant".

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