C'était une première dans l’histoire récente du théâtre. Le milliardaire David Barclay avait assigné en justice l'auteur de la pièce, "Deux frères et un lion" pour diffamation et atteinte à la vie privée. Le tribunal civil de Caen vient de débouter l'homme d'affaires écossais.
Ce procès posait une question simple et pour autant fondamentale pour la liberté d'expression : Peut-on s'inspirer de faits réels pour créer ?
Le tribunal de Caen a répondu à cette question par l'affirmative et condamne même sévérement le plaignant, Sir David Barclay, qui va devoir "réparer" et payer les factures :
- 6 000 euros au profit de l'auteur Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre, pour péjudice moral
- 35.000 euros au titre du remboursement des frais de justice
Et pour l'atteinte portée à la liberté de diffusion, David Barclay doit :
- 5000 euros à l'Atelier Théâtre actuel,
- 5000 euros au théâtre de Poche Montparnasse
- 5000 euros à l'association Théâtre Irruptionnel
- 3000 euros pour l'éditeur du texte, l'Avant-scène théâtre
"C'est un jugement remarquable, avec un approche très intellectuelle et psychologique du dossier" s'est réjouit Xavier Morice, l'un des avocats du dramaturge. C'est une humiliation pour le plaignant".
A l'AFP, il ajoute "En condamnant sévèrement David Barclay à des dommages et intérêts, le tribunal a rappelé les grands principes susceptibles de sauvegarder la liberté de création artistique".
David Barclay pourrait faire appel
"Selon toute vraisemblance, David Barclay fera appel", a de son côté indiqué Christophe Bigot l'avocat du milliardaire. "Ce n'est
pas un procès de la censure (...) Un théâtre n'est pas une zone de non droit. David Barclay a des droits fondamentaux", avait-il plaidé lors de l'audience le 13 mai. David Barclay réclamait 100.000 euros.
Explications Erwan de Miniac :
Avec Olivier Morice, l'avocat du dramaturge
Les arguments du tribunal de Caen
Dans son jugement, la présidente du Tribunal défend la liberté d'expression et rappelle même : " La vie de Monsieur David Barclay et de son frère Frederick, ainsi que l'actualité économique ou juridique ont déjà suscité des publications antérieures" (...) citant Le Monde, Lesoir.be, Libération, L'Expansion et Ouest France."La vie extraordinaire ne pouvait qu'inspirer l'auteur "
Elle écrit même : "La vie extraordinaire de monsieur David Barclay et de son frère ne pouvait qu'inspirer l'auteur. L'ascension sociale de ces deux frères, nés d'une famille modeste, devenus milliardaires, anoblis par la reine d'Angleterre et leur action pour éliminer l'application d'une règle de droit féodal (...) Ces faits réels portés à la connaissance du public depuis de nombreuses années constituent une source d'inspiration libre."
"Il n'y a donc pas dans le texte de la pièce de faits révélés inconnus, extraordinaires, intimes ou encore imaginaires susceptibles de constituer une ingérence d'une particulière gravité dans la vie (...) de monsieur David Barclay"
Et la présidente retient même "l'aspect pédagogique de la pièce" avant de conclure "Monsieur David Barclay échoue en effet à démontrer les atteintes à sa vie privée (...) et il est donc débouté de l'intégralité de ses demandes en réparation de ce chef"
La bande annonce du spectacle
Une victoire pour la création théâtrale
Cette pièce "Deux frères et un lion" avait été commandée par la Scène Nationale de Cherbourg pour faire connaître le droit coutumier enseignée par Sophie Poirier, à l'Université de Caen, qui a par ailleurs collaboré à l'écriture.
Le monde du théâtre peut donc souffler, car tous les acteurs de la chaîne était visés : l’auteur de la pièce , Hédi Tillette de Clermont-Tonnerre , l'éditeur du texte, le tourneur du spectacle, en passant par le théâtre de Poche Montparnasse, qui a proposé ce spectacle en 2017.
Le milliardaire était très remonté et réclamait de lourdes sommes de dommages et intérêts, demandant même l'interruption des représentations et l'arrêt de commercialisation de la pièce publiée.