Dans la situation épidémique actuelle, l'organisation de l'élection d'un maire impose le respect d'un certain nombre de règles sanitaires strictes. A Emiéville, petit village de 600 habitants, on a opté pour l'église. Ce qui n'a pas plu à l'évêché.
Tout est parti d'une plaisanterie. Dans le Calvados, les maires d'Emiéville et de Saint-Pair, petites communes d'environs 600 et 250 habitants, doivent résoudre un véritable casse-tête avant de pouvoir véritablement endosser l'écharpe tricolore. Comment organiser leur élection par le conseil municipal en respectant les consignes sanitaires imposées par le gouvernement ? Les deux élus réfléchissent de concert au téléphone quand l'un d'entre eux, Stéphane Amilcar lance, comme une boutade, à son homologue du village voisin : "Tu as une belle église, pourquoi tu ne fais pas ça à l'église". Tout est partie d'une plaisanterie... mais ça n'a pas fait rire l'évêché.
Car très vite, ce qui n'était qu'une blague s'impose aux deux élus comme une évidence. "Notre mairie était trop petite pour accueillir les 15 élus. On avait pensé à la salle polyvalente mais elle est réquisitionnée pour les accueils de jour des enfants des soignants, des gendarmes, des pompiers, des personnesl prioritaires. Si on avait organisé l'élection ici, il aurait fallu tout remettre en état : désinfection avec tout le protocole sanitaire qui va bien, trois fois la serpillère, etc..", raconte Stéphane Amilcar, le maire d'Emiéville. Chez les voisins de Saint-Pair, aucune alternative possible : la commune de 250 habitants n'a pas de salle polyvalente. La messe est dite.
"Je lui ai proposé de faire ça dans le cimetière"
Mais le jour de l'élection, les deux élus se font sonner les cloches. A Emiéville, tout est prêt pour organiser le scrutin dans le respect des règles sanitaires. L'urne trône devant l'assemblée. Et le téléphone de Stéphane Amilcar se met à sonner. "Le sous-préfet, quelqu'un de charmant, me dit qu'il comprend bien la situation mais qu'il ne peut pas me laisser faire ça. Il a longuement essayé de me convaincre, m'a dit que ça allait choquer les gens", raconte le maire d'Emiéville, "Je lui ai dit que je maintenais la réunion. Je lui ai proposé de faire ça dans le cimetière. Je n'ai pas eu de réponse."A quelques kilomètres de là, à Saint-Pair, le téléphone de Mme le maire aussi retentit. "J'ai dû trouver une solution en catastrophe. Il faisait beau alors on a fait ça sur le parking. Il n'y avait que des tréteaux à installer. On m'a donné un accord à demi-mot." indique Patricia Lecomte.
Si les deux élus n'ont pas réagi de la même manière aux injonctions de la préfecture, les vosins n'en sont pas moins sur la même longueur d'onde. Pas question d'une part, de délocaliser l'élection. "C'est symbolique que l'élection soit célébrée dans sa propre commune", souligne la maire de Saint-Pair. "On n'est pas élu à Troarn ou à Cagny", ajoute Stéphane Amilcar, qui s'est assuré, au préalable, que son initative n'incommodait pas certains de ses administrés : "Je me suis dit que ça allait peut-être faire grincer des dents les anciens. Mais ils m'ont tous dit que c'était une super idée. Si les anciens me suivent, ce ne sont pas les jeunes qui ne vont plus à la messe, qui vont râler."
Seulement "deux à trois messes dans l'année"
Les deux maires l'assurent : leurs églises respectives sont rarement utilisées. "Deux à trois messes dans l'année, surtout pour des décès. Les fidèles vont à Troarn ou Argences", affirme Stéphane Amilcar. Des locaux inoccupés donc, mais dont les communes, propriétaires depuis la loi de 1905 sur la séparation de l'église et de l'Etat, doivent assurer l'entretien. "On a un bâtiment qui nous appartient", souligne le maire d'Emiéville, "On paye toutes les charges dessus, les travaux d'aménagement notamment les travaux de réhabilitation . L'accessibilité nous a quand même coûté 10 000 euros l'année dernière. Et c'est un bâtiment qui coûte cher à la collectivité en entretien : il faut quand même faire le ménage régulièrement dedans." Et d'ajouter : "On organise bien des concerts dans les églises."L'exception catholique
L'église catholique aurait pu être propriétaire de ses églises si elle avait accepté, après la promulgation de la loi de 1905, de se constituer en association cultuelle comme les autres religions (judaïsme, protestantisme). La propriété des lieux a été transférée des anciens établissements publics de culte (dissous par la loi) aux communes. Mais ces dernières n'en diposent pas pour autant comme bon leur semble. C'est ce que rappelle un "Guide à l'usage maires et des affectataires pour l'utilisation des lieux cultuels" publié par le ministère de la culture. "Le curé est affectataire de l'église", souligne le père Laurent Berthout, le porte-parole de l'évêché qui s'est ému de l'initative des deux communes auprès de la préfecture. "L'habitude que nous avons quand un maire veut organiser un concert ou une exposition, c'est de travailler avec le curé des lieux."Si le diocèse de Bayeux-Lisieux n'entend pas "entrer dans la polémique" et remercie "tous les élus qui avec dévouement se mettent au service du bien commun de leurs concitoyens", son représentant appelle tout de même au respect d'un "savoir-vivre républicain et démocratique". Le père Laurent Berthout regrette "une absence de dialogue". Stéphane Amilcar le confirme : il n'a pas jugé utile de contacter l'église catholique au préalable. Pas sûr pour autant que les deux parties auraient trouvé un terrain d'entente. "Organiser une élection dans l'église ? C'est une bonne question. En soi, pourquoi pas", indique le porte-parole de l'évêché, "Mais s'il n'y a pas d'autres d'autres solutions. Il aurait fallu épuiser toutes les pistes de secours dans les communes alentours."