Covid-19 : la cellule éthique régionale répond aux interrogations des soignants, des patients et de leurs proches

Plus l'épidémie de Covid-19 gagne du terrain, plus les soignants doivent répondre à une foule de questions à la frontière du médical et de l'éthique. Une cellule éthique de soutien est constituée dans chaque région pour les aider et épauler chacun d'entre nous.

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[Cet article a été publié initialement le 2 avril 2020, lors de la première vague du Covid. A part son titre qui a été modifié, l'article est dans sa forme initiale, sans modification ]

Jeudi 2 avril 2020, un nouveau message est laissé sur la boite vocale de la cellule de soutien éthique de Normandie :

Mon père est mort dans l'EHPAD où il vivait depuis plusieurs années. J'avais un délai de 24 heures* pour le voir. Comme je m'occupe de ma mère qui souffre de la maladie d'Alzheimer, il m'a fallu un peu de temps pour trouver quelqu'un qui pouvait me relayer. Je suis arrivé 36 heures après sa mort, le délai était dépassé, son corps avait déjà été mis en bière, je n'ai pas pu voir mon père, je suis dépité, désemparé.

Des messages comme celui-ci, il en arrive 5 à 6 par jour auxquels le professeur Grégoire Moutel chef du service de médecine légale et droit de la santé du CHU de Caen s'efforce de répondre en 48 heures avec l'équipe pluridisplinaire qu'il dirige.
Un comité de douze personnes : des médecins, des réanimateurs, des psychiatres mais aussi des philosophes, des juristes, des sociologues, des représentants des usagers. Ils travaillent en lien avec les partenaires du territoires (établissements de santé, établissements médico-sociaux, usagers, Agence Régionale de Santé et Espace Régional de Réflexion Ethique que le professeur Moutel préside également). Leurs décisions sont remontées au CCNE, le Comité consultatif national d'éthique dirigé par le professeur Jean-François Delfraissy
 

La loi n'offre pas une réponse sur tout, pour tout le monde

Priorité des patients en réanimation, accès à la chloroquine, suivi des corps des défunts, inhumation, accouchements, confinement des personnes dépendantes... autant de sujets sur lesquels ont travaillé les membres du comité éthique de soutien. 

"Celui qui m'a beaucoup touchée, c'est celui de la liberté d'aller et venir dans les EHPAD. Le fait que des directeurs d'EHPAD puissent décider du confinement en chambre de leurs résidents est inédit, explique Annick Batteur, juriste et spécialiste en Droit privé.

Pour cette ancienne doyenne de la fac de Droit de Caen. "C'est une atteinte disproportionnée à leur liberté. Il faut agir au cas par cas et d'ailleurs le rapport du CCNE, le Comité consultatif national d'éthique va dans ce sens-là. L'état d'urgence sanitaire ne permet pas de réfléchir dans l'urgence sur tout et le comité sert à cela : comprendre l'impact de ces mesures prises en urgence sur la vie des individus et individualiser les mesures, d'avoir du recul, de faire en sorte que chaque décision prise respecte les personnes."

En matière de santé, l'important c'est de ne pas appliquer le droit à la lettre parce que sinon il n'y a plus d'humanité !
Annick Batteur - Juriste

La question du tri des patients

La plupart des questions viennent quand même des soignants. Avec l'afflux d'un nombre croissants de malades à l'hôpital, beaucoup d'entre eux craignent de se retrouver dans l'obligation de sélectionner les patients qui iront en réanimation.
"Beaucoup de Français ne le savent pas, mais cela se faisait déjà avant la crise, explique Grégoire Moutel, tous les patients à un stade critique ne vont pas en réanimation. Il y a malheureusement des personnes pour qui la réanimation ne pourra rien et l'admission dans ce service a toujours été conditionnée à des critères médicaux. On les retrouve dans la loi Léonetti relative à la fin de vie.
 

​​​Ce qui sera compliqué dans cette crise, c'est quand des personnes admissibles en réanimation, ne le seront pas, faute de places. Nous rentrerons dans une logique de tri. Il y a des collègues qui refusent ce mot mais il s'agit bien de cela, du tri, uniquement sur des critères médicaux.
Pr Grégoire Moutel - Président de la cellule éthique normande


Même si cela est difficile à entendre, cette logique s'impose aux praticiens hospitaliers, confrontés à des choix très pragmatiques. Ceux qui ont plus de mal à le mettre en œuvre et à le faire admettre, et ceci est compréhensible, ce sont les médecins coordinateurs des EHPAD (établissements pour personnes âgées dépendantes) ou les médecins traitants qui ont des liens forts avec leurs patients.
 

Les médecins coordinateurs des EHPAD déboussolés

Tous ont reçu un courrier pour s'y préparer. Ils sont invités à remplir une fiche de renseignements pour chaque résident. Cette fiche (qui n'est pas obligatoire et qui ne sera pas utilisée en dehors de l’épidémie de Covid-19) doit permettre d’aider les régulateurs du Samu et les réanimateurs à statuer sur l'état du patient avec des éléments fiables et de prendre ainsi la bonne décision, d'envoyer ou non une équipe qui pourrait être plus utile ailleurs.

Je trouve ça normal qu'un médecin rechigne à remplir un document qui peut se retourner contre son patient.
Pr Grégoire Moutel - Président de la cellule éthique normande

"Mais le SAMU lui, par exemple, aimerait que cette fiche soit généralisée. C'est un outil de dialogue avant tout entre professionnels de santé confrontés à une situation inédite". Dans les EHPAD les médecins connaissent bien leurs patients et certains ont expliqué qu'ils ne rempliraient pas cette fiche. "Cela ne veut pas dire que tous les résidents des EHPAD n'iront pas en réanimation. Cette fiche permet aussi la prise en charge de personnes âgées qui peuvent s'en sortir" souligne Grégoire Moutel. 


L'enjeu démocratique est énorme

Dans ce genre de situations, ce n'est pas le sociologue que l'on sollicite en premier. Pourtant Guillaume Grandazzi fait partie de cette cellule éthique de soutien.

Une éthique de l'urgence, c'est un oxymore. Généralement on ne fait pas de bonnes réflexions éthiques dans l'urgence. Et pourtant c'est ce qu'on doit s'efforcer de faire en aidant les soignants.
Guillaume Grandazzi - sociologue

 
Dans le comité, il est déjà en train de travailler sur l'après, les conséquences sur le lien social, la place du symbolique.
Quelles leçons on va tirer de tout ça ? Si on ne les tire pas, on aura raté quelque chose. L'enjeu démocratique est énorme. Toutes les normes sont un peu bafouées par l'état d'urgence sanitaire, il faudra remettre du débat démocratique derrière tout ça. " 
 



Pour le président de cette cellule de soutien, il y a en fait deux niveaux de débats : le premier c'est la gestion de crise avec des réponses précises envoyées rapidement à ceux qui nous les posent et le deuxième c'est le travail sur la sortie de crise.
"Nous réfléchissons déjà aux mesures de déconfinement, la question du tracking des téléphones, d'une possible discrimination entre les territoires, précise Grégoire Moutel. Et puis nous espérons que nos débats nourriront aussi plus largement les politiques publiques de santé :  par exemple, est-ce que faire vivre une personne âgée dépendante dans 14 m2 est acceptable ? Pourquoi tous les EHPAD n'ont-ils pas un accès vers des espaces extérieurs suffisants pour les résidents ?


L'éthique pour assouplir la loi

La pluridisciplinarité de ce comité est essentielle pour traiter tous ces sujets et Annie Hourcade, professeur de philosophie à l'université de Rouen et chercheuse en éthique appliquée s'en réjouit :"Je n'aime pas mettre la philosophie sur un piédestal. Moi j'essaie, en toute modestie, de fournir des outils aux soignants. Ce sont eux qui sont sur le terrain, en première ligne et mon rôle c'est de ne pas les laisser seuls. Les décisions, ils savent les prendre, mais là c'est tout le temps et pour un nombre sans cesse croissant de personnes. 

La rigidité de la loi ne permet pas d'épouser les aspects particuliers d'une situation donnée. L'éthique doit l'assouplir sans tomber dans l'arbitraire et avec toujours ce souci de justice.
Annie Hourcade - professeur de philosophie



Et Annie Hourcade se félicite que ces cellules éthiques soient régionalisées, "on est face à des cas concrets et il faut donner son avis dans l'urgence alors que les philosophes sont habitués à prendre leur temps. C'est une expérience très intéressante et j'aime l'idée d'être une philosophe dans l'action. C'est ma modeste contribution."


*Depuis la législation s'est durci. Désormais, les familles et les proches ne pourront plus voir le défunt. Un décret publié le 2 avril interdit "les soins de conservations" sur les personnes décédées. En cas de suspicion de Covid-19, "une mise en bière immédiate" doit être effectuée et "la pratique de la toilette mortuaire est proscrite". 

Comment contacter la cellule éthique de soutien?
Vous pouvez contacter le comité au : 06 46 08 05 06 ou envoyer un mail à : pegeault-s@chu-caen.fr
Ce comité régional peut être saisi également par le CCNE, comité consultatif national d’éthique qui fait remonter ses alertes et ses préconisations au Ministère de la santé.
 
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