Des agricultrices organisent des réunions en non-mixité : "On se sent beaucoup moins jugées entre femmes"

Sous la houlette de la Confédération paysanne du Calvados, des exploitantes agricoles se retrouvent en non-mixité trois à quatre fois par an pour évoquer les problèmes qu'elles rencontrent dans leur activité. Un concept parfois décrié qui fait régulièrement polémique. Analyse.

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Trouver sa place lorsqu’on est une femme dans le milieu agricole n’est pas toujours chose aisée. Pour les aider dans ce milieu encore très masculin, la confédération paysanne du Calvados a lancé depuis deux mois des groupes de parole, réservés exclusivement aux femmes.

Laura, Christelle et Emma se sont libéré un créneau dans leur emploi du temps serré pour se retrouver entre elles, mardi 17 décembre 2024. L'exclusion de certaines personnes lors des réunions en non-mixité, ici des hommes, est un concept parfois mal compris, souvent décrié et la plupart du temps polémique.

C'est pourtant un temps privilégié où les femmes peuvent "se donner des conseils, se dépanner" et où elles se sentent libres d'évoquer les sujets qui les touchent de près sans craindre d'être jugées ni interrompues par leurs homologues masculins. D'ailleurs, dans le cas spécifique des groupes de parole d'agricultrices, "il s'agit d'une tradition absolument pas militante à l'origine", explique Anne Schneider.

Des problématiques spécifiques aux femmes

"Les femmes paysannes se regroupaient entre elles parce qu'elles étaient désœuvrées d'abord, par nécessité de sortir de chez elles, puis elles étaient parfois malheureuses dans leur vie et leur ménage", poursuit la maîtresse de conférences en langue et lettres à l'Université de Caen. Ces réunions étaient d'ailleurs soutenues et favorisés par les mouvements catholiques et chrétiens dans les campagnes dans les années 1960.

Mais de quoi peuvent bien parler les femmes dans ces réunions interdites aux hommes ? "Il y a des problématiques vraiment spécifiques aux femmes, on parle beaucoup de charge mentale", évoque pour commencer Laura Marie, cogérante d'une exploitation agricole dans le Calvados avec son conjoint, et mère de famille.

On peut dire aux filles, je galère à mettre la remorque, tu fais comment ? On se sent beaucoup moins jugées dans un groupe de femmes

Laura Marie


Agricultrice

Autre sujet évoqué ce mardi 17 décembre, la difficulté à effectuer des tâches qui demandent beaucoup de force physique. "On peut dire aux filles, je galère à mettre la remorque, tu fais comment ? On se sent beaucoup moins jugées dans un groupe de femmes, on sait que l'une d'entre nous aura vécu la même chose", continue-t-elle.

Les réunions en non-mixité sont aussi l'occasion de parler de l'intime. "Des sujets qui ne pouvaient pas être dits devant les hommes", poursuit la maîtresse de conférences caennaise. Comme ce qui touche au corps, à la sexualité, la contraception ou encore le désir d'élévation sociale, ou pour des cas plus graves, des agressions sexuelles ou de viols.

Posé sur la table devant elles, un guide de prévention et d'actions contre les violences sexistes et sexuelles de la confédération paysanne et de la Fadear présente d'autres arguments. "Parce qu’on est plus créative collectivement lorsqu’on n’est pas sur la défensive" ou encore "parce que cela permet d’avoir des temps où on peut lâcher la posture de femme « forte qui en a » pour juste prendre l’info, le moment".

Le risque du repli communautaire

Alors, qu'est-ce qui crispe les détracteurs du concept ? "Il y a toujours le leurre de se couper d'une vraie mixité et de contredire le principe même d'égalité que l'on veut atteindre", détaille Anne Schneider. À tel point que certains organismes restent frileux sur la mise en place de telles réunions, comme l'Union nationale des étudiants de France sous le feu des critiques en 2021.

Il existe beaucoup de recherches actuelles sur la question, notamment dans le contexte de l'école où la mixité filles et garçons est remise en question. Le concept n'est pas nouveau, on en trouve des traces depuis la Révolution Française, lorsque les femmes évoquaient leur absence de droits civiques entre elles. Le concept n'est d'ailleurs absolument pas réservé aux femmes, il est aujourd'hui décliné pour toutes les discriminations possibles : racisme, homophobie, transphobie, validisme, etc.

Depuis son utilisation par le mouvement américain du Black Power puis par le MLF français, il a pris une tournure très militante. Mais d'autres sont bien plus acceptés : lors d'assemblées générales de syndicats les patrons sont exclus, cela paraît évident car le rapport de force est très établi et visible. Ou encore dans le milieu médical, lors de réunions regroupant des personnes souffrant d'une même addiction.

Cet outil n'est pas envisagé comme une fin en soi, juste un moyen, un espace de parole ponctuel mais constructif de l'identité. Pour la sociologue Christine Delphy c'est "un processus d'auto-émancipation". "Cela permet de leur laisser un endroit privilégié pour qu'elles puissent gagner en confiance et qu'elles se sentent plus légitimes dans le monde agricole ce qui n’est pas toujours le cas", abonde l'une des trois participantes de la réunion Christelle Hie, apicultrice normande.

D'ailleurs, la confédération paysanne du Calvados considère que "les formations techniques en non-mixité choisie sont des temps appréciés" pour que les femmes se sentent plus légitimes dans leur métier. Les réunions en mixité choisie, quels que soient leur sujet et leur public, matérialisent ainsi des espaces de confiance ponctuels permettant de mieux vivre en mixité par la suite.

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