"Depuis ce 8 novembre à 16h48, les femmes travaillent gratuitement", la phrase choc portée par la newsletter Les glorieuses symbolise les inégalités salariales entre hommes et femmes, toujours d'actualité en France en 2024. Décryptage.
Chaque année, l'information fait couler beaucoup d'encre. Depuis ce vendredi 8 novembre 2024, à 16h 48 minutes et 15 secondes, les femmes travaillent gratuitement jusqu'à la fin de l'année. Cette phrase choc, résumée sous le hashtag #8Novembre16h48 sur les réseaux sociaux, est avant tout symbolique.
La newsletter féministe Les Glorieuses, fondée par l'économiste Rebecca Amselem, est à l'origine de ce décompte depuis 2016. Et il ne manque pas de faire réagir les internautes, entre effarement des uns de voir que l'égalité n'est toujours pas atteinte et rejet complet des autres, considérant que les chiffres sont au moins trompeurs, au mieux un vaste complot de féministes qui n'ont visiblement rien de mieux à faire de leur vendredi.
« Votre indépendance économique, disait Gisèle Halimi, est la clé de votre libération. » Pourquoi luttons-nous pour l’égalité salariale ? Parce que l’argent est un outil de liberté. #8Novembre16h48. pic.twitter.com/tKI9ov35WY
— Les Glorieuses, la newsletter féministe (@Les_Glorieuses) November 6, 2024
France 3 a chiné pour vous la crème des réactions typiques de votre oncle, collègue ou ami "pas contre les femmes", mais "qui se pose des questions" sur la réalité des inégalités salariales. Anne-Sarah Bouglé Moalic, docteure en histoire contemporaine de l'Université de Caen et chercheuse associée au laboratoire Histemé, y réagit et propose des pistes de réflexion.
1) "Vous vous plaignez pour rien, aujourd’hui ça n'existe plus les écarts de salaires."
C'est pourtant un fait, vérifiable par plusieurs études européennes, les inégalités salariales sont toujours d'actualité. 13,9% : c'est l'écart de salaires entre les femmes et les hommes en France en 2024, selon des données provenant de l'Insee et d'Eurostat.
Si l'on resserre le faisceau à temps de travail et poste équivalents, l’écart de salaire n'est que de 4 %. Une bonne nouvelle ? "Pas vraiment, car cela fait 4% de différence inexpliquée et qui restent problématiques, tempère Sarah Bouglé Moalic. Ils sont le résultat du simple sexisme, être moins payé parce que vous êtes une femme".
Des lois existent pourtant pour gommer ces discriminations, et un Index d'égalité professionnel existe depuis 2019. Une directive européenne sur la transparence des salaires devra également être mise en place obligatoirement en 2026 pour les entreprises de plus de 100 salariés.
2) "Vous ne savez pas négocier vos salaires, ce n’est pas de notre faute si vous n’avez pas assez d’ambition".
"C'est une bonne façon de remettre le problème sur le dos des femmes !", ironise la docteure en histoire. "Négocier son salaire c'est sortir du rôle qui est typiquement attendu d’une femme et cela peut être extrêmement mal vécu par les employeurs". Pas si simple de faire bouger les lignes, et cette prise de risque peut se retourner contre la personne qui en fait la demande.
D'autres facteurs expliquent les écarts de salaires entre les hommes et les femmes. "Il y a encore énormément de discriminations imposées par la société et une intériorisation des certaines contraintes par les femmes elles-mêmes", analyse Anne-Sarah Bouglé Moalic.
Alors que les femmes sont plus diplômées que les hommes, elles accèdent moins à des postes de direction, mieux payés. "C'est chez les cadres que l'écart est le plus important, entre 7 et 8%", dévoile la chercheuse. Plafond de verre ou plancher collant, les expressions imagées ne manquent pas pour décrire ces phénomènes qui ne découlent pas d'un simple manque d'ambition professionnelle.
3) "Logique que les femmes soient moins payées si elles choisissent d'elles-mêmes de faire du temps partiel ou de prendre des congés maternités."
Cette réflexion part d'une réalité : les femmes sont beaucoup plus nombreuses que les hommes à travailler temps partiel, souvent afin de pouvoir s'occuper des enfants, une tâche encore couramment réservée aux femmes dans les couples.
"Le temps familial repose largement sur le dos des femmes, nous sommes dans une société qui estime toujours que le travail domestique, c'est plus normal qu’il soit fait par des femmes que des hommes. C'est un frein extrêmement intériorisé par les femmes, donc pas il n'est pas évident de le mettre en avant."
Bloemen & Stancanelli démontrent que le temps parental et domestique des hommes varie en fonction du salaire horaire de leur femme (une📈 de 1 % de salaire horaire féminin contribuerait à augmenter le temps domestique et parental des hommes de 0,5 %)
— Insee (@InseeFr) July 17, 2024
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Sans oublier que les interruptions de carrière pendant la grossesse et le temps partiel pèsent sur la retraite. La pension moyenne des droits des retraites des femmes est inférieure de 40% à celles des hommes, selon une étude de la Drees publiée en 2021.
Autre "choix" qui n'en est pas forcément un : celui de la carrière. "On constate une surreprésentation des femmes dans les métiers de service à la personne, qu'on appelle les métiers du care, mal payés malgré leur importance et considérés comme « une simple extension » des « qualités naturelles » des femmes", avance Anne-Sarah Bouglé Moalic.
Retour en force du sexisme
Comment faire bouger les lignes ? Par la législation bien sûr, mais aussi en impliquant les hommes dans la discussion. "Je crois qu'il y a de l'espoir si on arrive à en parler aux hommes, qui eux non plus n’ont pas forcément envie de céder au jeu de la performance masculine toxique, au travail notamment mais aussi à la maison".
D'autant que la docteure en histoire contemporaine observe un retour "très clair" du conservatisme et du sexisme ces dernières années. En toile de fond, la récente réélection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis mais aussi un baromètre récent du Haut-commissariat à l’égalité, qui montre que le sexisme est en hausse chez les jeunes hommes.