ENTRETIEN. "En règle générale, les hommes sont victimes des hommes". Luz matraque la masculinité toxique dans "Testosterror"

Huit ans après l'attentat de Charlie Hebdo et dans un contexte politique tendu, Luz a pu retrouver son public à Rouen, sous haute sécurité. Un moment de partage autour de son nouvel album "Testosterror", une satire efficace où le dessinateur démonte les injonctions masculines. Nous l'avons rencontré.

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Ils n'étaient que cinq à pouvoir le rencontrer, ce vendredi 13 octobre. Cinq grands fans de Luz, clients d'une librairie de Rouen et choisis parce-qu'ils avaient dévoré ses précédents ouvrages. Dix ans après sa dernière séance de dédicaces, dans cette même librairie de Rouen justement, Renald Luzier, "Luz", a pu, enfin, revoir quelques-uns de ses lecteurs et les serrer dans ses bras. Un instant privilégié, rempli d'émotion, qu'il a vécu en toute intimité, et où il a pu présenter sa toute nouvelle bande dessinée, imaginée il y a déjà des années.

Visionnez notre sujet sur la parution de la nouvelle BD de Luz :

"Testosterror" - près de 300 pages percutantes - est un album cynique et drôle, où l'auteur imagine une épidémie, la "rubignole", qui fait chuter le taux de testostérone des hommes, pour leur plus grand désespoir. Au milieu de cette crise sanitaire sans précédents, des figures comiques : Jean-Pat, vendeur de voiture sur une zone industrielle quelque part en France, son fils, qui s'engouffre tête baissée au sein d'un mouvement masculiniste, les Heels Angels, des motardes toutes de rose vêtues, ou encore Champion, un chien atteint de priapisme.

Entretien avec Luz, avant qu'il ne rencontre ses lecteurs

France 3 Normandie : Vous vous apprêtez, enfin, à revoir vos lecteurs. Comment appréhendez-vous la situation ?

Luz : C'est un moment précieux, parce que c'est la première fois depuis dix ans. La situation a été compliquée pour moi. Chaque BD est une amorce de dialogue avec les lecteurs et lectrices. Qui, elle-même, pourra amorcer un dialogue avec un oncle, une tante, un ami... On va enfin pouvoir dialoguer ! Et là, c'est sur un sujet drôle et comique. Si l'émotion nous submerge, nous ne serons pas nourris que par les larmes, nous essaierons de rigoler aussi un petit peu. Je suis impatient et en même temps, j'appréhende : ça m'a sacrément manqué !

Après cette rencontre, vous allez partager avec d'autres lecteurs en visio !

Depuis le Covid, on s'est habitué à aimer les gens. Avec une certaine forme de confinement. Quelque part, le confinement, ça fait très longtemps que je le subis. Je sais que je peux transmettre quelque chose, même par Zoom. Que l'on peut échanger par Zoom. Et que même avec un écran entre nous, l'échange va être précieux.

Parlons de "Testosterror". Qu'avez-vous envie de transmettre avec cette histoire ?

Ce qui m'intéressait avec "Testosterror", c'est le mythe de la virilité. J'ai imaginé un monde frappé d'une épidémie qui ferait baisser le taux de testostérone des hommes de 20%. Je me suis demandé ce que ça donnerait, pour sortir de cette logique qui est que "les hommes sont forcément comme ci ou comme ça, puisqu'ils ont de la testostérone". En leur retirant un petit élément de masculinité, je suis allé chercher ce qu'il restait d'intéressant de la virilité, ce qu'on pouvait en faire dans un scénario humoristique.

Ce sont les hommes qui obligent les hommes à devenir des hommes, et à se draper dans un costume de super-héros. Un costume qui est un peu étriqué pour eux.

Luz

Et puis, j'avais envie de parler de tous les Jean-Pat qui nous entourent ! Ces hommes qui ne sont pas forcément déconstruits, parce qu'ils ne se sont jamais intéressés au féminisme, parce qu'ils ont peur - ce qui est idiot - ou qu'ils pensent que l'égalité hommes-femmes est en leur défaveur.

Les hommes sont possédés par des injonctions depuis des dizaines, des centaines d'années, des millénaires. Et finalement, ce sont les hommes qui obligent les hommes à devenir des hommes, et à se draper dans un costume de super-héros, de type qui retient ses émotions, de mec surpuissant. Un costume qui est un peu étriqué pour eux. Et plutôt étouffant pour la société actuelle.

Champion, ce chien atteint de priapisme, est l'un des personnages les plus insolites ! Que représente-t-il pour vous ?

C'est important d'avoir un chien dans une bande dessinée. J'adore les chiens, ils sont les reflets de l'homme et de l'humanité. Champion est esclave de ses pulsions. La question qu'il soulève, c'est : "est-ce que les hommes le sont aussi ?" L'idée généralisée est que les hommes seraient parfois habités par des pulsions qu'ils n'arriveraient pas à maîtriser. Mais je pense au contraire que l'être humain est fait pour les maîtriser.

Champion est là comme un miroir du mâle Alpha. Au début, il n'en peut plus : il est priapique, il saute sur tout ce qui bouge, tache tout ce qui bouge. Et à un moment donné... Il faut l'aider. On passe par une petite opération, et ça va beaucoup mieux ! Il est beaucoup plus détendu. Il n'a plus de testicules, mais des testimousses, et tout va bien ! Je ne veux pas émasculer les hommes, ça serait idiot. Personne ne pense ça, même les féministes ne pensent pas ça. Par contre, il faut peut-être les aider à réfléchir à la place de leurs pulsions dans leur vie actuelle. Et leur vie actuelle, c'est la vie avec les autres, les hommes, les femmes, le monde entier.

Jean-Pat a 42 ans. Il commence tout juste à s'interroger sur la virilité, en étant frappé par cette maladie. Peut-on entamer un processus de déconstruction à tout âge ? Où en êtes-vous du vôtre ?

Jean-Pat, c'est un puzzle de toutes les masculinités qu'il a rencontrées : son père, son grand-père, ses collègues de bureau, ses fantasmes héroïques. Il est concessionnaire automobile dans une zone d'activité commerciale, mais il pourrait être n'importe où. Des Jean-Pat, on en croise dans nos familles, nos amis, partout. Des hommes qui ne se sont jamais posé la question de muer en adultes responsables. Beaucoup d'hommes sont encore persuadés d'être des gosses. C'est bien d'être un gosse, mais pas quand on a des responsabilités.

J'ai fait un travail sur moi pour éviter d'être un mâle qui emmerde les autres.

Luz

J'ai passé ma vie à être un gosse dans mes dessins. C'est là où j'ai mis toute mon insouciance et ma stupidité. C'est un bon espace. Mais j'ai fait un travail sur moi pour éviter d'être un mâle qui emmerde les autres - ça prend du temps, j'ai 51 ans, je pense que j'y suis peut-être un peu arrivé. Je viens d'une génération qui regardait Benny Hill à la télévision, une génération très genrée, où la télé était faite pour les hommes. Le monde culturel était vu par les hommes et fait pour les hommes. Et de temps en temps, une femme apparaissait dans la pub pour inciter les hommes à consommer.

Le monde a un peu changé mais les hommes n'ont pas tous changé. Le travail sur le féminisme, sur l'égalité hommes-femmes, a été fait par les femmes, pas encore par les hommes. Comme si les hommes se débarrassaient de la charge mentale militante et féministe sur les femmes, une fois de plus.

Les hommes ont tout à gagner en se "déconstruisant" ?

Toutes les injonctions viriles, ce ne sont pas les femmes qui les demandent. Ce sont les hommes qui les demandent aux autres hommes. Nous avons baigné dans un bain de références virilistes : le cinéma d'action, certaines musiques... Il faut que les hommes se fassent un peu violence pour être autocritiques. Je ne comprends pas la génération actuelle d'hommes qui se disent victimes des femmes. Je pense qu'en règle générale, les hommes sont victimes des hommes, qui leur demandent d'être plus performants, plus compétents, et que c'est une compétition intrasexuelle dans laquelle ils se jettent.

Je ne comprends pas la génération actuelle d'hommes qui se disent victimes des femmes.

Luz

Jean-Pat a vécu cette compétition, mais c'est un personnage positif. Ce n'est pas qu'un beauf. Il commence à se libérer des injonctions masculines... Et il se sent bien ! Tout à coup, il ne se sent plus obligé d'avoir le dernier iPhone, de porter une doudoune sans manches, d'avoir une grosse bagnole. Il se sent plus libre !

Dans la BD, vous généralisez volontairement les hommes en les présentant comme des beaufs un brin machos. Il n'y a qu'en grossissant le trait qu'on arrive à faire passer le message ?

Il n'y a que l'ironie qui permettra aux hommes de faire un pas de côté, de regarder le fait qu'un surhomme est une caricature d'homme. C'est plus facile de rester dans la caricature que d'en sortir.

Au début, avant de faire "Testosterror", j'avais prévu de faire une bande dessinée assez sérieuse. J'avais fait une trentaine de pages... Et j'ai tout jeté. Je me suis rendu compte que ce n'était pas terrible, qu'il fallait mettre de l'humour, aller un cran au-dessus dans la caricature pour pouvoir lire la réalité du monde. La satire, plus que la caricature, pour moi, c'est une manière de s'éveiller à la réalité. On fait plus des révolutions culturelles avec le sourire aux lèvres qu'avec les sourcils froncés. Moi, je fais des bouquins pour ça, pour avoir le sourire aux lèvres !

Huit ans après Charlie Hebdo, vous avez choisi de dédicacer cette bande dessinée à Charb. Pour quelle raison ?

Je lui avais promis un jour que je ferais un bouquin sur la masturbation. Quelque part, j'ai fait un bouquin sur les glands ! C'est un album particulièrement ancré dans l'humour. Et l'une des choses qui nous réunissaient, avec Charb, c'était les Simpsons. Je pense qu'il y a quelque chose des Simpsons dans "Testosterror", qu'il y a quelque chose de notre amour commun pour la satire, la satire familiale. Avec ce truc en plus qu'à la fin du livre, quelque chose de positif ressort de tout ça.

Je pense que le souvenir de Charb, le souvenir de ce que l'on a vécu ensemble, le souvenir de ce que l'on a fait ensemble, des conneries qu'on a faites ensemble, ça a été une espèce de fil rouge dans ce livre. À un moment, je me suis dit "ouais, je dédicace ce livre à Charb... Parce qu’il a toujours été là".

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