Dénoncée par plusieurs ONG pour ses impacts environnementaux, la pêche au chalut de fond, pratiquée en Normandie, est désormais dans le viseur de l'association animaliste L214. Avec une vidéo tournée en Normandie et en Grande-Bretagne, elle dénonce les souffrances infligées aux poissons.
Veau, vache, cochon, couvée. Perrette, partie vendre son lait au marché, en rêvait. L124 en fait son cheval de bataille dénonçant au contraire les conditions d'élevages de ces animaux à grand renfort de vidéos chocs. Mais aujourd'hui, l'association animaliste abandonne la terre ferme pour le milieu marin, un sujet qu'elle maîtrise moins. "C'est la deuxième fois qu'on s'intéresse aux poissons : on avait fait une enquête sur l'aquaculture des truites chez Aqualand, l'un des acteurs majeurs en France, qui se rapproche beaucoup de la problématique de l'élevage intensif, avec des animaux qui sont engraissés dans des bassins bétonnés. Mais sur la pêche en elle-même, c'est la première fois", reconnaît Sébastien Arsac, co-fondateur de l'association et directeur des enquêtes.
La vidéo, rendue publique en toute fin de soirée ce mardi 22 février sur la toile s'intitule "La pêche au chalut : le grand massacre". Elle a été réalisée par "une enquêtrice" de l'association allemande Soko Tierschutz (son slogan : "Les agresseurs d'animaux ne peuvent plus se cacher"), une association avec laquelle L214 entretient des relations depuis plusieurs années et qui s'est aventurée, loin de chez elle, dans les eaux de la Manche. "C'est une asso qui, comme nous, fait des enquêtes dans les élevages, abattoirs, transports. Mais elle est aussi intéressée par la pêche parce que le marché allemand est pas mal approvisionné par les criées françaises ou britanniques. Ça a fait le lien avec un sujet consommation en Allemagne."
Embauchée à bord d'un chalutier normand
Les images ont été tournées dans deux chalutiers, l'un britannique l'autre français. Concernant le second, Sébastien Arsac consent juste à donner son département d'origine, le Calvados. Mais un arrêt sur image dans la vidéo publiée ce mardi soir permet très clairement d'identifier des bacs en plastique estampillés "Criée de Port-en-Bessin". "La réalisation de cette vidéo n'a pas été facile", raconte le directeur des enquêtes de L214, "Pour le chalutier français c'est une campagne de pêche de cinq jours, donc il faut embarquer pendant cinq jours. Les conditions sont évidemment extrêmement compliquées. Elle a réussi à se faire embaucher sur le bateau et filmer à certains moments." Pour préserver l'anonymat de l'enquêtrice, notre interlocuteur n'en dira pas plus mais se félicite : "c'est un monde fermé, ces images sont rares, et on voit pas souvent ce qui se passe sur les bateaux habituellement." Les reportages sur les bateaux de pêche ne sont pourtant pas denrée rare à la télévision française. L214 ambitionne sans doute d'apporter un regard neuf sur le sujet.
Le sujet, justement, c'est celui de la pêche au chalut de fond, dénoncée depuis de plusieurs années par des scientifiques et des ONG. Des navires, surnommés par certains "bulldozer des océans", trainent dans leur sillage de larges filets de plusieurs dizaines de mètres de long comme de large et râclent les fonds marins. Ils s'accapareraient plus d'un quart des produits de la mer pêchés chaque année dans le monde. Outre son caractère industriel qui nuit à la pêche artisanale et à la ressource, ces détracteurs pointent également les rejets de carbone engendrés par le raclement des fonds et les quantités de gasoil nécessaire pour faire fonctionner ces bateaux.
Une pétition pour l'interdiction du chalutage de fond
En 2006, l'ONU a demandé que cette pratique soit encadrée pour préserver les fonds marins. En 2016, Bloom et d'autres ONG ont obtenu une première victoire avec l'interdiction de cette pêche en eaux profondes à plus de 800 mètres au sein de l'Union européenne. Récemment, les organisations environnementales sont revenues à la charge. Au printemps prochain, l'Union européenne doit présenter son "plan d'action sur les milieux marins" dans le cadre de sa Stratégie de protection de la biodiversité à l'horizon 2030. Une pétition lancée par Oceana et d'autres ONG réclament l'interdiction du chalutage de fond, la technique de pêche "la plus néfaste à l’environnement et au climat", dans les aires marines protégées. Cet appel a recueilli plus de 150 000 signatures et a été récemment remis à Virginijus Sinkevicius, commissaire européen à l'environnement.
"On connait les dégâts sur l'environnement, sur les fonds marins - c'est quelque chose qu'on précise aussi- mais il y a aussi la question de la sensibilité des animaux", indique Sébastien Arsac de L214. Et c'est sur ce point précis que s'appesantit la vidéo publiée ce mardi soir sur la toile. Les deux associations y dénoncent "des situations qui sont extrêmement pénibles voire du supplice" : des poissons écrasés sous le poids de milliers de leurs congénères dans les filets, l'asphyxie qui "peut durer de 25 minutes jusqu'à 4 heures", des animaux "régulièrement piétinés" avant d'être rejetés en mer quand ils n'ont pas de valeur commerciale (une pratique partiellement interdite dans l'Union européenne) ou "des araignées de mer qui sont mutilées : on leur arrache à vif les pinces et les corps sont rejetés à l'eau".
Pour faire passer leur message, L214 et Soko Tierschutz s'appuient sur l'interview de la chercheuse britannique Lynne Sneddon qui travaille aujourd'hui à l'université de Göteborg, en Suède. "C'est une experte mondiale de la biologie des animaux marins. Elle a découvert où se trouvait les récepteur de la douleur chez les poissons, les nocicepteurs. C'est elle qui les amis en évidence", affirme Sébastien Arsac. Le sujet a longtemps fait débat au sein de la communauté scientifique et même chez les plus ardents défenseurs de la cause animale.
Les poissons peuvent ils avoir mal ?
En 2003, une étude menée par des chercheurs de l'université de Cambridge a révélé que des truites, dont les lèvres avaient été enduites d'acide, ressentaient la douleur. Des conclusions remises en cause quelques année plus tard par des scientifiques américains estimant que les réactions des poissons relevaient plus du réflexe. "Il ne fait aucun doute que les poissons sont des animaux sensibles et perçoivent la douleur, il demeure encore quelques publications (assez anciennes) qui n’adhèrent pas à cette notion mais désormais il n'y a pas de débat dans la communauté", nous indique Marie-Laure Bégout, chercheure en physiologie à l’Ifremer de Palavas et de Sète, experte auprès du centre national de référence "bien-être animal", "Les débats sont sur le niveau d'intégration de la nociception : le poisson a mal (ressent la douleur) mais ne sait pas forcément dans quelle partie du corps." En 2014, en Suisse, la Commission fédérale d’éthique pour la biotechnologie dans le domaine non humain (CENH), s'appuyant sur la littérature scientifique, a rendu un rapport reconnaissant la souffrance des poissons et appelant à des pratiques plus respectables à leur égard. Quatre ans plus tard, nos voisins helvètes ont interdit la pratique consistant à plonger un homard dans l'eau bouillante sans l'avoir préalablement assommé.
"On dit souvent que l'empathie avec les poissons est plus compliquée, on a plus de mal parce qu'ils n'ont pas forcément d'expressions faciales", reconnaît Sébastien Arsac de l'association L214, qui veut pourtant croire que ces images auront un impact au sein du grand public. "Quand on montre des images de poulets ou de poules pondeuses, on se dit que ça va moins toucher le public que les images d'un veau ou d'une vache qui se fait égorger dans un abattoir. Mais à chaque fois, on se rend compte que les gens sont beaucoup plus touchés que ce qu'on imagine parce qu'ils reconnaissent, dans les comportements de ces animaux, les émotions qu'ils ont eux-mêmes. Ce crabe qui se fait piétiner et broyer ou ce poisson qui, à travers les mailles du filet, cherche à respirer, je pense que ce sont des image qui sont vraiment très fortes."
A en juger notre page facebook et la page youtube de la vidéo ce mercredi matin, la dernière enquête de L214 suscite peu de réactions, en tous cas moins virulentes que certaines images tournées précédemment par l'association dans des abattoirs ou des élevages industriels. "Ce que je vois sur les images, c'est du poisson extrêmement frais qui est bien lavé, bien soigné, bien travaillé par les marins", commente Dimitri Rogoff, président du comité régional des pêches.
Des "pêcheurs-cueilleurs" normands mécontents
Pour autant, la dernière réalisation de L214 hérisse quelque peu le poil du porte-parole des pêcheurs normands. "Faire un amalgame entre des images dans des abattoirs, des élevages industriels où on choisit évidemment tout ce qui va pas et la pêche, non." Et ce d'autant plus qu'il estime que la pêche normande est injustement décrite. "On parle de pêche industrielle alors que là, on est loin de la pêche industrielle. On est bien dans une pêche artisanale, traditionnelle telle qu'on l'a dans tous les ports normands. On est dans des pêcheurs-cueilleurs qui vont chercher, comme ils l'ont fait traditionnellement depuis des décennies, du poisson avec des chaluts sur des espèces multispécifiques."
Dans sa dernière vidéo, l'association L214 évoque essentiellement la souffrance des poissons. Un argument qui ne convainc pas le président du comité régional des pêches. "La sensibilité des espèces à sang froid elle est en discussion auprès des scientifiques, elle n'est pas du tout démontrée. Evidemment que le poisson ressent quelque chose mais on n'est pas forcément dans de la douleur", affirme Dimitri Rogoff. "On n'a pas de méthode alternative plus douce pour traiter nos poissons sur le pont. La solution qu'on a c'est de les mettre en cale et de les réfrigérer au plus vite (pour les anesthésier)", plaide le représentant des pêcheurs normands tout en estimant qu'il ne parviendra pas à convaincre ses détracteurs : "A partir du moment où on a des gens qui décident de ne plus manger d'animaux, de ne consommer que des légumes, effectivement ils vont trouver tout le mal à redire de la pêche qui capture des animaux vivants."
Présidentielle : L214 en campagne ?
Avec cette vidéo, L214 lance un appel à l'interdiction de la pêche au chalut de fond. D'autres vidéos seront dévoilées tout au long de la semaine mais seront consacrées à des sujets plus habituels de l'association : poulets, lapins, canards à foie gras et cochons. "On a voulu cette semaine donner une image un peu différente de celle qui sera donnée la semaine prochaine au salon de l'agriculture. C'est toujours une image positive qui est renvoyée. On sait que les candidats se rendront au salon de l'agriculture. Ce qu'on veut questionner, c'est le modèle d'élevage français, l'élevage intensif", explique Sébastien Arsac. L'association s'est dotée en 2012 d'un "observatoire politique animaux". Comme lors des précédents scrutins, elle compile les propositions des candidats et propose un classement de ces derniers en fonction de leurs affinités avec la cause animale (agit pour les animaux, penche pour les animaux, penche contre les animaux, agit contre les animaux). "La question des animaux monte, elle était peu considérée mais elle commence à prendre une place dans le débat politique, pas assez encore à notre goût, mais on voit que les Français sont intéressés par ça. Les personnalités politiques commencent à s'en rendre compte."