Il faut attendre pour se dire « oui ». Cette année encore, les mariages sont reportés. Des propriétaires de salles de réception et de domaines du Calvados se rassemblent. Ils réclament une date de reprise des événements et dénoncent l’organisation de « mariages clandestins ».
Des applaudissements, des larmes de joie, de la musique, des pas de danse… En temps normal, les salles et jardins du Château de Canon (14) sont pleins de vie. Depuis 14 ans, ce domaine accueille une trentaine de mariages par an. « Mais en 2020, seule la moitié des réceptions a été assurée entre début juillet et fin septembre », constate avec amertume Tiphaine Nisse, gestionnaire des lieux depuis quatre ans.
Le scénario semble se répéter cette année. La saison commence habituellement en avril, mais le château du XVIIIe siècle n'a toujours pas vu défiler de mariées en robes blanches et de demoiselles d'honneur. Des couples sont contraints de reporter ou d’annuler ce qui devait être le plus beau jour de leur vie.
Les propriétaires de salles de réception se réunissent pour se faire entendre
« L'organisation d'un bel événement devient aujourd’hui un calvaire », lance Adrien Legrand, propriétaire du Château d’Hermival près de Lisieux (14). Une petite trentaine de propriétaires et gestionnaires de salles de réception ou domaines du Calvados tire la sonnette d’alarme et se réunit pour former « un regroupement d’entraide ». Ce mercredi 28 avril 2021, dans le château d’Hermival, ils sont six autour de la table pour faire le point et partager leurs inquiétudes.
Car jusqu’au 31 mai 2021, un arrêté préfectoral interdit l’organisation de « rassemblements festifs dans un établissement recevant du public ou dans tout type de local loué » dans le Calvados. Ces événements sont « susceptibles de conduire au non-respect des règles sanitaires », justifie la préfecture.
Aujourd'hui, nous ne savons même plus si nous allons faire re-graver nos alliances avec la date, puisque celle-ci change à chaque fois. Il en est de même pour toute la papeterie, objets de décoration. Nous ne datons plus rien...
Concurrence déloyale ?
Pourtant, les propriétaires de ces établissements recevant du public (ERP) constatent « l’apparition de plus en plus régulière et importante de rassemblements "clandestins" ». Ils pointent du doigt la possibilité de louer des tentes de réception, permettant l’organisation de mariages.
[Post Amer] Aujourd'hui nous postons une jolie mariée dans une des Chartreuse, avec du jaune pour le bonheur. Mais...
Publiée par Château de Canon Mariage - Séminaire sur Lundi 26 avril 2021
« Nous avons un goût amer », écrit Tiphaine Nisse du Château de Canon, sur Facebook. Depuis le début du mois d’avril, elle reporte des réceptions, parfois pour la troisième fois. « Aujourd'hui, nous ne savons même plus si nous allons faire re-graver nos alliances avec la date, puisque celle-ci change à chaque fois. Il en est de même pour toute la papeterie, objets de décoration. Nous ne datons plus rien...», explique lassée Clémence, qui devait initialement épouser Benjamin le 20 mars 2021. Après deux reports, le mariage est prévu pour le 26 juin prochain au Château de Canon.
Les sociétés de location de matériel assurent ne pas mettre d’équipement à disposition pendant cette période d’interdiction. « Nos tentes sont uniquement louées pour les extensions de magasins ou de cantines dans les entreprises », assure Laurent Cousin, propriétaire de l’entreprise hérouvillaise Happy & Loc. Il ajoute : « On ne prend pas le risque de louer aux particuliers pour avoir une sanction ou un procès et gagner 3 francs 6 sous ! »
Comment expliquer à mes clients que je dois reporter leur mariage, alors qu’ils ont un copain qui s’est marié dans son jardin en louant une tente ?
Les loueurs de barnums semblent opérer en ligne. « Des prestataires n’hésitent pas à faire la promotion de leurs tentes sur les réseaux sociaux », souligne Adrien Legrand avant d’ajouter : « ils incitent les gens à être dans l’illégalité ». Sur les sites de petites annonces, les internautes peuvent se procurer de « belles tentes de réception » et autres « tonnelles pliantes » pour quelques centaines d’euros, sans faire appel à des sociétés ayant pignon sur rue.
Les propriétaires des salles ressentent un sentiment d’injustice. « L’idée n’est pas de taper sur les loueurs de tentes. Mais il y a une faille dans le système », relève Adrien Legrand. Il s’interroge agacé : « comment expliquer à mes clients que je dois reporter leur mariage alors qu’ils ont un copain qui s’est marié dans son jardin en louant une tente ? »
Les organisateurs craignent d’être assimilés à ces événements « sauvages » et ainsi de voir prolonger l’interdiction des rassemblements festifs y compris dans leurs établissements, en cas de débordements ou de clusters. Car « sous les tentes, rien n’est contrôlé », s'inquiète Tiphaine Nisse.
Les futurs mariés Clémence et Benjamin ont déjà pensé à célébrer leur mariage « à la maison », en installant une tente dans leur jardin. « Si le mariage devait être décalé encore une fois, c'est une option à laquelle nous allons devoir sérieusement réfléchir », regrette Clémence. Mais ces amoureux veulent soutenir autant que possible les entreprises qu'ils ont sollicitées : « nous avons eu le coup de cœur pour le château de Canon, il est difficile de s'en détacher et de laisser tomber nos prestataires pour qui l'activité économique est quasiment à zéro ».
Rassurer les futurs mariés
Sans l'organisation de mariages, les professionnels du secteur calvadosiens dénoncent leurs difficultés financières, liées aux importantes charges fixes de leurs biens patrimoniaux. Et l’incertitude est au coeur des discussions entre confrères. « Un mariage se prépare un à deux ans à l’avance. Mais à un mois de la réception, nous ne sommes pas capables de dire aux futurs mariés si la fête sera maintenue ! », s’insurge Adrien Legrand.
Tous sont prêts à travailler et à s’organiser pour accueillir les convives dans les meilleures conditions possibles. Ils réclament une date de reprise des événements dans les lieux de réception et un protocole sanitaire. « L’objectif est d’informer les couples et d’avoir le temps de préparer l’ouverture », explique Tiphaine Nisse du Château de Canon. « Nous nous devons de rassurer nos clients », martèle Adrien Legrand. Les futurs mariés Clémence et Benjamin sont eux aussi dans l'attente d'informations, pour s'adapter aux nouvelles mesures et pouvoir enfin se passer la bague au doigt.