En 2008, quand il avait repris le manche de son appareil, la guerre s'était rappelée à son souvenir, lui qui comme tant d'autres, avait longtemps gardé pour lui le récit de sa campagne de Normandie. Eugene Noble est décédé mardi dans l'Oklahoma. Il aurait eu 97 ans ce mercredi.
L'homme n'était pas très expansif. Après la guerre, il avait tourné la page pour se reconvertir dans le pétrole. "C'était un ingénieur, très méthodique. On lui confiait une mission, il y allait tout droit, raconte Béatrice Guillaume, la conseillère départementale de Cabourg qui le connaissait bien. La bataille de Normandie avait été une étape de sa vie, longtemps enfouie. "Mais il ne s'en est jamais plaint. Il se souvient surtout qu'il était concentré sur son travail, sur sa mission. Il me disait souvent : on ne voyait pas les balles, il fallait piloter".
La dernière fois qu'il est revenu en Normandie, c'était en 2014, pour recevoir la légion d'honneur. "Il en était extrêmement fier, raconte Béatrice Guillaume, conseillère départementale du canton de Cabourg. La reconnaissance de la France était assez extraordinaire pour lui."
(Eugene Noble à Merville(Franceville en 2013, reportage d'Aurélie Misery et Franck Bodereau)
"On ne voyait pas les balles. Il fallait piloter"
Eugene Noble aurait-il obtenu cette reconnaissance sans l'obstination d'une petite poignée de bénévoles de Merville-Franceville ? Au début des années 2000, ils ont d'abord déniché un C 47 échoué sur la piste d'une ancienne base près de Sarajevo. Après bien des tractations, l'avion a pu être démonté pour être acheminé jusqu'en Normandie, sur le site de la batterie de Merville.
(L'histoire du ,Dakota de Merville, archives 2008)
En parallèle, l'association a effectué des recherches pour retrouver les membres d'équipage de l'avion. "C'était un jeu de piste. Nous avons fini par localiser deux anciens pilotes, dont Eugene Noble, se remémore Olivier Paz, le maire de Merville-Franceville. En 2007, avec l'association Merville-Dakota, Béatrice Guillaume se rend dans l'Oklahoma pour aller le retrouver. "Je suis arrivée à Tulsa. Il était un peu sur la réserve. Il se demandait bien ce qu'on venait faire là depuis la Normandie !"
En ce triste jour du départ d’Eugène Noble pour l’au-delà, c’est l’occasion de le redécouvrir lors de sa venue en Normandie il y a dix ans au travers du très émouvant documentaire de @sergemarie15 « Il faut sauver le Dakota 43-15073 » https://t.co/PM10DkpZir@USAmbFrance
— Paz Olivier (@paz_olivier) 30 janvier 2019
Cette visite a pour lui l'effet d'un déclic. Tout un pan de sa mémoire remonte alors à la surface. "Nous l'avons souvent questionnés lors des travaux de restauration, se souvient Olivier Paz. C'était assez surprenant : Eugene Noble avait la mémoire intacte de son cockpit. Il nous avait demandé de modifier la couleur rouge d'un instrument qui devait être de couleur violette. Il était formel".
"Merci pour tout ce que vous avez fait"
Le jour de l'inauguration en 2008, Eugene Noble avait fait le voyage, avec sa famille qui ignorait tout de son passé. "C'est quand nous sommes allés à Tulsa que ses proches ont découvert ses états de service, explique Béatrice Guillaume. Eugene n'était déjà pas naturellement bavard. Et il fait partie de cette génération d'hommes qui se sont tu après la guerre. "Quand ils sont rentrés, les familles n'avaient pas idée de ce qu'ils avaient vécu en Europe. Ils se sentaient déconnectés. Ils n'étaient pas en phase. Certains étaient traumatisés. Ils n'ont pas parlé. Il a par exemple fallu qu'on aille là-bas pour qu'Eugene finisse par être reconnu et considéré comme un héros".
(reportage tourné en 2008 lors de l'inauguration du Dakota à Merville-Franceville. Pierre-marie Pauud et Charles Bezard)
Sur la page de garde du livre de l'association Dakota-Merville, Eugene avait laissé ce simple petit mot : "Merci pour tout ce que vous avez fait".