L’écrivain et réalisateur Emmanuel Carrère présentait à Caen en avant-première le film "Ouistreham", adapté du roman "Le quai de Ouistreham" de la journaliste Florence Aubenas. Le film met en lumière le difficile quotidien des femmes de ménage qui œuvrent sur les car-ferries.
Pas un siège n’est resté vide. Dimanche 17 octobre, l’amphi Daure de l’université de Caen était plein pour visionner, puis discuter avec les actrices et le réalisateur du film "Ouistreham". Présenté en juillet à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes, le film dépeint le quotidien des travailleuses précaires que sont les femmes de ménage qui évoluent à bord du ferry assurant la liaison entre Ouistreham et Portsmouth.
Cette fois, le film a vécu son avant-première à Caen, là où il a été pensé, tourné. Là d’où viennent l’ensemble des acteurs amateurs entourant Juliette Binoche, qui incarne elle l’alter égo de la journaliste Florence Aubenas. C’est cette dernière qui avait rendu visible le quotidien de ces femmes de ménages, dans un livre publié en 2010. Elle avait vécu plusieurs mois incognito à Caen et intégré l’univers des sociétés de nettoyage.
Ouistreham, plus qu'un film
Pour coller au plus près de l’immersion de la journaliste et se rapprocher au maximum d'un film documentaire, le réalisateur du film, Emmanuel Carrère a choisi des actrices non professionnelles et surtout des femmes de ménage de l’agglomération caennaise. Parmi elles, Evelyne Porée et Hélène Lambert. Les deux comparses comptent sur le film "pour faire bouger les mentalités."
Ce n’est pas juste un film, c’est une cause. C’est la défense du métier d’agent d’entretien et la demande d’une meilleure considération.
Précarité économique, cadences infernales (60 lits à faire en 1h30, nettoyer une chambre et ses sanitaires en moins de 4 minutes), le film jette une lumière crue sur ces petites mains si essentielles. Le film est pour elles l’occasion de faire ouvrir les yeux sur leurs conditions de travail et des horaires organisées pour qu’elles demeurent invisibles aux yeux de tous. "Sauf que non, on n'est pas invisibles. On n’est pas non plus des plantes", débute Evelyne. "C’est la société qui nous rend invisibles parce qu’elle ne veut pas qu’on soit dans ses pattes. Sauf que si on arrête toutes, tout sera dégueulasse", emboite Hélène. "On aura toujours besoin de nous", conclut Evelyne du tac au tac.
Cet échange et le "Tu as déjà travaillé dans ce milieu ? Tu vas en chier", extrait de la bande-annonce, résume parfaitement l’esprit d’un film. Celui-ci ne se veut pas seulement une fresque sociale. Il est aussi le témoin des états d’âmes de la journaliste, partagée entre l’importance de protéger son identité pour ne pas biaiser la réalité de ce qu'elle découvre et le fait de tisser des liens sur fond de mensonges. Pour prendre une sérieuse, mais importante claque devant le film en salle, il faudra attendre le 12 janvier prochain.
Entretien avec Emmanuel Carrère
Propose receuillis par Erwan de Miniac : Est-ce que cette avant-première, du fait qu'elle a lieu à Caen, revêt une importance particulière ?
Emmanuel Carrère, réalisateur de Ouistreham : "Evidemment, parce que le film se passe à Caen. Parce qu'il a été tourné, préparé à Caen. Les comédiennes et comédiens, à l’exception de Juliette Binoche, sont de Caen. Le choix qui est celui à l’origine de Florence Aubenas de faire le livre à Caen, autant qu’elle le dise et que je me souvienne, est assez accidentel. Elle a notamment choisi Caen parce qu’elle n’y connaissait personne. Et à vrai dire on aurait pu décider de le faire ailleurs, mais ça s'est imposé comme une évidence."
Il a été tourné avec une majorité des comédiennes non professionnelles. Pourquoi ce choix ?
E.C : "Je crois que c’est un choix qui s’est vraiment imposé dès le début. D’abord, j’en avais envie. Ça m’excitait beaucoup de travailler avec ce genre de profils. J’ai passé presque six mois à Caen, pas tout à fait à plein-temps, à faire le casting. On a passé beaucoup de temps dans un bistrot en particulier. C’était un très bon bistrot pour déjeuner avec un plat du jour, surtout beaucoup de gens avec qui on avait l'occasion de parler passaient. D'ailleurs, c’est comme ça qu’on a rencontré Didier Pupin qui joue le principal rôle masculin.
Hélène Lambert est assez incroyable face à a Juliette Binoche.
E.C : Bien sûr, j’étais très sensible à une espèce de sauvagerie qu’elle pouvait avoir, sauvagerie et talent verbal. C’est vraiment quelqu’un qui n’a pas la langue dans sa poche, elle a le sens de la formule, de la répartie. Il y a quand même eu au moins deux scènes improvisées avec Juliette Binoche et c’est un peu elle qui les a lancées grâce à ses trouvailles verbales. Ce que je garde surtout de ce film d'ailleurs, se sont les rapports de confiance et d’amitiés qui ont pu se tisser.