Depuis 1994, la loi française interdit la PMA post-mortem. Ainsi, une veuve ayant entamé un processus PMA ne peut plus le poursuivre une fois son mari décédé. Deux normandes se battent pour changer la loi. Le Professeur Grégoire Moutel leur emboîte le pas.
Il y a quelques semaines, nous vous contions le combat de deux femmes : Mélanie Regner et Charlotte Ngoma. Toutes deux ont perdu tragiquement leur mari alors qu'elles avaient entamé un processus de procréation médicalement assistée (PMA).
Aujourd'hui, elles veulent achever leur parcours de fécondation, le justifiant par la volonté de leur défunt mari de fonder une famille. Mais en France, la PMA post mortem est interdite depuis 1994, quand bien même le conjoint aurait signifié son consentement par écrit avant sa mort.
Directeur de l'espace de réflexion éthique de Normandie, le Pr Grégoire Moutel plaide pour une révision de la loi, notamment au regard des législations étrangères, espagnoles ou portugaises. Entretien.
La loi Française interdit de réaliser une PMA post mortem. Pensez-vous qu'il soit temps de rouvrir le débat, 30 ans après ?
Pr Grégoire Moutel : Je pense qu'il est toujours temps de rouvrir le débat, parce que c'est une question qui demeure d'actualité. Les demandes de ces femmes, par définition, compte tenu de leurs souffrances, sont légitimes. Ce qui est un peu dommage, c'est qu'on vient de clore, en 2021, la dernière révision des lois de bioéthique, et que ce sujet aurait mérité d'être plus approfondi.
Pourquoi la pratique de la PMA post mortem bloque en France ?
Pr Grégoire Moutel : Plusieurs arguments sont mis sur la table depuis 1994. Le premier, qui est important, c'est de savoir si l'homme avait ou non donné son consentement à ce type de procréation, dans l'idée qu'il serait difficile de donner naissance à un enfant qui ne serait pas issu de la volonté du père.
Le deuxième argument est le bien-être d'un enfant né d'un père décédé, mais les études montrent qu'il y a beaucoup d'enfants nés de père décédé, que ce soit accidentellement, en cours de grossesse ou juste après la naissance, et que ces enfants n'ont pas plus de problème que d'autres.
Et puis le troisième argument, c'est le fait qu'une procréation post mortem doit se faire dans un délai que la loi requiert, concernant les droits de succession et le droit de la famille. Aujourd'hui, un enfant qui naît plus de dix mois après le décès de son père n'est pas reconnu comme son enfant, notamment en matière de succession.
Un des obstacles avancés par l'agence de biomédecine est que l'enfant serait délibérément privé de père. Est-ce qu'il y aurait des conséquences de la PMA post mortem sur l'enfant ?
Pr Grégoire Moutel : En l'état actuel du droit, l'enfant né plus de dix mois après le décès de son père biologique ne serait pas reconnu comme tel, mais le droit se change. L'agence de la biomédecine dit : l'état du droit en l'état. La bioéthique va s'interroger. On peut s'imaginer qu'il y ait un délai raisonnable pendant le temps duquel la succession serait bloquée, en attendant de savoir si la grossesse réussit, et de savoir si l'enfant peut récupérer ses droits patrimoniaux par exemple.
Quel serait ce délai raisonnable selon vous ?
Pr Grégoire Moutel : Il ne m'appartient pas à moi de le définir. Comme disait La Fointaine : "Entre la veuve d'une journée et la veuve d'une année, la différence est grande". C'est vrai que pour une veuve qui a déjà un parcours de procréation entamé, on pourrait imaginer que dans l'année ou les 18 mois qui suivent, on lui permette d'achever son parcours de procréation. Ça peut peut-être être de deux ans, peu importe, mais en tout cas c'est à la législation nationale et au débat parlementaire de définir le délai raisonnable. Toutefois, il est clair qu'une procréation qui aurait lieu 5, 10, ou 15 ans après le décès du conjoint n'a plus du tout le même sens.
La PMA post mortem est interdite en France, pourtant ça fonctionne chez nos voisins espagnols ou portugais ?
Pr Grégoire Moutel : Ça prouve que l'Europe a des vertus. Ça permet de se dire qu'on peut prendre modèle dans d'autres pays. Quand on dit que c'est impossible dans l'un, peut-être faut-il regarder pourquoi c'est possible dans l'autre. En tout cas, cela pose une question d'harmonisation, parce qu'on sait que des patientes françaises ou de double nationalité ont eu gain de cause en Espagne. Il faut donc s'interroger sur une harmonisation et regarder le modèle espagnol comme un modèle intéressant.