On les appelle « les nouveaux pauvres ». Selon les estimations, la France va compter un million de pauvres de plus, d’ici l’an prochain, par rapport à 2019. Notre dossier de la rédaction leur est consacré.
Elle a perdu l’appétit. Le sommeil. L’estime d’elle-même. Malgré tout, pour sa fille, elle continue de garder l’espoir. Cette mère célibataire, que nous appellerons Sophie, a vu sa vie basculer durant la crise économique due à la pandémie de Covid-19. Employée dans une entreprise de ménage, elle a d’abord perdu son emploi à durée déterminée, en avril 2020. Ensuite, elle a eu du mal à régler ses factures, puis, son loyer. Enfin, elle a peiné à remplir son assiette et celle de son enfant. « À mon âge, j’avais honte de demander de l’aide, de demander à manger », confie-t-elle.
Tous les jours, la mère de famille recevait une relance de l’un de ses créanciers. Sans ressource, hormis le Revenu de Solidarité Active, Sophie a donc cherché une place dans un foyer, de peur de se retrouver à la rue. Elle a aussi frappé à la porte du Secours populaire qui lui offre un colis alimentaire tous les mois.« Quand c’est l’anniversaire de sa fille et que l’on a rien, même pas de quoi lui faire un gâteau, on se sent moins que rien. C’est dur. Je suis tombée bien bas. Ça fait mal. »
Cette femme de 50 ans a raconté son quotidien à Emmanuelle Partouche et Véronique Arnould. Tout comme Jimmy Quétel, 39 ans. Un chef d’entreprise au parcours bien différent. Avant la crise, son activité de sport automobile était florissante. Il venait d’ailleurs de diversifier son activité en ouvrant une salle de sport. Pourtant, aujourd’hui, lui aussi, est devenu précaire. Ce roi des figures acrobatiques à moto a été contraint de faire appel à une assistante sociale.« Aller voir une assistante sociale pour payer l’eau et l’électricité, ça parait un peu fou. »
De nouveaux profils de pauvres
Sophie et Jimmy font partie des personnes qui sont tombées dans la précarité, lors de la crise économique due à la pandémie de Covid-19. Les associations caritatives sont unanimes : ces nouveaux précaires sont différents des profils habituels. En majorité, il s’agit d’étudiants, d’intérimaires, de nouveaux chômeurs, d’artisans et d’autoentrepreneurs.« Les étudiants, les jeunes. Un certain nombre de jeunes ont perdu leurs petits boulots et se retrouvent dans une grande précarité. Il faut également penser aux personnes âgées éloignées des soins. »
Être pauvre, c’est vivre avec moins de 1060 euros par mois
Les nouveaux pauvres de la crise, ce sont les personnes qui sont passées sous le seuil de pauvreté, lors de la crise économique amorcée en mars 2020.
Le seuil de pauvreté correspond à 60% du revenu médian soit 1060 euros par mois pour une personne.
L’an dernier, 9,3 millions de Français vivaient en dessous de ce seuil. Cette année, ils sont un million de plus. Selon les prévisions des spécialistes, ce chiffre va continuer d’augmenter dans les mois à venir.
« Les services de l’État ont dû ouvrir des gymnases ou réquisitionner des hôtels pour qu’on ne voit pas toutes les personnes qui pourraient se retrouver dans la rue. Un gros effort a dû être fait pour pouvoir pallier cette difficulté. »
De plus en plus de Normands pauvres
En Normandie, comme partout en France, l’impact du coronavirus est sans précédent. Le secours populaire français a observé que la quantité de ces bénéficiaires a amplifié. Il décrit une précarité jamais vue depuis la Seconde Guerre Mondiale. En Seine-Maritime, 17 000 familles ont fait appel à cette association, lors du premier confinement débuté mars 2020. Leur nombre a plus que doublé à Rouen et à Elbeuf, par exemple.
Bénéficiaires du Secours populaire français, lors du premier confinement, par rapport à 2019 :
- + 45 %, en Seine-Maritime
- + 40%, dans l’Eure
Autre indicatif de l’appauvrissement de certains Normands : le RSA. Le Revenu De Solidarité Active est versé aux personnes d’au moins 25 ans, sans ressources et à des actifs de 18 à 24 ans, sous certaines conditions. Les nouveaux demandeurs de cette aide du conseil départemental sont nettement plus nombreux. La Seine-Maritime a ainsi diminué certains de ces budgets afin de grossir l’enveloppe dédiée au RSA avec 30 millions d’euros supplémentaires.
Bénéficiaires du RSA :
- 43 500 en Seine-Maritime, à la mi-octobre 2020
- + 7%, dans l’Eure, en mars, par rapport mars à 2019
« Nous prévoyons donc, pour l’échéance du budget 2021, un montant de 280 millions d’euros pour l’ensemble des bénéficiaires du RSA. »
Les répercussions économiques négatives de la crise sanitaire se sont aggravées depuis le reconfinement débuté le 29 octobre. Le département de Seine-Maritime estime déjà que les demandes de Revenu de Solidarité Active vont progresser de 12%, dans les mois à venir.