Elections régionales et départementales : un défi logistique et sanitaire dans un pays rétif au vote à distance

Après plusieurs semaines de tergiversations, le gourvernement a décidé de maintenir deux scrutins à la fin juin. Un défi logistique pour les communes qui doivent en assurer l'organisation. Malgré la crise sanitaire, le vote électronique ou par correspondance reste très limité. 

L'année dernière, l'élection municipale, organisée alors que débutait la crise sanitaire, a enregistré un taux d'abstention de 58,4%, du jamais vu pour ce scrutin qui figure parmi les préférés des Français (après la présidentielle). Un an plus tard, l'épidémie sévit toujours dans notre pays et un double scrutin se profile avant le début de l'été.

Après des semaines de tergiversations et de pressions des partis d'opposition, le Premier ministre l'a annoncé cette semaine : les élections régionales et départementales, tant attendues par la classe politique, auront bien lieu en juin, avec une semaine de retard sur le planning initialement prévu, les 20 et 27 juin prochains.

A charge maintenant aux communes de les organiser. Des communes dirigées par des maires qui ont été consultés le weekend dernier par le chef du gouvernement et se sont prononcés en majorité (56% pour le maintien). "J’avais déjà été consulté il y a 3-4 mois par la préfecture au moment où le gouvernement se demandait s’il était possible de tenir les deux scrutins en même temps", raconte Olivier Paz, maire de Merville-France et président de l'association des maires du Calvados,  "On avait considéré à l’époque qu’il valait mieux être mobilisé deux semaines que quatre semaines, ce qui aurait été le cas si on avait décidé de décaler départementales et régionales."

"On a un peu multiplié les difficultés"

L'élu calvadosien ne renie pas sa position mais en convient : "Organiser un double scrutin en temps normal, c'est déjà pas forcément simple en temps normal. Là en plus, on a les questions de la pandémie qui viennent se rajouter. On a un peu multiplié les difficultés entre le double scrutin et les précautions à prendre."

Dans le département voisin, Philippe Van Hoorne, président de l'association des maires de l'Orne, confirme que certains de ses collègues sont inquiets. "Un double scrutin, c’est compliqué à organiser parce que souvent dans nos mairies on a des petites salles. C'est particulièrement le cas dans les communes les plus petites ou généralement on fait ça dans la pièce où se réunit le conseil municipal, qui n’est pas très grande. Ça signifie que ça devra être déplacé dans la salle des fêtes. Ça va être compliqué."

Doubler la logistique

En termes de logistique, un double scrutin requiert un doublement du matériel. "On a eu des échos dimanche sur les aménagements de salle : tout le monde n’avait pas deux urnes, tout le monde n’avait pas le double d’isoloirs. Selon la préfecture, il y avait une possibilité d’avoir une subvention spéciale pour pouvoir acheter en double ce matériel", rassure Olivier Paz, qui indique également, concernant les problèmes de place, qu' "il y a eu un certain nombre de de demandes de modification de lieux qui ont été agréées par la préfecture."

Selon les deux présidents, la question purement matérielle semble secondaire. "La vraie question, ça va être les assesseurs. Double élection donc double bureau, il en faut normalement le double de ce qu’il y a d’habitude", tranche Olivier Paz. Le maire de Vire, Marc Andreu-Sabater, a lancé ce jeudi un appel chez nos confrères de France Bleu : il lui faut trouver 130 personnes pour faire tourner les 17 bureaux de la ville. "Le problème c’est également de trouver le personnel de la collectivité à qui on va demander de venir. Le soir des élections, j’ai une dizaine de personnes qui travaillent pour faire le récapitulatif et d'autres tâches", ajoute Philippe Van Hoorne.

Problème de ressources humaines

Un problème de ressources humaines beaucoup plus compliqué en temps de crise sanitaire. "On a parlé des dernières élections municipales comme ayant été vecteur de la maladie, donc ça peut inquiéter les gens. Pas les gens qui vont venir voter mais les gens qui vont voir passer devant eux 50, 60, 200 personnes et qui peuvent s’interroger sur la fait de savoir s’ils sont bien protégés", indique Olivier Paz et prévient : "Il va falloir s’y prendre de bonne heure et offrir des garanties si on veut avoir des bureaux qui fonctionnent bien." La vaccination des personnes concernées pourrait selon lui constituer une des ces garanties. 

La vaccination des assesseurs, c'est l'une des recommandations du conseil scientifique, des recommandations qui ne suscite pas un enthousiasme débordant chez Philippe Van Hoorne. "Si on doit appliquer tout ce qui est dans le rapport du conseil scientifique - que les assesseurs soient vaccinés ou testés à J-2, repousser la fermeture des bureaux dans les communes jusqu’à 20 heures - ça va être très très très compliqué", estime le maire de l'Aigle. Des dispositions similaires ont pourtant été annoncées par le premier ministre devant les parlementaires cette semaine. Les maires sont invités à recenser et signaler, trois semaines avant le scrutin, les potentiels assesseurs qui ne seraient pas vaccinés. Ces derniers se verraient proposer une vaccination . L'Etat mettrait également des autotests à disposition des communes.

Il est urgent d'attendre... Et d'aller vite

Si ce point semble diviser de part et d'autre de la frontière, les deux élus appellent unanimement leurs collègues à ne pas céder à la panique. "Les obligations sanitaires ne sont pas encore toutes fixées. Le Premier ministre a indiqué avant-hier qu’il allait désigner un monsieur élection qui va répondre à toutes les questions qu’on peut se poser", rappelle Olivier Paz. Dans l'Orne, Philippe Van Hoorne "espère que tout ce qu’on est en train de remonter aujourd’hui sera écouté par les services de l’Etat". Autre sujet qui fait consensus pour ces élus : la nécessité de disposer au plus vite d'une feuille de route claire. "Plus vite on aura l'environnement, plus vite on s'adaptera."

Un vote resté lettre morte

S'adapter à la crise sanitaire, c'est aussi faciliter le vote par procuration. Chaque électeur pourra ainsi disposer de deux procurations (contre une habituellement).  Le gouvernement promet une démarche "presque totalement dématérialisée" avec le site internet maprocuration.gouv.fr. D'autres modalités de vote restent en revanche toujours à quai, à commencer par le vote par correspondance, réservé uniquement aux détenus et aux expatriés depuis 1975. Il est pourtant utilisé chez certains de nos voisins, comme la Suisse, l'Espagne le Royaume-Uni ou l'Allemagne. L'an dernier, le second tour des municipales en Bavière s'est même déroulé les bureaux de vote fermés. Aux Etats-Unis, il a été massivement utilisé lors de l'élection présidentielle, malgré les allégations de fraudes lancées par le président sortant.

Ce sont justement les soupçons de fraude (notamment en Corse, comme le rappellent nos confrères de Franceinfo) qui ont mené en 1975 à la quasi suppression de cette pratique mis en place en France après la guerre. "On est resté en France sur une image négative du vote par correspondance", note le politologue Christophe Boutin. Avant la crise sanitaire, "on avait un peu l’impression que le trait était tiré de manière un peu définitive" car entre les deux tours des dernières élections municipales, plusieurs élus ont demandé son retour. "Il y a visiblement une sorte de retour en grâce du vote par correspondance, c’est certain, parce qu’on veut essayer de faciliter le vote pour limiter l’abstention qui progresse d’élection en élection mais encore faudrait il que ça passe par un texte de loi, ce qui n’est pas le cas."

Moratoire sur les machines

Autre solution alternative au duo isoloire et urne, le numérique. "Le vote numérique existe bien en France mais c’est un vote numérique qui est fait sur des machines à voter qui sont installées dans les bureaux de vote. Le vote de chez soi s’apparenterait à un vote par correspondance et n’est pas encore mis en œuvre", rappelle Christophe Boutin. Un vote qui, pour le moment et depuis de nombreuses années, n'est utilisé que dans une soixantaine de communes en France.

Car un moratoire a été instauré en 2008, après des polémiques durant la campagne présidentielle de 2007,  interdisant à d'autres collectivités de faire l'acquisition de ces machines. Des machines qui, avec le temps, deviennent obsolètes et ne sont pas renouvelées, leurs fabricants rechignant à investir tant que la règlementation n'évolue pas.

Faux pas du gouvernement

Une quarantaine d'élus ont tenté de réhabiliter en février dernier cette solution, "une véritable arme de guerre en matière de sécurisation sanitaire" dans une tribune publié chez nos confrères du Monde. Le même jour, un amendement a mis le feu aux poudres au Sénat. Il prévoyait de permettre à certains électeurs de voter par anticipation, sur une machine électronique en préfecture, à la prochaine présidentielle. Et devant le tollé suscité, l'exécutif de faire machine arrière.

Pour autant, la porte n'est pas définitivement fermée. "Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard le 1er octobre 2021, un rapport sur la possibilité de recourir aux machines à voter pour les communes qui le souhaitent, dans la perspective des prochaines échéances électorales", stipule la loi sur le report des élections régionales et départementales, promulguée le 22 février dernier.

Une promesse du candidat Macron

Mais le vote électronique, c'est ausi le vote par internet. "Nous avons besoin de numériser notre démocratie, en instituant un vote électronique  qui élargira la participation, réduira les coûts des élections et modernisera l’image de la politique", plaidait en 2017 Emmanuel Macron, alors candidat à la présidentielle. Dans l'entre deux tours des dernières municipales, plusieurs élus avaient plaidé pour cette solution au regard de la situation sanitaire. "On le fait dans le secteur de la banque, on le fait pour beaucoup d'achats. Saisissons-nous de cette question pour avancer à grands pas et pour assurer une meilleure participation", déclarait à nos confrères de France 2 Christophe Bouillon, le président de l'Association des maires de petites villes.

"Le vote numérique, ça fait plusieurs années déjà qu’on en parle, qu’on en reparle régulièrement sans que cela débouche sur quoi que ce soit", constate le politologue Christophe Boutin. Le vote par internet fait l'objet des mêmes soupçons de fraude que le vote par correspondance. "A partir du moment où vous pouvez voter de chez soi, on se méfie d’une personne qui pourrait faire pression sur l’électeur, un parent par exemple." Dans son rapport remis le 16 décembre 2020, la mission d'information de la commission des lois du Sénat souligne les risques de "pression communautaire" sur le vote à distance et préconise "de développer la sécurisation du vote par internet" avant d'aller plus loin. 

Dans ce domaine, ce sont les Français de l'étranger qui vont essuyer les plâtres. Une campagne de tests a été menée en novembre 2019 en vue des prochaines élections consulaires. Une campagne conluante puisque nos compatriotes expatriés pourront élire leurs conseillers du 26 au 29 mai prochains sur leur ordinateur personnel.

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