Deux convois d'Évreux Solidarité Valence ont rallié l'Espagne ce vendredi 8 novembre au matin. À bord, trois tonnes de vivres, de produits d'hygiène et de vêtements collectés dans l'Eure. Mais le président de l'association fustige une absence totale de gestion logistique sur place. Les autorités ont en effet compliqué l'accès au site sinistré.
Ils sont arrivés à Benetússer (Espagne) ce vendredi matin, à l'issue d'un périple de plus de 1 400 kilomètres : deux fourgons chargés à ras bord de dons - trois tonnes - collectés par les Ébroïciens après les inondations du 29 octobre dernier. Des pluies torrentielles qui ont fait au moins 217 morts et 93 disparus dans la province de Valence.
Six bénévoles d'Évreux Solidarité Valence dont Camille Narancitch, président de l'association, se sont ainsi déplacés pour venir en aide aux sinistrés. Mais sur place, rien ne se passe comme prévu. Camille Narancitch nous décrit, effaré, un climat de "chaos" et s'interroge sur les motivations des autorités, qui empêchent les véhicules d'accéder au site pour livrer des points de collecte complètement désorganisés, sinon inexistants, malgré l'urgence.
Les convois bloqués plusieurs heures
C'est en effet après plusieurs heures de négociations périlleuses, menées avec force diplomatie avec la guardia civile (la gendarmerie espagnole), la police municipale de Madrid venue en renfort ou encore la protection civile, que l'association ébroïcienne est parvenue à déposer ses dons et aider au nettoyage, deux actions si précieuses pour des habitants démunis.
"Ça a été compliqué, explique Camille Narancitch. À 7h du matin, on s'est approché de la zone sinistrée. On nous a baladé deux trois fois, vers le stade de foot, puis un autre stade... On a décidé d'aller vraiment à Benetússer mais les automobilistes étaient bloqués à 8 km de l'entrée de ville. Alors, les gens venus aider partaient à pied, avec leurs pelles et leurs balais. On a été dévié, mais on a réussi à passer en insistant. On s'est ensuite retrouvé à 1,5 km de la ville et on a terminé la route à pied."
La galère n'est pas terminée. Car une fois au cœur de Benetússer, "on avait du mal à entrer dans la zone". "On nous a dit 'non, on n'a pas besoin'... On ne comprenait pas trop, parce qu'on a rencontré des sinistrés qui nous ont justement dit qu'on pouvait les aider. Ils nous ont emmenés dans une salle de sport remplie de boue. Là, on a aidé le patron à nettoyer... Finalement, les autorités nous ont dit qu'il ne fallait pas déplacer la boue face aux risques d'épidémie, donc on a arrêté."
Pourquoi ce frein à la solidarité ?
Malgré les besoins, les deux fourgons sont également longtemps empêchés de procéder au dépôt de dons. Aucun point de collecte n'est adapté. Les bénévoles finissent par déposer leurs cartons sur un parking.
En quelques minutes, une cinquantaine d'habitants se passent le mot et se pressent sur ce point de collecte spontané pour récupérer de l'eau, de la nourriture, des vêtements. Certains réclament des bottes et de la lessive pour tenter de sauver leur domicile d'une boue dévastatrice et omniprésente.
"On m'a dit qu'il n'y avait pas de nécessité, mais c'est faux", assure le président de l'association. "C'est un tel chaos que je pense que le gouvernement ne veut pas que les gens voient ce qu'il se passe, on est à deux doigts d'un paysage du tiers-monde. On a l'impression que Valence est en état de guerre, plus encore que l'Ukraine [où l'association s'était également rendue, ndlr]."
"Les gens sont dépités. Personne n'organise les choses. Les autorités contrôlent qui rentre, qui ne rentre pas, et les habitants sont un peu dépassés : ils n'ont plus rien et attendent de l'aide, mais l'aide ne peut pas arriver dans leur ville."
Tout le monde disait être bloqué... J'essayais de chercher un responsable, mais sur place, on me disait que les ordres venaient d'au-dessus. Il y a une omerta. On empêche les gens de voir ce qu'il se passe !
Camille Narancitch
Camille Narancitch en arrive à s'interroger, sans avoir de réponse : le gouvernement a-t-il un intérêt à filtrer, bloquer les manifestations de solidarité envers les sinistrés ? Est-ce pour des raisons économiques ? La région autonome de Valence compte, depuis une centaine d'années, parmi les plus grands exportateurs européens d'oranges. Mais les agriculteurs ont ici tout perdu. Les conséquences économiques seront désastreuses.
"Une solidarité interne extraordinaire" mais rien d'organisé
Au-delà des barrières dressées par l'État, celui qui fréquente la région depuis une trentaine d'années et qui possède un appartement à une centaine de kilomètres de Valence évoque avec émotion "le désastre, la désolation" qu'il voit naître sous ses yeux, au fur et à mesure qu'Évreux Solidarité Valence s'engouffre dans le point névralgique de Benetússer.
Mais il retient aussi la reconnaissance des habitants, leur accueil, leur surprise aussi de voir débarquer un convoi venu du nord-ouest de la France.
Camille Narancitch cite Manolo, âgé, la démarche vacillante, qui les conduit 500 mètres plus loin pour aider ses voisins à nettoyer. Ou encore Ricardo, résident d'un appartement situé en rez-de-chaussée, détruit par trois mètres d'eau. "Il n'y a pas de barrière de la langue, par un regard, on arrive à communiquer. Des émotions ressortent", confie-t-il, même si lui maîtrise le dialecte valencien, facilitant les négociations avec les autorités.
"Ces échanges avec les locaux nous ont réconfortés. On a vu des gens marcher 8 kilomètres pour aller aider les habitants à nettoyer. Je trouve qu'il y a une solidarité interne extraordinaire... Mais aucune logistique pour les bénévoles. Il faudrait vraiment que la logistique se mette en place, c'est absolument nécessaire", conclut-il, remerciant au passage les Eurois pour leur solidarité.
Au total, Évreux Solidarité Valence est parvenu à collecter 5 tonnes de produits de première nécessité. Un deuxième convoi de bénévoles devrait donc se rendre en Espagne pour délivrer les deux tonnes restantes et poursuivre son action sur le terrain.