Il est l’un des deux complices soupçonnés d’Abdoullakh Anzorov, le présumé coupable de l'assassinat de Samuel Paty. Naïm Boudaoud, est âgé aujourd’hui de 22 ans, il prend la parole pour raconter sa version des faits devant la cour d’assises spéciale de Paris, jeudi 21 novembre 2024. A-t-il, d’une façon ou d’une autre, été tenu au courant du funeste projet du terroriste ?
Un signe de la main. À leur arrivée, les parents de Naïm Boudouad, 22 ans, ont un geste tendre pour leur fils, debout dans le box, prêt à affronter la cour.
Il leur répond par un sourire avant d’entamer une journée décisive dans le procès de l'assassinat de Samuel Paty à la cour d’assises spéciale de Paris. Pendant plus de 10 heures, jeudi 21 novembre 2024, le jeune homme a tenté de convaincre les magistrats qu’il ne connaissait pas le projet terroriste d’Abdoullakh Anzorov.
Naïm Boudaoud fut le tout dernier maillon de la chaîne, le dernier rouage qui mena à la mort du professeur Samuel Paty, le 16 octobre 2020. C’est lui qui emmena le terroriste en voiture non loin du collège ou enseignant le professeur d’histoire-géographie, à Conflans-Saint-Honorine (Yvelines).
Le "pote" de la salle de sport
Dans la salle des grands procès du tribunal de l’île de la Cité (Paris), les places qui restent libres sur les bancs du public sont rares. L’audience du jour est attendue par toutes les parties. Dans le box, Naïm Boudaoud a le visage fin presque enfantin.
L’accusé laisse apparaître une barbe naissante bien taillée, puis prend la parole d’une voix douce : « j’ai rencontré Anzorov en 2019, on s’est croisé pour la première fois à salle de sport à Évreux. »
Naïm Boudaoud a le corps chétif d’un garçon de 18 ans à l’époque. Il tente, comme beaucoup de jeunes de son âge, de gagner en masse musculaire. « Abdoullakh m’aidait à progresser dans mes exercices de muscu. Et c’est à ce moment-là que nous avons échangé nos snap et nos numéros. »
Durant cette période, Boudaoud assure que son « nouveau pote de la salle de sport » ne lui parle pas de religion. « Vous-a-t-il demandé de vous tourner davantage vers l’islam ? », questionne le président Franck Zientara. « Non, moi j’avais ma copine chrétienne, j’écoutais de la musique, je ne faisais même pas mes cinq prières », raconte le jeune homme, un peu désabusé.
Entre le début de l’année 2019 et l’été 2020, les deux se voient essentiellement lors des séances de musculation. « Je ne l’ai croisé que 16 fois », assure Naïm Boudaoud. Est-ce que Naïm Boudaoud a été le témoin de la radicalisation d’Abdoullakh Anzorov ? « Moi contrairement à lui, j’ai une vie comme tous les jeunes de mon âge », répète le jeune homme.
Le président de la cour est le plus souvent inquisiteur. Les juges cherchent à savoir si l’accusé a couvert l’endoctrinement jihadiste du futur terroriste. « Des gens qui ne serrent pas la main aux femmes, il y en a beaucoup, alors je ne trouvais pas ça bizarre » explique-t-il. Régulièrement, Naïm Boudaoud se tourne vers son avocate pour trouver une forme de soutien, parfois des réponses.
En fin de matinée, il s’emporte pour la première fois. Agacé de devoir répéter les mêmes choses, il en vient aux faits, le plus directement possible : « Je n’ai rien à voir avec tout ça, je n’ai rien à voir avec cette ordure, je n’ai jamais entendu parler de ce professeur, de Samuel Paty ».
Sa mère, une ancienne fonctionnaire de la préfecture
Dans la salle, la mère de Naïm Boudaoud écoute les débats et semble parfois exaspérée. Cette ancienne fonctionnaire de la préfecture de l’Eure, a témoigné devant la Cour, il y a quelques jours, défendant pied à pied son fils.
La journée passant, le jeune homme semble fatiguer. Il s’énerve parfois, « je n’avais que 18 ans ! Je n’avais aucune idée des intentions d’Anzorov ». Le président Franck Zientara lui rétorque qu’ « à 18 ans on est déjà un adulte ». L’argument de la jeunesse ne passe pas.
En réalité, Naïm Boudaoud semble rester un grand enfant. Son centre d’intérêt principal : « Ma golf 7, c’est ma voiture préférée, je suis super fier », sourit-il. Avec son ami Azim Epsirkhanov également mis en cause dans l’affaire, ils « parlent de filles, de sorties, de musique… ». Bref, des sujets de conversations d’un jeune adulte comme tous les autres.
« C’est un cadeau avant que je meure »
Le 15 octobre 2020, Naïm Boudaoud et Azim Epsirkhanov accompagnent le futur terroriste à la coutellerie Faget dans le centre de Rouen pour « acheter un cadeau d’anniversaire au grand-père d’Anzorov ». Ils repartent avec un couteau qui sera retrouvé le lendemain, près du corps de Samuel Paty.
Le 16 octobre 2020, très tôt dans la matinée, Abdoullakh Anzorov contacte Naïm Boudaoud. Près d’une dizaine d’appels avant 9h. « Il m’a harcelé de messages aussi, se souvient l’accusé. Je le rejoins quand je me réveille, il était énervé, il a jeté son sac à l’arrière de la voiture. » C’est ainsi que débuta le funeste trajet jusqu’au collège de Conflans-Saint-Honorine.
« Nous nous sommes dirigés vers Rouen, je pensais qu’il voulait aller voir Azim », relate l’accusé dans le box. Finalement, Naïm Boudaoud découvre qu’Anzorov a pour point de chute la région parisienne. « Il fallait qu’il aille à Mantes-la-Jolie pour régler une embrouille avec les noirs », explique-t-il.
Sur le chemin, les deux s’arrêtent à Cergy pour acheter des pistolets à billes Airsoft. « Anzorov m’en a pris un, je ne lui ai rien demandé. Il m’a dit : ‘c’est un cadeau avant que je meure. »
Le président du tribunal, l’avocat général, les parties civiles reviennent tous sur cette phrase prononcée par le terroriste. Pourquoi Anzorov a-t-il dit à Bouadoud : « c’est un cadeau avant que je meure » ?
Selon le jeune accusé, il s’agit d’une blague. Depuis le début du mois de septembre 2020, la communauté tchétchène d’Évreux où résident les deux garçons fait face à des agressions de la part d’un autre groupe dans le quartier de la Madeleine.
À plusieurs reprises quand le nombre de questions se tarit, Naïm Boudaoud fait un pas un arrière, se relâche, il agite ses bras pour les détendre comme un boxeur le ferait entre deux rounds.
Le jour de l'attentat, Naïm Boudaoud dépose le terroriste non loin de l’établissement de Samuel Paty. « Je ne savais pas qu’il y avait un collège ici ! », assure le jeune homme. « J’avais rentré une adresse, la place René Picard c’est tout », poursuit-il.
Dans la soirée, la mort de Samuel Paty est annoncée dans tous les médias. Le choc submerge le pays. « Azim m’appelle pour me dire qu’Abdoullakh a fait une dinguerie, à ce moment-là on n’y croit pas, je n’ai pas les mots pour décrire notre état de panique et de stress », assure l’accusé.
"Anzorov m’a pris pour un con"
En fin d’audience, l’avocat général pose la même question qu’il a posée la veille à Azim Epsirkhanov : « vous sentez-vous une part de responsabilité ? »
Réponse de Naïm Boudaoud, qui a gagné en assurance au fil de journée : « Anzorov m’a pris pour un con, je me retrouve ici par sa faute, si j’avais su quoi que ce soit, j’aurais prévenu la police ou mes parents, je ne suis pas responsable. Je ne suis pas fou ».
Quelques minutes plus tard dans un bruit étouffé sur les bancs du public, sa mère craque et fond en larmes.
Naïm Boudaoud est en détention provisoire depuis quatre ans, il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.