Les contraintes sanitaires modifient jusqu'aux derniers adieux aux défunts. Les familles de victimes du Covid et toutes les personnes qui ont eu à vivre un deuil depuis le début de la crise sanitaire sont confrontées à des difficultés qui peuvent se révéler traumatisantes.
Ne pas pouvoir toucher le défunt est très difficile à vivre pour la famille
C'est avec une grande émotion que Liliane Mary se replonge dans ses photos de famille et dans le souvenir récent de la mort de son époux. Le 27 janvier, Rémy est mort à 81 ans, victime de la Covid-19. Si Liliane a pu l'accompagner jusqu'à son dernier souffle, le début de son deuil s'est mal passé et elle en souffre encore.
"Il est décédé et il est parti. On ne l’a pas vu dans le cercueil. On n' a pas pu le toucher, pas l'embrasser parce qu’on nous dit qu’après le décès les malades sont encore contaminants pendant 3 heures et on ne vous laisse pas trois heures, il faut venir les chercher dans la chambre. C’est extremement difficile". Liliane a eu le sentiment de ne pas dire au-revoir à Rémy, même si elle a pu l’accompagner à l'hôpital tout au long de sa maladie (ses deux enfants également), ce qui n'était pas possible en debut de pandémie.
Des cérémonies funéraires partielles
En première ligne, les professionnels des pompes funèbres ont été contraints de s'organiser et de limiter l'accès des familles auprès de leur défunt. "Les familles se sentent prises dans un engrenage", explique Valérie Villeroy-Lepetit, responsable des Pompes funèbres, "elles se sentent complètement perdues, doublement, déjà un deuil s’est difficile. Il faut être doublement à l’écoute. Bien expliquer toutes les contraintes sanitaires, le nombre de personnes présentes à l’église ou en cérémonie civile." Il est souvent arrivé que les proches ne puissent pas voir le malade à l'hôpital. Ils se retrouvent alors brutalement devant un cercueil, sans avoir pu vivre aucune transition.
Pour Valérie, son métier est plus difficile à exercer aujourd'hui. Il n'est plus possible de faire participer les uns les autres, les fleurs ne peuvent plus être apportées par un voisin. Pour préparer la cérémonie, il faut aussi choisir qui des enfants pourra entrer dans le bureau. "C’est compliqué. Les gens se sentent seuls du début jusqu’à la fin. Quand ils viennent nous voir, ils nous font part de cette solitude. On fait encore plus de psychologie."
Valérie se souvient d'une cérémonie sans amis. Les mesures sanitaires sont telles que les gens n’avaient pas osé venir. La famille était seule.
L'impression d'un adieu incomplet
Les familles sont mises dans l'incapacité d'accéder aux dernières volontés de leur défunt. Elles ne peuvent pas effectuer la célébration religieuse ou civile prévue, avec l'ensemble de ses proches. Une situation qui créé des traumatismes que le curé de la paroisse de Saint Hilaire du Harcouet essaie d'atténuer. "On s’est adapté progressivement depuis un an à cette situation inédite", explique-t-il, "le plus dur au départ, c’était la restriction du nombre de personnes aux obsèques religieuses. Ici dans le Sud-Manche, on est habitué à voir beaucoup de personnes qui viennent aux célébrations d’au-revoir aux défunts.
"Quand cela a été limité à vingt personnes, c'était la double peine : d’abord la séparation d’un être cher qui est toujours difficile et ensuite le fait de ne pas pouvoir être accompagné dans ce moment très important. Ca été vraiment difficile à vivre" ajoute le Père Benoit Lemieux. "Je pense aux premières personnes qu’on a accompagné avec suspicion du Covid, sans certitude, mais avec une mise en bière immédiate, ca a été très douloureux et je crois que pour faire le deuil ca a été très difficile."
Une mise en bière immédiate et pas de présentation du corps comme cela était possible auparavant : ne pas voir le défunt rend sa mort plus difficile à réaliser pour son entourage. "On pourrait penser que faire des obséques c’est s’occuper uniquement des morts mais non, c’est toute la communauté chrétienne qui porte l’ensemble des familles endeuillées. Il a manqué cette étape d’accompagnement."
On pourrait penser que faire des obséques c’est s’occuper uniquement des morts mais non, c’est toute la communauté chrétienne qui porte l’ensemble des familles endeuillées. Il a manqué cette étape d’accompagnement.
"Les deuils pathologiques seront sans doute plus nombreux"
A Avranches, les membres de l'association Vivre son deuil viennent en aide à une centaine de personne chaque année. Gérard Le Corre craint que ce nombre augmente dans les mois à venir. Les appels reçus par l'association depuis la pandémie témoignent tous de la même douleur.
Les proches partagent une impression d’injustice et de manque d’humanité parce qu’on leur a interdit à voir le malade au dernier moment. "On m’a envoyé les cendres de mon père et je ne suis même pas sûr que ce soit lui " a expliqué un homme à Gérard. Certains vont ainsi nier l’évidence et ne pas parvenir à faire leur deuil.
"En temps normal, 95% des deuils se passent bien, les autres sont pathologiques" explique Gérard. Là avec le Covid, le bénévole a bien peur que les deuils pathologiques soient bien plus nombreux.