C'est une première dans le dossier des indemnisations des victimes de l'incendie de Lubrizol. L'entreprise a dédommagé un retraité. L'homme avait dû jeter sa récolte de légumes qui lui servait de complément de retraite. Un exemple qu'une association de victimes voudrait voir se développer.
Le 26 septembre 2019, les entrepôts de l'usine Lubrizol brûlent à Rouen. A 33 kilomètres au Nord-Est de là, à Sigy en Bray, Jacques Ribel, un agriculteur à la retraite, voit passer le nuage noir de l'incendie, au-dessus de sa tête. Tout comme de nombreux riverains, entre la Seine-Maritime et la Belgique situés sur un long couloir de 22 kilomètres de long et de six de large, Jacques apprendra que les terres de son potager sont polluées par la retombée de suies.
A contre-coeur, le septuagénaire doit se résoudre à jeter les légumes qu'il fait pousser dans son potager. Ceux-là même qu'il avait pris l'habitude de vendre une fois par semaine sur le marché et qui lui permettaient d'améliorer sa petite retraite de 900 euros par mois. Par ailleurs, il devra aussi se séparer des bâches de ses serres souillées par les suies de l'incendie. Elles doivent être remplacées.
C'est beaucoup pour cet homme qui ne roule pas sur l'or. Durant l'hiver qui vient rapidement, Jacques n'a plus les moyens financiers de se chauffer. Le préjudice n'est pas seulement financier. Il est moral également. A ce moment, Jacques Ribel explique avoir tenté de mettre fin à ses jours.
L'aide et les conseils d'une association
Désemparé, Jacques trouve de l'aide auprès de l'Union des Victimes de Lubrizol. Sur les conseils de l'association, il adresse un courrier à Isabelle Striga, Pdg de Lubrizol France. Nous sommes le 11 novembre dernier. Plus d'un an après le sinistre.
Dans ce courrier, Jacques raconte ses déboires et ses difficultés, de son désarroi et de sa perte financière qu'il estime approximativement à 2500 euros. Il doit remplacer aussi les bâches de son potager.
Lubrizol touché par la situation ?
La lettre aurait elle touché au coeur la responsable française de l'entreprise américaine ? Pour le moins, cette dernière semble avoir été sensible à la lecture de ce cas. L'entreprise accepte de faire un geste vers Jacques Ribel et le contacte :
"On ne peut pas vous donner de l'argent. Par contre on peut vous indemniser autrement"
Jacques Ribel, qui n'est pas homme d'argent, se satisfait de cette proposition. L'entreprise chimique, via Exetech la société mandatée pour gérer les indemnisations, décide de lui payer 600 euros de stères de bois et 400€ de baches à Jacques.
Selon M. Delmas, représentant d'Exetech aucune contrepartie n'a été demandée à monsieur Ribel. "Il n'a pas eu non plus à renoncer à ses droits de justice et n'a pas eu à fournir des preuves de son préjudice".
Un paiement en nature qui aujourd'hui interroge l'Union des Victimes de Lubrizol.
Tant mieux pour vous monsieur Ribel. Mais comment peut-on rembourser des bâches à un simple particulier et refuser de le faire à des gens dont c'est le métier ?
Toutes les victimes déjà indemnisées ?
Cette indemnisation cache une autre réalité selon Christophe Holleville, de l'Union des Victimes de Lubrizol. Les avocats de l'association comptent bien mettre en avant "le cas Ribel" pour débloquer d'autres situations : celles concernant des professionnels lésés et à qui on aurait refusé des paiements. Mais là, chacune de ces affaires dépasse allégrement les 1000 euros.
Car, selon Christophe Holleville et contrairement à ce qu'annonce Exatech, le nombre de victimes ne se limite pas au millier et le nombre de dossiers à traiter est plus élevé que la dizaine.
Il y a 3 400 exploitations touchées par les pluies de suies.
Un cas qui ferait jurisprudence ?
"Jurisprudence, c'est un mot fort et inaproprié", selon Julia Massardier, avocate au barreau de Rouen, qui accompagne une centaine de personnes dans leurs recours judiciaires. L'avocate s'étonne de cet arrangement qui s'est fait entre les deux parties : "de manière informelle et en dehors de toute procédure judiciaire".
"Puisque les demandes faites par voie officielle n'ont pas abouti, pourquoi ne pas faire comme Jacques Ribel ? A savoir : envoyer des courriers de doléances à madame Striga ?", s'interroge l'avocate. La piste pourrait être exploitée par plusieurs associations.