« Je ne peux plus garantir que je ne vais pas être négligente » le témoignage d'un médecin qui démissionne des Urgences

Un mois après le lancement de la « mission flash », annoncée par le président de la République, coup de projecteur sur le service des urgences de l'hôpital de Cherbourg. Equipes sollicitées en permanence, manque de moyens… Une situation pesante qui pousse des soignants à jeter l’éponge, à l’image de Rachel Paggi. Rencontre avec cette médecin urgentiste à bout de souffle.

« J’ai du chagrin, mais surtout j’ai envie de dire à mon équipe que je ne l’abandonne pas. J’aime ce service, j’aime mon métier. » Mais l’amour du métier ne suffit plus, le Docteur Paggi rend sa blouse.

Sous le son des sirènes des ambulances, ce médecin longe l’hôpital Pasteur de Cherbourg, avant de rejoindre l’entrée des urgences. Rachel Paggi connaît ce trajet par cœur, car c’est ici qu’elle exerce en tant qu’urgentiste depuis six ans. Mais dans quelques jours, elle ne franchira plus la porte du service : la soignante a choisi de démissionner.

Des urgences en mauvaises santé

En France, la situation aux urgences est tendue. Et à Cherbourg, le Centre hospitalier public du Cotentin (CHPC) ne fait pas exception. Seuls sept médecins équivalents temps plein sont en poste alors qu’il en faudrait 24, pour que le service cherbourgeois fonctionne correctement. Au-delà de la pénurie de soignants, les moyens matériels font aussi défaut.

« Il me manque des paravents qui tiennent debout pour mes patients. On n’a que deux WC, ce n’est pas suffisant quand on a 40 patients. Il me manque des infirmières ! », s’insurge Rachel Paggi. La quadragénaire a commencé en 1999 en tant qu'agent d'entretien à l'hôpital, avant d'exercer comme infirmière pendant sept ans. Passionnée par la médecine d'urgence, elle n'a cessé d'évoluer dans sa profession, pour devenir Docteur en 2016.

Mais aujourd'hui, elle dénonce la difficulté à apporter le soin nécessaire à ses patients, et notamment l’impossibilité de respecter le secret médical dans son service. « Comment je peux travailler en toute confidentialité, quand les gens sont alignés et séparés par des rideaux de douche ? », interroge Rachel Paggi, les yeux écarquillés. Avant d’admettre : « Quand je ne peux pas garantir de la pudeur à chaque prise en charge, ça me fait violence. »

Une mission flash pour « consolider » les urgences cet été

C’est dans cet établissement cherbourgeois que le président de la République Emmanuel Macron était en visite le 31 mai, pour prendre le pouls de l’hôpital.

Le CHPC n'a pas été choisi au hasard. Pour ne pas surcharger les urgences, un système de régulation d’accès est en place entre 15h et 8h30. Pendant cette période, il n’est plus possible de se présenter aux urgences sans avoir appelé le Samu, en composant le 15.

Lors de son déplacement, Emmanuel Macron a annoncé le lancement d’une « mission flash » afin d’apporter « des réponses très fortes pour consolider nos urgences », pendant la période estivale. Ce rapport, confié à l’urgentiste François Braun, vise à trouver des solutions au manque de moyens à l’hôpital d’ici la fin juin.

« Je n’ai pas le temps de m’occuper des gens »

A Cherbourg, les solutions sont très attendues pour soulager un service sous tensions. Ne pas avoir suffisamment de temps à consacrer aux usagers des urgences, c’est aussi ce que le Docteur Paggi déplore. « Je n’ai plus cette bulle entre le patient et moi, de cinq, dix, quinze minutes », souligne le médecin, qui décrit des journées de travail en apnée.

En permanence sollicitée, elle s’inquiète de ne pas pouvoir être assez à l’écoute, notamment lorsque des patients ont subi des agressions physiques ou sexuelles : « c’est l’interrogatoire qui fait le diagnostic. Mais je ne peux pas faire un diagnostic si je n’ai pas le temps de m’occuper des gens ».

Démissionner pour éviter l’erreur médicale

Aujourd’hui, Rachel Pagi ne parvient plus à supporter ce quotidien pesant. L’urgentiste ne semble plus avoir les épaules pour poursuivre son activité. Elle assimile sa démission à « une forme de droit de retrait », pour ne pas « devenir dangereuse ».

Ma frustration et mon impuissance grandissent et ça devient tellement intolérable que je suis sidérée. Je ne peux plus garantir que je ne vais pas être négligente, parce que je ne peux pas penser à tout. La négligence, ça peut être de la maltraitance par oubli. Je peux faire une erreur.

Rachel Paggi, médecin urgentiste démissionnaire

Si aujourd’hui le Docteur Paggi est à bout de souffle, cette professionnelle reste passionnée par sa mission d’urgentiste. « Je n’ai pas perdu le sens de mon métier, je n’ai pas perdu ma motivation, je reste médecin », insiste la quadragénaire, dans un jardin de La Hague, loin du tumulte des urgences.

C’est dans ce petit coin de verdure que Rachel Paggi tente de prendre du recul. Ici le gazouillement des oiseaux remplace les sirènes des ambulances, mais le médecin ne baisse pas les bras. Le Docteur Paggi est bien décidée à continuer à mettre ses compétences au service des autres.

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