Témoignage. Médecin urgentiste, Charles Jeleff a quitté l’hôpital de Cherbourg, voici pourquoi

Médecin urgentiste au centre hospitalier public du Cotentin à Cherbourg, ancien chef de service, Charles Jeleff a quitté l’établissement pour le privé le 15 mai dernier. En cause : la charge de travail, le recours massif aux intérimaires et des problèmes avec la direction.

Il est rare que les médecins s’expriment sur leurs conditions de travail. Mais à l’approche de la retraite, Charles Jeleff souhaite apporter son témoignage. Médecin urgentiste pendant 35 ans à l’hôpital public, il intègre celui du Cotentin à Cherbourg en 2010. De 2017 à 2020 il devient même chef de service. Mais le 15 mai dernier, il prend une décision radicale : quitter définitivement l’établissement et exercer à temps plein en tant que médecin urgentiste libéral dans une structure privée. Un choix qui s’est "imposé", selon lui,  alors qu'il pensait finir sa vie dans cette institution. Il se dit aujourd’hui plus "apaisé". "A l’hôpital j’y allais la boule au ventre", confie-t-il.

J’ai vu comment se profilait l’été prochain et j’ai dit non là je peux plus. Il me reste quelques années à vivre comme urgentiste et je n’ai plus envie de vivre ça.

Charles Jeleff, médecin urgentiste

France 3 Normandie

Les rythmes effrénés, les vacances d’été raccourcies, des temps partiels non respectés, mais pour le médecin, c’est surtout la perte de sens dans son travail qu'il n'a plus supporté : "Je n’arrivais plus à donner du sens à mon travail aux urgences de Cherbourg : dans l’environnement de travail, dans les gens qui vous dirigent, dans la charge de travail."

Ce qui est difficile pour moi c’est de voir qu’il y a des collègues que j’adore qui continuent aujourd’hui dans le même environnement. Ils vont tenir je ne sais pas combien de temps mais à terme ils ne pourront pas continuer dans cette voie-là.

Charles Jeleff, médecin urgentiste

France 3 Normandie

"Aujourd'hui, la plupart des médecins sont intérimaires"

Une charge de travail qui s’explique par le manque de médecins dans l’établissement : 24 postes sont nécessaires et seuls 7 médecins y sont permanents, souligne dans un communiqué la CFDT du centre hospitalier. Le recours à l’intérim est légion dans l’établissement. "Un mal nécessaire" quand il y a un manque ponctuel, pour Charles Jeleff, mais aujourd’hui, il pointe du doigt cette pratique : "Aujourd’hui, la plupart des médecins qui exercent à l’hôpital de Cherbourg sont intérimaires. Parmi eux, il y a un nombre de médecins qui ne sont plus du tout investis dans ce métier-là."

On a du mal à recruter aux urgences de Cherbourg parce qu’on est qualifié de service difficile : il y a du monde, il y a beaucoup de patients à voir. Si vous avez le choix d’être dans une structure où vous allez pouvoir travailler tranquillement et celui d’être dans le dur pendant 24 heures, de ne pas dormir, vous allez être dans une tendance naturelle à trouver la solution la plus facile.

Charles Jeleff, médecin urgentiste

France 3 Normandie

Si la charge de travail, le manque de personnel et l’organisation ont pesé sur l’ancien chef de service, c’est au sein même de la direction qu’il a ressenti des dysfonctionnements : "J’ai été surpris du mépris qu’elle pouvait manifester à notre égard et surtout à l’égard des soignants." 

Je peux parler aussi de mes soignants : c’est ahurissant des fois ce qu’on leur fait supporter en terme de travail, de rythme jours-nuits, de l’impossibilité de prendre des congés etc. Il y a des urgentistes qui craquent, qui sont déprimés. Quand vous êtes seuls ou en nombre moins important qu’avant devant tous ces patients, on est anéantis et en fait on se demande comment on va terminer une nuit. C’est démoralisant.

Charles Jeleff, médecin urgentiste

France 3 Normandie

Situation tendue aux urgences

Cette situation critique aux urgences de Cherbourg a nécessité une réorganisation dans l’accueil des patients. Depuis lundi 30 mai, les habitants du Cotentin doivent composer le 15 avant de pouvoir accéder aux urgences de l'établissement, à partir de 15 heures et jusqu'à 8 h 30 le lendemain matin. C'est le Samu qui assure la régulation du service et l'orientation des patients. Cette régulation par le Samu était déjà en place depuis le 10 janvier dernier mais ne concernait, jusqu'alors, que les urgences de nuit (de 19 h à 8 h 30).

Ce mode de fonctionnement est encouragé depuis de nombreux mois par l'Agence Régionale de Santé de Normandie pour faire face aux fortes tensions sur les services d'urgence. Plusieurs établissements ont été contraints à des fermetures nocturnes dans la région. D'autres ont été touchés par des mouvements de grève.

C’est dans ce contexte que ce mardi 31 mai le président de la République Emmanuel Macron visite le centre hospitalier du Cotentin pour un échange avec les personnels de santé sur la question de l’accès aux soins urgents et non programmés.

De son côté, Charles Jeleff, triste de quitter son poste mais plus serein, poursuivra ses dernières années de pratiques médicales à Compiègne.

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