Dans ce volet de l'affaire Karachi, les réquisitions du procureur n’ont pas toutes été suivies, au bénéfice de l’ancien Premier-ministre Edouard Balladur. Seul son ex-ministre de la Défense est condamné à deux ans de prison avec sursis. Les réactions à Cherbourg sont amères.
Les réquisitions envers Edouard Balladur étaient plus sévères dans ce volet financier de l’affaire Karachi. Le procureur général François Molins avait requis un an d'emprisonnement avec sursis et 50 000 euros d'amende contre Edouard Balladur. Ce dernier a finalement été relaxé par la Cour de Justice de la République, seule habilitée à juger l’ancien Premier-ministre.
La Cour a estimé que l'origine de 10,25 millions de francs ayant abondé le compte de campagne du candidat Balladur à l’élection n'avait pu être établie. La justice "reconnaît enfin mon innocence", a réagi l'ancien Premier ministre dans un communiqué.
Condamné, F Léotard a "honte pour la justice française"
En revanche, François Léotard a été condamné à deux ans de prison avec sursis et 100 000 euros d'amende. Le procureur avait estimé qu'il était "beaucoup plus impliqué" dans la gestion des rétrocommissions illégales en marge de contrats d'armement dans l’affaire Karachi.
François Léotard a réagi à sa condamnation en écrivant, dans un communiqué: "J'ai honte pour la justice française et ses dérives dangereuses. Je défendrai toujours la liberté de la décision politique".
Pour rappel, lors de l’attentat de Karachi en mai 2002, 14 personnes sont mortes dont 11 ouvriers et techniciens de la Direction des Constructions Navales (DCN) de Cherbourg (Manche). Un attentat qui pourrait être le résultat de représailles liées à l'arrêt de versement de commissions pour garantir des contrats d'armement, selon les familles de victimes.
Balladur relaxé: "aberrant" pour les victimes
Des victimes comme Christophe Polidor, qui se dit très "énervé parce que même si je m’y attendais, je trouve aberrant que Balladur soit relaxé ! Mais venant de la Cour de justice de la République, ça ne me surprend pas, c’est une cour pour protéger les politiques."
Ce qu’il aurait souhaité, c’est que "le procès ait lieu devant un tribunal correctionnel, pour tout le monde. Pourquoi avoir créé une justice particulière pour ces gens-là ? Ce sont des députés et politiques qui jugent leur pairs."
Il poursuit : "Moralement je ne peux pas me résigner mais légalement on n’a pas de recours. Quand on est victime on ne peut pas tourner la page, parce que j’ai été blessé, 56 jours à l’hôpital, avec des séquelles qui s’aggravent, alors je ne pourrai jamais l’oublier…"
Quant à savoir un jour l’entière vérité, Christophe Polidor affirme, quelque peu fataliste, ou réaliste que "la vérité sur l’attentat, 19 ans après, je ne suis pas sûr de la connaitre … la vérité est là –bas au Pakistan, mais les gens ne sont plus là ou ont des fonctions dans d’autres pays ; la justice française n’a jamais pu se rendre au Pakistan… Je n’y crois plus trop."
Sonné debout par le délibéré
Même amertume chez Gilles Sanson, qui se dit "sonné debout".
Lui s’attendait à "un jugement plus cohérent. Au vu du précédent procès, il y a un an, où les accusés ont eu des peines très lourdes. Il y avait Thierry Gaubert, Donnedieu de Vabre, et Nicolas Bazire… Lui a été condamné à trois ans fermes, c’était le directeur de cabinet d’Edouard Balladur. Imaginez un seul instant que le directeur de cabinet puisse faire des montages financiers sans en informer son ministre… c’est absurde, impossible ! Personne ne comprend. Si les Français souhaitent que la Cour de Justice de la République soit encore la référence en matière de justice pour juger nos politiques, je ne comprends plus rien à la justice. On est dégouté, le mot "justice" n’a plus de sens dans ce pays."
Les arrêts de la CJR ne sont pas susceptibles d'appel. Mais François Léotard a annoncé qu'il allait se pourvoir en cassation.