Du 19 janvier au 11 février, Edouard Balladur et son ancien ministre de la défense, François Léotard, comparaissent devant la Cour de justice de la République dans le cadre de l'affaire Karachi. Ils sont accusés de financement occulte de la campagne présidentielle de Balladur en 1995.

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C’est une affaire tristement liée à notre région. Le 8 mai 2002, un attentat à Karachi (Pakistan) ôte la vie de 11 ouvriers et techniciens de la Direction des Constructions Navales (DCN) de Cherbourg (Manche), venus visiter le chantier où devait être construit l'un des trois sous-marins Agosta vendus par la France au Pakistan. Ils sont victimes d’un attentat à la voiture piégée contre le bus qui les transportait.

Aujourd’hui, et jusqu’au 11 février 2021, deux anciens ministres sont jugés sur le volet financier de ce qui est devenu l’affaire Karachi. Ils sont soupçonnés de financement occulte de la campagne présidentielle de 1995 à laquelle se présentait Edouard Balladur et qui pourrait avoir un lien avec l’attaque pakistanaise. La justice va devoir trancher si oui ou non il y a eu financement occulte et malversation il y 25 ans. On fait le point dans cet article.

Pourquoi parle-t-on d’ "affaire Karachi" ?

Tout commence le 8 mai 2002, à Karachi, 14 personnes, sont mortes dont 11 employés français de la DCN basée à Cherbourg et travaillant pour la Marine nationale. Cette attaque ne sera jamais revendiquée. Les auteurs et les commanditaires ne sont toujours pas été identifiés.

Au départ, le juge antiterroriste en charge de l’enquête sur cette attaque, Jean-Louis Bruguière, privilégie la thèse d'un attentat commis par Al-Qaïda. Mais une autre piste émerge en 2009, embarrassante et sulfureuse : elle avance un mobile politico-financier qui relierait l'attentat de Karachi en 2002 à la campagne présidentielle française de 1995. C’est le nouveau juge, Marc Trevidic, en charge du dossier, qui réceptionne un document transmis par le parquet : le rapport "Nautilus". Dans ce rapport des renseignements français, il est consigné que l’attentat de 2002 trouverait son origine dans une affaire de commissions impayées sur le marché des sous-marins, sur fond de règlements de comptes entre partisans de Jacques Chirac et d’Edouard Balladur, au lendemain de l’élection présidentielle de 1995. Le rapport affirme que ces versements avaient été interdits par Jacques Chirac en 1995, aussitôt après son entrée à l’Elysée, afin d’ "assécher les réseaux de financement occultes" au service d’Edouard Balladur. Mais le véto présidentiel aurait privé certaines personnalités pakistanaises des sommes qu’elles attendaient. L'attentat du 8 mai 2002 serait alors des représailles. Pour les familles des victimes c’est également cette piste des représailles qui est privilégiée. C’est ainsi que l’affaire Karachi prend forme.

Financement occulte et malversation ?

Vingt-cinq ans, après la campagne présidentielle d’Edouard Balladur, la justice va devoir faire la lumière sur cette question. L’ancien premier ministre et son ministre de la défense ont-il participé à un système de financement occulte qui pourrait être à l’origine de l’attentat et donc de la mort des 11 ouvriers de la société navale ? La cour de justice de la République devra faire part de sa décision le 11 février prochain.

Ce procès intervient sept mois après les condamnations, le 15 juin 2020, dans le volet non gouvernemental de la même affaire, de six autres protagonistes, dont l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine et d'anciens proches des deux ministres. Le tribunal correctionnel de Paris a estimé que ces prévenus ne pouvaient ignorer, "l'origine douteuse" des fonds versés sur les comptes de la campagne de 1995. Ils ont été condamnés à des peines allant de deux à cinq ans de prison ferme. Ils ont fait appel.

C'est donc maintenant à Edouard Balladur de s’expliquer. Un versement en particulier interroge : 10,25 millions de francs - environ 1,5 million d'euros - en une seule fois et en liquide, juste après sa défaite au premier tour. Le dépôt de l'argent - une majorité de billets de 500 francs - est concomitant avec des allers-retours de Takieddine à Genève. Ce dernier avait affirmé, avant de se rétracter, avoir remis des espèces à Thierry Gaubert - alors membre du cabinet du ministre du Budget Nicolas Sarkozy, et impliqué dans la campagne - sur demande de Nicolas Bazire, directeur de la campagne Balladur. Ces trois protagonistes font partis des six condamnés à des peines de deux à cinq ans de prison ferme en juin dernier.

Tribunal correctionnel et CJR mobilisés

Les deux ministres sont actuellement jugés sur le volet financier de l’affaire par la controversée Cour de justice de la République, la seule habilité à les juger. L'ancien premier ministre Edouard Balladur a toujours assuré n'avoir été "informé de rien sur l'existence de commissions, de rétrocommissions", ainsi que son ancien ministre de la Défense François Léotard. 

Cette procédure devant la CJR remonte à 2017. Cette année-là, la CJR met en examen Edouard Balladur, puis, le 4 juillet, François Léotard. Le 30 septembre 2019, elle décide de les juger pour "complicité d'abus de biens sociaux" et, pour l'ancien chef de gouvernement, "recel" de ces délits. Enfin, le 13 mars 2020, elle rejette les pourvois déposés par Edouard Balladur, confirmant ainsi la tenue d'un procès. Pour "complicité d'abus de biens sociaux", Edouard Balladur, tout comme François Léotard, risque jusqu'à cinq ans de prison. 

Du côté de l’entourage d’Edouard Balladur, c’est au tribunal correctionnel de Paris que  le  procès s’est tenu car le CJR juge les membres du gouvernement pour des infractions commises pendant leur mandat.

Vingt-cinq ans après, l’affaire Karachi est, peut-être, en passe d’amorcer une nouvelle étape vers une vérité tant attendue par les familles des victimes. "On est toujours convaincu qu’il y a un lien entre l’exécution de ces contrats frauduleux avec le Pakistan et la mort de nos proches. Il faut qu’ils parlent parcequ’on en a besoin. (…) On considère qu’ils ont du sang sur les mains", témoigne Sandrine Leclerc, fille d’une victime de l’attentat, présente au procès, dans le public.

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