Lorsqu'on évoque Naval Group à Cherbourg, on pense d'abord à la construction en cours des sous-marins nucléaires d'attaque. Mais une autre activité, moins connue, occupe le chantier naval. Celui de la déconstruction. La France a lancé en 2016 un programme unique en Europe. Depuis janvier, le sous-marin nucléaire "L'inflexible" est en cours de déconstruction. Un chantier que nous avons pu suivre.
Il est 5h du matin, ce lundi 23 janvier 2023. Dans la nuit noire, un monstre d'acier effectue sa toute dernière traversée dans le port militaire.
40 ans après sa mise en service, le sous-marin nucléaire lanceur d’engins "L’Inflexible" revient à l'arsenal de Cherbourg où il est né pour gagner sa dernière demeure : "C'est la fin d'une histoire, il va faire son dernier mouvement et Naval Group va entamer sa desconstruction" explique Xavier Le Lann, membre de la direction générale de l'armement.
L'échouage dans le bassin étroit s'avère très délicat. Même privé de sa tranche nucléaire, le bâtiment mesure encore près de 120 mètres. Les équipes de la Marine nationale et de Naval Group sont sur le pont pour cet exercice de précision. "On est à plus de 6000 tonnes avec beaucoup de gens autour. En terme de manœuvre, c'est assez impressionnant. C'est une belle chorégraphie à voir" lance Thomas Couppey, conducteur de travaux chez Vinci.
Une véritable fourmilière se met en place. L'émotion est palpable. Beaucoup lancent un dernier regard sur "L'inflexible". Dans 18 mois, il n'en restera plus rien :
"Voir un sous-marin comme ça, encore dans son jus, c'est quelque chose. C'est un morceau de l'histoire qu'on va déconstruire là. On a aussi toujours un petit pincement au cœur au moment où on va le mettre à la ferraille"
Olivier LezinResponsable du chantier de déconstruction Naval Group
40 ans d'histoire
Aujourd'hui, plus de 2 mois sont passés. "L'inflexible" n'est déjà plus ce qu'il était. Métamorphosé, à sec, ce sous-marin, autrefois pilier de la dissuasion nucléaire, s'apprête à définitivement rendre les armes. Ce sous-marin nucléaire lanceur d'engins est le dernier de sa série de première génération. L'engin avait été commandé en avril 1974. Il a été mis en cale le 27 mars 1980 et finalement lancé le 23 juin 1982.
Vingt-trois années durant lesquelles il aura effectué 59 patrouilles et passé 90 000 heures en plongée. C'est en janvier 2008 qu'il a été désarmé. Alors forcément, quand les 16 tubes lances missiles de plusieurs tonnes sont retirés, une page d'histoire, à ciel ouvert, se tourne définitivement pour la soixantaine de salariés mobilisés sur le chantier. "C'est la première fois en Europe, à ma connaissance, qu'on déconstruit un sous-marin. Donc forcément on apprend. Et là en venant directement dans le bateau pour travailler, on voit l'expérience qu'avaient nos anciens sur ces navires là".
Des composants dangereux
Mais pour comprendre le but ultime de la déconstruction, il faut se rendre dans les entrailles du bâtiment. Des millions de pièces mécaniques sont démontées. Elles seront fondues puis réutilisées. 90% du sous-marin doit ainsi à terme être recyclé. L'aboutissement d'un long processus. "Avant de pouvoir commencer à travailler tel qu'on le fait aujourd'hui, il y a eu toute une phase d'étude pour inventorier et répertorier tous les risques du bateau" lance Vincent Audrin, chef du chantier de déconstruction Naval Group. Il ajoute :
"On a l'amiante bien évidemment, le plomb mais aussi des PCB. On a beaucoup de matières dangereuses. Faut pas oublier qu'on est dans un navire qui a été construit dans les années soixante où tous ces dangers n'étaient pas forcément identifiés"
Vincent AudrinChef de chantier de déconstruction Naval Group
Une première en Europe
La vente des matériaux revalorisés rapportera entre 2 à 4 millions d'euros à l'Armée. Sa déconstruction représentera seize à dix-huit mois de travail. C’est le quatrième sous-marin du type Redoutable, la première génération de la dissuasion, qui est déconstruit. Ce programme avait été notifié en 2016 à Naval Group par la Délégation générale de l’armement, pour un montant global de 120 millions d’euros. Cinq coques à désamianter, dépolluer, déconstruire et valoriser.
Après "L'inflexible", "Le Terrible" viendra l'an prochain achever à Cherbourg son premier chantier de déconstruction de sous-marins jamais engagé en Europe.
À revoir :