"La syndicaliste" : le rôle de la CFDT de Cherbourg n'apparait pas dans le film

"La syndicaliste", sorti au cinéma ce mercredi 1er mars, raconte le combat de Maureen Kearney, ex-déléguée CFDT chez Areva et lanceuse d'alerte. Victime d'une violente agression et d'un viol en 2012, elle fut condamnée pour mythomanie avant d'être réhabilitée. La CFDT du Pays du Cotentin regrette que soit minimisé le soutien que ses camarades cherbourgeois lui ont toujours témoigné.

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"Le film réhabilite Maureen, moi c'est ce que j'attendais", confie Jean-Pierre Bachmann. Ancien coordinateur du groupe Areva en France, il fut l'un des plus proches camarades de "la syndicaliste d'Areva". Une syndicaliste lanceuse d'alerte qui fut condamnée en 2017 pour dénonciation de faits imaginaires, avant d'être relaxée l'année suivante par la Cour d'appel de Versailles. Un film inspiré de faits réels dont la journaliste de L'Obs, Caroline Michel-Aguirre, en avait fait le récit en 2019. "De ce point de vue, j'ai envie de défendre le film. Mais je n'y retrouve pas le soutien de toute une section syndicale aux côtés de Maureen", regrette le syndicaliste cherbourgeois. 

2012, quand Areva regarde vers la Chine  

En 2011, Maureen Kearney, représentante CFDT, défendait les 50 000 salariés du groupe nucléaire Areva. Elle occupe alors la fonction de secrétaire du comité de groupe européen. Un poste important dans la mesure où la CFDT est la première organisation syndicale du groupe, avec 1 000 adhérents et 350 élus sur environ 400 sièges dans les instances. "Elle avait toute notre confiance, souligne Jean-Pierre Bachmann, également ancien secrétaire-adjoint de l'Union fédérale des syndicats du nucléaire. Elle avait un très bon contact et savait discuter avec les délégations des autres nations." Dans "La syndicaliste", signé du réalisateur Jean-Paul Salomé, le rôle de Maureen est interprété par Isabelle Huppert. "Je retrouve son côté déterminé mais la vraie Maureen me semble un peu plus sensible et empathique", rectifie son collègue et ami.   

Maureen Kearney était en outre missionnée par la CFDT pour connaître des orientations stratégiques du groupe. "On recevait souvent des infos en interne, explique Jean-Pierre Bachmann. En les recoupant, on pouvait se faire une idée de notre avenir. Ce n'est donc pas, comme le présente le film,  un cadre d'EDF remonté contre Henri Proglio qui divulgue ce projet de rapprochement avec les Chinois." 

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Le film "La syndicaliste" revient sur l'histoire de Maureen Kearney, ancienne syndicaliste CFDT chez Areva et lanceuse d'alerte. ©France Télévisions

17 décembre 2012, Maureen Kearney violée et scarifiée

C'est ainsi qu'en juin et décembre 2012, Maureen Kearney a présenté un document qui fixait la volonté d'Areva de travailler avec EDF et les Chinois sur la possibilité d'un réacteur franco-chinois. Maureen Kearney s'inquiète dès lors des répercussions économiques. "S'il y avait transfert de technologie, certains sous-traitants ne pouvaient pas tenir, explique Jean-Pierre Bachmann. C'est le cas de ceux qui travaillent à la forge sur la cuve, les couvercles ou les gros composants comme les sites du Creusot ou de Saint-Marcel. Ces emplois-là, on les aurait perdus."  

Le protocole d''accord est signé en octobre 2012 par le patron d'EDF Henri Proglio et un consortium chinois. La photo de famille autour de la direction d'Areva est diffusée dans la presse. "Le film passe un peu trop sous silence les démarches de la CFDT de demander à la direction des éclaircissements, comme c'était prévu dans l'accord de groupe en ce qui concerne les orientations stratégiques."

Quelques semaines plus tard, le 17 décembre 2012, Maureen Kearney est agressée à son domicile. Elle est retrouvée ligotée, cagoulée, scarifiée d'un "A" sur le ventre, un couteau dans le vagin. "Elle avait reçu des menaces, l'ambiance était, c'est vrai, très tendue, se souvient Jean-Pierre Bachmann, mais on pensait juste que c'était de l'intimidation."  

Une chappe de plomb s'abat alors sur Areva. "On a senti que les questions gênaient, se souvient Christophe Laisné, alors représentant UNSA au comité du groupe européen. L'affaire devait être étouffée. La direction se retranchait derrière l'enquête." Il faut dire que le contexte n'était pas propice aux vagues. "C'était une époque assez troublante. Il y avait eu cet achat de mine qui n'a jamais pu être exploitée car l'uranium n'était pas assez riche, puis la préparation de la vente d'une partie d'Areva à EDF. Le groupe allait changer de nom pour Orano, il fallait oublier ce qui s'est passé avant."

"On ne l'a jamais lâchée" 

Si la CFDT du Pays du Cotentin regrette qu'il n'y ait pas eu une grande avant-première à Cherbourg, Jean-Pierre Bachmann, lui, a pu découvrir le film en décembre dernier au festival de Royan aux côtés de Maureen Kearney. L'essentiel du film lui semble factuellement exact. Reste quelques incohérences. "Par exemple, quand on est syndicaliste, on ne va jamais voir la direction seul comme le montre une scène du film avec Maureen Kearney face à Luc Oursel, le successeur d'Anne Lauvergeon". 

Quant au rôle de Jean-Pierre Bachmann lui-même, il est interprété par l'acteur François-Xavier Demaison. "Le scenario me met dans certaines situations dans lesquelles je n'ai pas été", explique le vrai syndicaliste qui aurait aimé pouvoir contribuer à la véracité du scénario, mais n'a pas été sollicité. 

Certes, il admet qu'il s'en est voulu de ne pas avoir su prendre en compte toute cette pression qui pesait sur sa camarade comme le rappelle le film, "mais quand l'adjudant-chef Brémont (Pierre Deladonchamps) dit à Maureen (Isabelle Huppert) qu'elle est seule et que tout le monde l'a lâchée, c'est faux. J'ai moi-même été auditionné et j'ai témoigné à son premier procès. Et juste après ce 17 décembre, nous sommes allés voir la DRH pour que Maureen soit protégée car on sait combien les lanceurs d'alerte peuvent être gênants pour l'image d'une entreprise..."  

Même si la CFDT s'est déplacée en nombre lors du deuxième procès comme le montre le film, l'ancien syndicaliste reconnaît que face à l'agression, puis aux juges, Maureen a pu se sentir seule. "Mais nous avons toujours été à ses côtés. Avant et après l'agression. Je n'ai jamais douté d'elle car un jour j'ai pu la prendre à part, et les yeux dans les yeux, elle m'a affirmé qu'elle n'avait pas menti, c'était un moment de vérité." 

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