L’histoire du cofondateur des Voiles Écarlates, une association qui offre une seconde chance aux jeunes délinquants en les embarquant en mer pendant une semaine, va bientôt paraître aux États-Unis sous forme de roman graphique.
Marin cherbourgeois, Gérard Bourdet a connu bien des vies : pêcheur, gendarme, responsable éducatif au centre du Bigard à Querqueville. Mais héros d'un "roman graphique", c'est une première.
"Un jour, un type m'appelle, et me dit : "Je suis réalisateur à New-York, je recherche des gens atypiques pour une série. Votre parcours m'intéresse, j'aimerais vous rencontrer". Moi, j'ai d'abord cru à une blague, expose Gérard Bourdet. Je lui ai répondu que je n'avais pas de sous, pas de temps et pas de passeport, et que s'il voulait vraiment me voir, il n'avait qu'à venir ici".
Trois mois plus tard, contre toute attente, ce dernier se présentait à la gare de Caen. Il s'agit de Fredric Lean, réalisateur et producteur américain primé au festival de Cannes et dont le travail a été acquis par Netflix, Amazon Prime, RedBull, Hulu. L'homme de cinéma n'est pas vraiment familier du monde maritime. Mais le courant passe bien entre les deux hommes qui engagent une correspondance régulière.
"La prison n’est pas la bonne solution pour les mineurs. Elle ne permet pas leur réinsertion"
"Il m'a abreuvé de questions, il voulait tout savoir. Moi je lui ai dit que je m'occupais seulement de gamins, et qu'il n'y avait rien d'exceptionnel à cela". Derrière sa gouaille et son ton de "pirate", comme lui-même se plaît à dire, le natif de Tocqueville a pourtant un parcours peu ordinaire. En 1997, il co-fonde l’association Les Voiles Écarlates. Sur le bateau école de l'association, le Croix du Sud, environ 2 200 jeunes délinquants multirécidivistes venus de toute la France sont montés à bord en 25 ans. Objectif ? Les réintégrer dans la société et prévenir la délinquance.
Par groupe de quatre, ces derniers passent une semaine à bord, voire plus, avec un ou deux éducateurs, un bénévole et Gérard Bourdet. "Ça intrigue les mômes. Ils se disent : mais pourquoi veulent-ils passer du temps avec moi ? Gratuitement, puisque nous sommes tous bénévoles. Et moi j'ai été gendarme ! Tout de suite, ça crée de l'échange."
Des histoires, Gérard Bourdet en regorge. Des parcours de vie d'enfants accompagnés il y a 5, 10 ou 20 ans. Avec des issues heureuses, souvent, malgré les cicatrices : "La prison n’est pas la bonne solution pour les mineurs. Elle ne permet pas leur réinsertion. Ce sont des gamins en souffrance, qui ont causé du tort à la société, mais qui ont besoin d'une éducation, de bases solides. La mer leur apporte cela".
D'une série à une BD
La pandémie donne un coup d'arrêt aux projets de série, mais Fredric Lean veut donner de l'écho aux Voiles écarlates. Ainsi naît le projet d'un roman graphique, une BD aux dialogues étoffés, qui retracerait des récits authentiques. "Ma seule condition c'était que l'on raconte des histoires vraies. Que les jeunes puissent se reconnaître. On a donc regroupé quatre histoires réelles qui m'ont marqué. Le récit se déroule sur une semaine, mais en réalité, ce sont plus de 20 ans dans l'association qui ont nourri cet ouvrage", ajoute le marin.
Le projet est lancé. Les deux hommes correspondent par mail et débauchent un dessinateur reconnu, le Philippin Cleofas Sacristan. "Je ne l'ai jamais rencontré mais je lui ai envoyé une centaine de photos et je dois dire que le résultat m'a bluffé", abonde Gérard Bourdet.
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En naissent 68 pages de récit, qui abordent la vie à bord, "l'éducation par la mer" et ce qu'elle apporte à ces jeunes - sans fioritures. "Ils arrivent en se prenant pour des petits voyous. Une semaine plus tard, face à la mer, ils se rendent compte qu'au-delà des 300m2 de leur quartier, ils ne sont rien face aux éléments, tranche le marin. Ces jeunes, on donne un sens à leur embarquement. Il y a un acte de réparation. Par exemple, ils nettoient le port à chaque fois".
Gérard Bourdet ne laisse aucun détail au hasard, annote patiemment les planches que Fredric Lean lui envoie : "Il fallait que le lecteur puisse s'approprier le récit et s'identifier à n'importe quel port. Mais il y a des clins d'oeil à la Normandie : le pont tournant de Cherbourg par exemple".
Une vie tournée vers la mer
Parmi les trois jeunes intégrés au récit, seul Ulysse a conservé son véritable nom. Le jeune bénéficiaire est resté en lien avec Gérard Bourdet, qui a planté une graine dans son esprit. Des années plus tard, le voici devenu commandant d'un bateau à voile. Et ce n'est pas le seul à avoir prolongé l'expérience en mer. Étienne, également passé par l'association enfant, pourrait bien reprendre la barre de l'association. "Je suis vieillissant. Je nomme des capitaines pour ne pas que l'aventure s'arrête", relève Gérard Bourdet, aujourd’hui âgé de 68 ans.
"Je n'attends rien de cette BD, si ce n'est une prise de conscience. Les politiques me disent depuis des années que l'association est formidable : mais pourquoi alors ne développe-t-on pas plus de grands voiliers-école ? Cela existe dans les autres pays, mais en France on préfère enfermer les jeunes."
Gérard Bourdet, marin, co-fondateur de l'association des "Voiles écarlates"France 3 Normandie
Si Gérard Bourdet est aussi investi pour ces jeunes, c'est que lui-même n'a pas eu une enfance dorée : "J'aurais pu tourner délinquant si je n'avais pas été pêcheur puis marin, puis gendarme sous-officier. Tout ça, c'est grâce à la mer. Ça apporte les règles de base : le respect, la hiérarchie, la discipline, le respect des horaires. L'océan m'a cadré, pourquoi pas eux ? Nous ne sommes jamais aussi heureux que lorsque certains nous donnent de leurs nouvelles et ont repris le bon cap !"
Cet ouvrage en est un témoignage. Le roman graphique sortira tout d'abord en anglais, sur Amazon, sans éditeur, "une façon d'interpeller les politiques et les médias français", avant d'espérer attirer l'attention d'un éditeur en France sous le titre "Marées et horizons".
