À l'issue du premier tour, la liste du maire sortant François Brière (DVD) a été légèrement devancée par celle d'Emmanuelle Lejeune (SE). La Gauche emmenée par Jean-Karl Deschamps (DVG) semblait distancée. Mais les écarts en nombre de voix sont faibles. Cette triangulaire reste très ouverte.
Est-ce parce qu'il est l'outsider et qu'il lui faut bousculer la hierarchie établie au soir du premier tour ? Jean-Karl Deschamps se montre le plus offensif. "Il faut éviter de tomber dans le piège qui consisterait à faire de un référendum Tous contre Brière ou Tous pour Brière". Le candidat de la gauche adresse un pique à ses deux adversaires, évoquant "un mandat raté", et assurant que "ceux qui ont fait exploser la majorité" figurent sur la liste d'Emmanuelle Lejeune. "Et ils ont aujourd'hui la même attitude". Il se tourne vers la candididate en brandissant son téléphone : "j'ai un SMS qui m'a été envoyé par erreur qui prouve que votre équipe s'interroge sur la manière dont vous portez les dossiers".
Emmanuelle Lejeune balaie l'insinuation. "Ce sont des manoeuvres politiciennes grossières. Notre projet a au contraire été mûri depuis des mois". La candidate réplique à sa manière, sans élever la voix : "mon engagement est citoyen et surtout pas politicien. Notre équipe est riche de ses complémentarités."
Le maire sortant observe l'altercation de loin en donnant l'impression qu'il compte les points. "Je préfère garder une attitude positive et défendre un projet ambitieux, réaliste et financièrement soutenable. La ville de Saint-Lô a des atouts. Avec ses 20 000 habitants, elle a une dimension intéressante pour les années qui viennent."
Comment faire de Saint-Lô une ville attirante ?
François Brière rappelle que la ville préfecture gagne des habitants "contrairement aux autres ville de cette taille en Normandie" et qu'avant la crise, "nous étions une ville en recherche de salariés, proche du plein-emploi". Le maire sortant estime que "les fondamentaux sont bons" et qu'il faut poursuivre les efforts entrepris.
La fibre sera à Saint-Lô en 2023. Je sais que cela peut sembler lointain à certains, mais la chose est prévue.
L'équipe sortante entend par ailleurs poursuivre "la mise à niveau" des équipements de service public. "Lorsque nous modernisons le pôle enfance par exemple, c'est un élément de l'attractivité d'une ville. Je vous annonce qu'une nouvelle école ouvrira en 2021. Ce sont des équipements qui font le coeur de la ville".
Fidèle à son style, Emmanuelle Lejeune ne se lance pas dans une course aux projets. Elle préfère défendre quelques principes. "Il faut etre réactif. Lorsqu'une entreprise, quelle que soit sa taille, veut s'installer, il faut répondre à ses attentes. Nous devons aussi insister sur la qualité des formations afin de permettre aux entreprises de pouvoir vivre sur notre territoire".
La candidate se fixe aussi comme priorité d'accompagner la vie quotidienne de la population.
Je veux des écoles de qualité, une politique éducative ambitieuse. Je souhaite développer les actions en faveur de la jeunesse. Et nous serons attentifs aux personnes âgées et aux personnes vulnérables.
"Oui, à Saint-Lô, il fait bon vivre. Mais non, la ville n'est pas attractive" tranche Jean-Karl Deschamps. Le chef de file de la gauche le déplore : "on a envie d'aller dans une ville qui sonne. Saint-Lô ne sonne pas. Par exemple, si vous venez vous installer à Saint-Lô, vous aurez du mal à trouver un médecin. Il faut régler ce problème."
Nous étions les seuls à parler de santé avant le premier tour, avant la crise. Notre proposition de créer un centre municipal de santé a encore plus d'acuité aujourd'hui.
La gauche préconise aussi plus de démocratie participative et "un cadre d'éducation positif" pour les enfants. "Il faut qu'ils mangent bien à la cantine. Nous proposons 100 % de bio ou de local." Jean-Karl Deschamps veut aussi "une culture qui frappe". Sa liste promet un soutien plus actif aux équipes en charge de la politique culturelle et la création d'un "festival de street-art qui fera du coeur de ville un musée unique en Francc."
Un centre-ville de la reconstruction à reconstruire
"Le centre-ville est vidé de ses habitants", poursuit Jean-Karl Deschamps. "La raison est connue : c'est la mauvaise qualité du logement. Toutes les politiques menées depuis trente ans ont échoué".
La gauche préconise aussi une limitation à 30 km/h en centre-ville pour favoriser "les déplacements à vélo, à pied, et pourquoi pas à cheval ?"Nous voulons créer une société publique comme Alain Juppé l'a fait à Bordeaux. Elle financera l’acquisition de bâtiments ainsi que leur rénovation, l'isolation phonique et thermique, l'accessibilité. Elle les remettra ensuite sur le marché.
"Il faut repenser les mobilités", abonde Emmanuelle Lejeune. La candidate constate de son côté que les habitants "ont besoin d'une ville apaisée". Elle préconise de moderniser le secteur piéton et d'étendre le périmètre du centre-ville pour y développer les animations et le commerce de proximité.
"On ne vit pas sur les façades", cingle le maire. François Brière considère que les bâtiments hérités de la reconstruction doivent retrouver un nouvel éclat, et pas seulement leur aspect extérieur : "Nous avons un programme de fond pour rénover l'ensemble des îlots, les parties communes, les arrière-cours, et pas seulement les façades..."Nous reprendrons la colorisation des façades qui a été interrompue et qui contribue pourtant à créer une atmosphère dynamique et moderne.
Autre sujet ô combien sensible à Saint-Lô : la place de l'hôtel de ville. François Brière rappelle que le conseil municipal "a voté un projet ambitieux au mois de décembre 2019."
Nous avons prévu 6 000 m² de piétonisation et de végétalisation dans l'hyper-centre et sur la place du général de Gaulle. La question des parkings a été travaillée. Nous savons que c'est un sujet important.
Une ville "violemment modérée"...
Saint-Lô est une ville tranquille, paisible. Même les candidats le disent. Politiquement, elle résume ce département dont elle est la préfecture. Le corps électoral ne goûte guère les extrêmes. La droite modérée et la gauche modérée se sont succédées à la mairie dans un mouvement de balancier assez régulier.
Il faut dire que l'électeur saint-lois n'est pas du genre facile. Il prend même un malin plaisir à malmener son maire sortant. Depuis 1971, un seul à réussi l'exploit de se faire réélire. François Digard (décédé en 2017) a dirigé la ville durant quatre mandats de 1995 à 2014. Au terme de ce long bail, ce dernier avait adoubé un dauphin, le chef d'entreprise Pascal Baisnée. Mais les électeurs lui avaient préféré François Brière, un jeune élu dynamique qui avait quitté la majorité municipale en cours de mandat...
C'est une autre constante : à Saint-Lô, la vie au conseil municipal n'a jamais rien du long fleuve tranquille. Et aujourd'hui, François Brière (47 ans) est à son tour bousculé. Emmanuelle Lejeune a créé une petite surprise en se hissant en tête au premier tour. Cette jeune femme de 43 ans avait été désignée tête de liste par l'association Saint-Lô notre ville qui rassemble des personnalités de tous horizons politiques (écologistes, gauche, droite). Pour autant, Emmanuelle Lejeune est loin d'être une novice en politique. Elle est entrée au conseil municipal en 2008 au sein de l'équipe de François Digard. Depuis 2014, elle siègeait dans l'opposition. Comme on se retrouve...
À seulement 54 ans, Jean-Karl Deschamps est déjà un homme politique expérimenté. Il est entré pour la première fois au conseil municipal en 1995. Il conduisait déjà la liste d'union de la gauche face à François Digard en 2008. Jean-Karl Deschamps qui fut aussi vice-président du Conseil régional de Basse-Normandie a longtemps été un cadre du Parti Socialiste. Il y a conservé quelques appuis : cette semaine, l'ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve s'est fendu d'une vidéo pour lui apporter son soutien. Sa liste constituée in-extremis est arrivée en troisième position le 15 mars. Mais elle n'était distancée que de 500 voix... Tout est encore possible.