La question de l’énergie et de notre dépendance au gaz russe est en question, notamment depuis la guerre en Ukraine. L'Orne est à la pointe de la production en biométhane qui alimente le réseau de distribution de gaz public. Quels sont ses avantages et qu’en disent ses détracteurs ? On fait le point.
La dépendance au gaz notamment Russe depuis la guerre en Ukraine pose question et interroge sur les solutions envisageables en France pour la réduire. La méthanisation, c’est-à-dire le processus de fabrication du biogaz d’où est extrait le biométhane, gaz 100% renouvelable, se développe dans l’hexagone. Mais contrairement aux biocarburants liquides de première génération, ce gaz est utilisé que de manière très localisée en France.
La Normandie, elle, développe cette activité et les projets de méthanisation : 22 sites injectent du biométhane aujourd’hui dans les réseaux de distribution de gaz public l’équivalent de la consommation de 60 000 logements, soit 2,4% de la consommation régionale. À la fin de cette année ce sont 40 sites qui injecteront l’équivalent de la consommation de 100 000 logements soit 4,3% de la consommation régionale.
Dans la région, le département de l’Orne est à la pointe de la production de biogaz avec 11 unités de méthanisation en service sur son territoire. Fin 2021, la part de gaz vert dans les réseaux est de 10% dans le département. Et à la fin de l’année 2022 entre 20 et 30% de la consommation du département en gaz sera vert, estime GRDF. Pour un objectif d’autosuffisance en gaz du département à l’horizon 2030. L’Orne deviendra alors le premier département autosuffisant en gaz en France.
À terme, l’objectif de GRDF est de doter la France de 5000 unités de méthanisation est de rendre le pays 100% autonome en gaz.
Argentan déjà autonome
Pour atteindre cette autosuffisance dans l’Orne, plusieurs moyens : celui du méthaniseur d’Argentan, composé des unités de Fontenai-sur-Orne (Methacance) et d’Argentan (Methanergie) qui alimentent en totalité les 3650 foyers raccordés au gaz naturel. Ce qui fait d’Argentan une commune 100% autonome en gaz.
Le projet de construction d’une station de rebours à Mortagne-au-Perche permettra, lui, de relier plusieurs unités de méthanisation. Sa mise en service est prévue avant l’été 2023. Six méthaniseurs généreront l’énergie nécessaire pour alimenter 12 300 logements.
Comprendre le processus de fabrication du biogaz et du biométhane
La méthanisation est le procédé de fabrication du biogaz, qui est ensuite transformé en biométhane, un gaz 100% renouvelable. Le procédé de fabrication du biogaz (la méthanisation) est le suivant : des déchets organiques sont stockés dans une cuve cylindrique et hermétique, appelée "digesteur" ou "méthaniseur", dans laquelle ils sont soumis à l’action de micro-organismes (bactéries) en l’absence d’oxygène (fermentation anaérobie) et chauffés à des températures comprises entre 38 et 40 degrés, produisant ainsi du biogaz.
Une fois le biogaz produit, il y deux manières différentes de l’utiliser :
- Soit la cogénération : le gaz alimente un moteur qui entraîne une génératrice qui produit de la chaleur et de l’électricité.
- Soit l’injection : le gaz privé de son CO2 devient du biométhane et va être injecté dans le réseau de distribution de gaz public.
Le biométhane peut être utilisé pour le chauffage, la cuisson, l'eau chaude sanitaire, les usages industriels ou encore comme carburant.
Pour la méthanisation, les matières organiques utilisables sont :
- Les déchets des collectivités (tonte des pelouses)
- Les déchets de l'agroalimentaire (pain, épluchures)
- Les produits des exploitations agricoles (résidus de culture, interculture, paille ou encore fumier et lisier)
Se doter d’une unité de méthanisation est un investissement lourd, de plusieurs millions d’euros. Il faut au minimum deux à trois ans pour accompagner un projet : du début de la réflexion à l’ouverture des vannes de biogaz.
Cette production de gaz est une façon de recycler et de valoriser les déchets mais dans la règlementation une partie des récoltes, jusqu’à 15%, peut-être injectée dans le méthaniseur.
La méthanisation permet aussi de valoriser les effluents d’élevage. En effet, l’unité crée un fertilisant agricole organique et inodore, appelé digestat (matière résiduelle après méthanisation), utilisé pour fertiliser les sols en apportant aux cultures un engrais d’origine naturelle, qui contribue à réduire l’achat et la consommation d’engrais de synthèse.
Quelles limites ?
La méthanisation a aussi ses détracteurs qui pointent du doigt le transport de ce gaz : "Les dérives de la méthanisation c’est justement des groupements d’agriculteurs qui ne sont pas directement locaux, qui sont distants du projet construit, où cela implique des transports de matières et donc un besoin en énergie important pour produire du gaz" , estime Dominique Delanoë de l’association des hérissons masqués, qui s’oppose aux projets de méthanisation.
Le TRE (Taux de Rendement Energétique) est de 1 : on a besoin autant d’énergie à mettre en œuvre pour produire la quantité d’énergie qu’on récupère au final.
Dominique Delanoë, association des hérissons masquésFrance 3 Normandie
Dans la règlementation française une partie des récoltes, jusqu’à 15%, peut-être injectée dans le méthaniseur. Et c'est ce que dénonce les opposants à la méthanisation à grande échelle.
Si on voulait compenser le gaz russe il faudrait 5000 méthaniseurs installés minimum. Cela représenterait 5, 6 départements en France à consacrer uniquement à la culture pour alimenter les méthaniseurs.
Dominique Delanoë, président de l'association des hérissons masquésFrance 3 Normandie
Selon Philippe Lahet, directeur du réseau GRDF pour la région Nord-Ouest, "la grande majorité" des méthaniseurs fonctionnent avec des "effluents d'élevage", sans donner de précision sur le nombre d'installations qui fonctionnent avec un mélange déchets et culture. "Il y a des installations qui traitent des résidus de culture voire certaines des résidus de l'industrie agroalimentaire. La règlementation française favorise les installation qui utilisent des lisiers et des effluents d'élevage donc c'est plutôt vers ça qu'on va même si on peut traiter aussi quelques résidus de culture."
Dans un communiqué rapporté par nos confrères de L'Orne Hebdo la Confédération paysanne de l’Orne, réclame un moratoire sur la méthanisation. Le syndicat se dit inquiet et veut alerter sur les dérives, selon elle, de cette activité de méthanisation en questionnant, justement, le rôle de l’agriculture : "l’agriculture de demain doit-elle être énergétique ou alimentaire ?". Elle met en avant les dérives que le processus de fabrication pourraient provoquer sur "l’économie rurale." Car, selon la confédération paysanne, la méthanisation de type "industriel" va à l’encontre du cahier des charges demandé aux agriculteurs.
Alors que les thématiques agricoles en terme environnemental s’orienteraient vers une extensification des productions afin de réduire l’empreinte écologique, l’installation de ces modèles de type industriels ne tolère pas une baisse de productivité végétale nécessaire à leur fonctionnement afin de rester dans les cadres législatifs. Ils auront donc tendance à intensifier celle-ci ou s’agrandir de manière à assurer leur autonomie.
Confédération paysanne de l'OrneCommuniqué
Une conséquence qui aurait un impact direct sur l’installation de jeunes paysans sur de petites structures, créant une "concurrence sur le foncier."
Fin février, des opposants au projet de méthanisations à Mortagne-au-Perche – évoqué plus haut dans l’article – issus d’associations de protection de l’environnement se sont réunis pour réclamer une consultation publique sur l’installation de cette station de rebours. "On demande une étude d'impact environnemental global qui tienne compte tant de ce projet d’infrastructure mais aussi des méthaniseurs qui vont venir se greffer. Parce que ce projet, il va générer des unités qui n’existaient pas aujourd’hui", explique l’une des opposantes.
La méthanisation, procédé permettant de produire du gaz renouvelable, a donc aussi ses opposants qui pointent, entre autres, du doigt une solution énergétique pas forcément verte.
Pour en savoir plus, retrouvez en Replay sur France 3 Normandie notre édition du 19/20 sur le biogaz et les biocarburants du mercredi 27 avril 2022, depuis la société de méthanisation "Beaulieu Méthanergie" située à Argentan.