Le personnel a déjà passé six semaines confiné au printemps dernier avec l'ensemble de "ses" résidents. Le Covid-19 est entré, cette semaine, pour la première fois dans leur EHPAD : en réponse, ils se reconfinent spontanément, "par choix et pour préserver le maximum d'entre eux".
Cette décision n'a rien d'anodin dans leurs vies respectives. Beaucoup ont un ou plusieurs enfants à la maison et des conjoints qui vont devoir, à nouveau, tout gérer seuls, pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Mais l'élan a été immédiat. Sans regret et avec le soutien de leur entourage : "On préfère ce sacrifice que de les regarder partir sans rien faire". Les mots sont forts, la bienveillance aussi.
Quinze personnels de l'EHPAD (Établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) Glos-la-Ferrière, à la Ferté-en-Ouche, près de l'Aigle, dans l'Orne, ont ainsi spontanément décidé vendredi dernier un reconfinement immédiat. Ils ont opté pour le huis-clos total à l'annonce de l'arrivée du Covid-19 dans leur établissement. Et cela sans attendre une directive du gouvernement ou de qui que ce soit. C'est un acte volontaire et concerté alors que les résultats des tests effectués dans leur établissement est venu les glacer : personne ne s'attendait à ça, ici, après tant de mois. Mais le coronavirus a vaincu les gestes barrières pourtant scrupuleux.
17 cas de Covid-19 cette semaine et deux décès : l'effroi
"On avait jusque-là réussi à préserver nos résidents du virus. Nous n'avions jamais eu de cas. Mais là c'est la douche froide, on a 17 personnes positives, du jour au lendemain. Et malgré notre confinement immédiat et tout notre dévouement, deux personnes sont décédées ces dernières 48 heures. C'est dur, très dur."
Charlotte Frédéric, la directrice de cette maison de retraite est touchée mais pas abattue. "On fait au mieux pour que les autres passent la période préservés de ce qui se passe à l'extérieur. On avait décidé vendredi de se reconfiner pour une semaine, finalement on va prolonger jusqu'au 6 novembre."
La salle de vie transformée en dortoir, plus de camping-cars
Entre vendredi et samedi, la salle de vie a été transformée en dortoir provisoire pour le personnel. Les résidents sont, cette fois, consignés dans leur chambre, tests positifs obligent.Au printemps, c'était une autre ambiance. Tout le monde a vécu au Glos-la- Ferrière comme si le coronavirus n'existait pas. Avec des chants et des jeux de cartes, tout l'après-midi pour occuper les résidents. La télé était coupée, sauf pour se distraire un peu. Mais tous ensemble, ils se sont placés dans une bulle qui les a, d'ailleurs, bien protégés.
Au printemps, leur confinement à tous avait commencé le 30 mars, 15 jours après la date officielle et le premier discours du Président Macron. Il a duré jusqu'au 11 mai. Un week-end de "permission" avait bien-sûr été possible pour quelques "parents" qui rentraient voir leur famille, "avec toutes les précautions d'usage, ce fût possible."
Pour plus d'intimité et rattraper parfois la fatigue où lâcher la pression, le Centre Intercommunal du Pays de l'Aigle avait bien fait les choses : 6 camping-cars et caravanes avaient alors été loués ou prêtés.
Cette fois-ci, on est en automne-hiver et le coronavirus est dans l'établissement. Le travail est parfois plus compliqué la nuit. L'équipe préfère ne pas se mettre à l'écart sur un parking et rester "soudée, prête à intervenir s'il y a des besoins urgents."
Les liens tissés pendant le premier confinement sont plus forts que tout
Leur carburant ? Le regard et la reconnaissance de leurs résidents. Pendant six longues semaines, loin du quotidien et de leur propre famille, ils les ont préservé de l'isolement et du virus, lors de la première vague. Au cours de cette période pas comme les autres, un attachement particulier s'est développé. Rester le jour et la nuit, passer de longues heures à l'écoute et dans l'échange, a indéniablement créé un lien très fort.On sait qu'il ne faut pas mélanger travail, mission de santé et affectif mais on est avant tout des humains et pas des robots.
Parmi ces quinze volontaires, il y a tous les corps de métiers d'un Epahd : une infirmière, des aides-soignantes, du personnel de cuisine, la directrice, etc. Il y a le noyau dur, celui qui a fait l'intégralité des six semaines lors de la première vague et quelques nouveaux.
"J'ai beau être directrice, ce matin j'ai fait des toilettes et servi le petit-déjeuner", explique tout naturellement Charlotte Frédéric. La dernière fois, ils sont ressorti de cette bulle sans trop de difficulté. "Mais nous étions accompagnés d'un suivi psychologique. On parle beaucoup en groupe. On extériorise un maximum. Retourner à la vie normale est forcément une étape. Il n'y a pas eu trop de difficultés, c'est bien pour cela que l'on recommence."
Avec ce virus, on est tous dans le même bateau. Alors, nous, on a choisi d'être là pour eux. Peut-être que quelque part, on se sent coupable que le virus soit rentré malgré toutes nos précautions. Je ne sais pas.
Et pourtant ce qui leur paraît une évidence est loin de l'être pour tout le monde soignant. D'abord, très peu d'établissements ont pu offrir ce service hors du commun à leurs retraités. Et ceux qui l'ont fait ne vont pas tous se reconfiner.
"Pour nous, il est hors de question de retourner dans cette bulle, trop dur d'en sortir"
Un EHPAD, près de Lisieux, avait lui-aussi opté pour le confinement du personnel et des résidents en mars dernier. L'isolement avait duré quatre semaines. Mais cette fois, il n'en n'est même pas question alors que là aussi, le virus est dans les murs depuis quelques jours.Imaginer revivre ce huis-clos paraît inimaginable à la direction. Les congés ont été rattrapés cet été, ce n'est pas le problème. "Mais pour nous, il est hors de question de retourner dans cette bulle, c'est trop dur d'en sortir."
Le choc du déconfinement brutal n'a pas été digéré. Il est même encore trop tôt pour mettre des mots sur ce qui a été ressenti lors du retour à la vie normale. "On avait peur de tout, de tomber malade. C'était trop dur une fois dehors."
Ces derniers jours, en Normandie, le nombre de cas s'est multiplié dans les établissements qui accueillent les personnes âgées. Sur 133 clusters recensés par l'Agence régionale de Santé entre le 23 et le 27 octobre, 46 sont dans des Ehpad, soit un sur trois.