En mars 2017, le réalisateur Philippe Le Guay tournait son nouveau film dans le Perche. A l’affiche de Normandie Nue, les acteurs François Cluzet, François-Xavier Demaison, et un bon nombre de figurants locaux, dont nos deux journalistes d’Alençon. Récit dans la peau d'un figurant.
Lorsque nous arrivons sur le site de l’ancienne RN12, à Courgeoût dans l’Orne, le décor semble plus vrai que nature. Une petite dizaine de tracteurs, des bottes de paille, des banderoles affichant des slogans du type « La mort est dans le pré » composent un blocus paysan en modèle réduit.
Le responsable du casting et le régisseur viennent à notre rencontre et nous indiquent où garer notre voiture siglée « France 3 Normandie » qui fait elle aussi partie du décor.
Il est 8h30 du matin ce mercredi 3 mai. Avec mon collègue Damien nous rejoignons les agriculteurs du coin qui tournent déjà dans le film depuis plusieurs semaines. Nous en reconnaissons d’emblée certains que nous avons interviewés dans d’autres circonstances (réelles celles-là).
Nous prenons le café pendant que le staff technique commence à s’activer autour de nous. On nous dit que la journée est payée 84 euros net. L’équipe de Normandie Nue est constituée d’une quarantaine de personnes. Une voiture arrive. Philippe Rebbot et Samuel Churin, deux acteurs, en descendent et saluent les figurants comme s’ils se connaissaient de longue date.
La pluie normande commence à pointer lorsque Philippe Le Guay et ses assistants arrivent sur le lieu du tournage. Le réalisateur, bienveillant et sympathique, explique à tout le monde la scène que l’on va tourner pendant deux jours.
Il s’agit d’une manifestation d’agriculteurs, pris à la gorge, qui n’arrivent plus à vivre de leur métier. Hochements de têtes approbateurs parmi les figurants. Philippe Le Gay se dirige vers nous. « Alors les journalistes vous allez arriver en voiture, vous garer devant les gendarmes, sortir votre matériel et commencer à filmer. »
Dans cette scène, nous posons des questions au maire du village Georges Balbuzard (François Cluzet) ainsi qu’à d’autres agriculteurs. Puis nous interrogeons un bobo parisien qui vient de s’installer dans le Perche (François-Xavier Demaison) et qui tient un discours idéalisé et grotesque sur le monde paysan.
Lorsque le reportage est diffusé, les agriculteurs s’aperçoivent que la parole n’a été donnée qu’au parisien et que leurs revendications ont été occultées. Bon, disons le tout de suite, ce n’est pas très plausible et la vision de notre travail est un peu caricaturée, mais il s’agit d’un rôle de composition…hein ?
Cette scène du film est charnière, car pour donner aux agriculteurs plus de visibilité un photographe américain (coincé dans l’embouteillage) leur propose de poser nus au milieu d’un champ. D’où d’ailleurs le titre : « Normandie Nue »
Nous voilà dans notre voiture. Le talkie crépite : « Moteur demandé. Silence s’il vous plaît. Ça tourne…. Action France 3 ! Action ! ». Nous nous garons devant les gendarmes tandis que le steadicam nous suit de près. Drôle de sensation… Un peu celle de l’arroseur arrosé.
Nous recommençons la scène une fois, deux fois, trois fois… Entre les prises, nous discutons avec les autres figurants. Grégory Gadebois, un acteur, s’approche de moi. Il me dit que la voiture fait très réaliste ! Je lui apprends que nous sommes de vrais journalistes. Ça le fait rire. La frontière entre la fiction et la réalité est ténue.
Justement, voici François Cluzet et François-Xavier Demaison. Tout sourires, ils prennent le temps de serrer la main à tout le monde. Certains en profitent pour les prendre en photo. C’est le cas des collégiens du Mêle-sur-Sarthe. Une dizaine d’entre eux a été choisi pour jouer les figurants. Ils sont accompagnés de leur professeure de Français, Julie Martin : « D’habitude, les élèves sont plus remuants. Là, ils sont concentrés, c’est sympa. » Tiffany, Océane et Léo sont surpris : « Les acteurs sont décontractés. Je croyais qu’ils allaient être différents de nous mais pas du tout en fait »
©F3N
C’est le moment de notre scène avec François Cluzet. Pour se concentrer il sautille sur place. Il est le maire du village Georges Balbuzard. Devant notre caméra il exprime la colère du monde paysan. « Action !» François Cluzet démarre au quart de tour. Son jeu est impeccable.
François Cluzet joue Georges Balbuzar, paysan et maire, dans le film Normandie Nue
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©F3N
Pendant ce temps, François-Xavier Demaison squatte notre voiture, qu’il trouve lui aussi très réaliste ! Puis, nous filmons son interview qui sera insérée dans le faux reportage, lancée par notre présentatrice Gwenaëlle Louis. Il est près de 20 heures. La journée touche à sa fin. Certains agriculteurs ont prévu de passer la soirée avec le réalisateur et une partie de l’équipe du film.
L’atmosphère est familiale. Les Roguet, agriculteurs du Mêle, participent d’ailleurs depuis 6 semaines au tournage en famille, père, mère, fils et fille. Ils ont l’impression de vivre un rêve. Et lorsqu’on leur demande s’ils redoutent la scène finale, quand ils devront se dénuder dans un champ au côté de François Cluzet, Didier reconnaît : « Je ne suis pas fan de me mettre nu mais c’est un symbole. Nous sommes nus face à la crise ». Gérard Pihan, un autre agriculteur, a l’œil qui frise : « ça c’est pas un problème. Quand on va à la plage, c’est pas mieux. Les bains de minuit, on a fait !»
Le reportage sur le tournage du film
Reportage de Nicolas Corbard et Damien Migniau. Les intervenants du reportage: Philippe Le Guay, réalisateur de Normandie Nue - Perrine Roguet, figurante - Hélène Roguet figurante et agricultrice - Didier Roguet, acteur et agriculteur.
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©France 3 Normandie
"La Fée" de Philippe Le Guay
Un film, cela tient à peu de choses, à un concours de circonstances. Philippe Le Guay voulait réaliser un long métrage sur le Perche et le monde rural depuis longtemps, mais il méconnaissait le sujet et n'avait pas ses entrées chez les agriculteurs normands.S'il possède une demeure familiale acquise par ses grands-parents près du Mêle-sur-Sarthe, Philippe Le Guay a toujours vécu à Paris. Pour comprendre la genèse de ce film, il faut remonter une vingtaine d'années en arrière.
A l'époque, Philippe Le Guay n'était pas un réalisateur très connu. Un jour, il croise dans l'escalier de son immeuble une jeune femme qui habite un étage voisin. Il l'aborde et lui demande si cela l'intéresserait de garder ses enfants. La jeune femme accepte et devient pendant quelques années la baby sitter de la famille.
Puis la jeune femme quitte Paris et ils perdent contact. Une quinzaine d'années plus tard, Catherine Bulou est devenu professeure de français à la Maison familiale rurale de Beaumont-les-Autels en Eur-et-Loire. Ce qu'elle aime par-dessus tout ? Faire découvrir à ses élèves des œuvres classiques par l'intermédiaire du cinéma. En s'intéressant à Molière, elle tombe sur Alceste à bicyclette, et il se trouve qu’elle connaît bien le réalisateur.
Elle décide de lui écrire pour lui proposer de venir parler de son film à ses élèves. Le courrier lui revient. Forcément, depuis toutes ces années, Philippe Le Guay a déménagé. Elle se rapproche alors du cinéma de Nogent-le-Rotrou qui lui donne l’adresse du producteur du film. Ce dernier transmet son courrier au réalisateur…qui répond à Catherine et accepte son invitation.
Philippe Le Guay rencontre les élèves et évoque son projet de longue date de tourner un film sur le monde paysan normand. Dans la classe se trouve Perrine Roguet qui parle au réalisateur de la ferme familiale et de son père Didier.
Philippe Le Guay confie à Catherine le soin d’organiser pour lui des rencontres avec les agriculteurs qu’elle connaît. Il tombe sous le charme de la ferme des Roguet et propose même à toute la famille et leurs amis de jouer dans le film. Grâce à toutes ces rencontres, le projet Normandie Nue devient plus concret et obtient les financements. En quelques mois, le tournage s'organise grâce à Catherine, sa « fée » comme la surnomme Philippe Le Guay.