Pour assurer son avenir énergétique, la Normandie fait le pari controversé de la méthanisation

Depuis quelques mois, la Normandie passe la vitesse supérieure en matière de méthanisation, car elle mise sur le développement croissant de cette technologie. Dans dix ans, 400 méthaniseurs devraient être en activité sur le territoire contre 141 aujourd'hui. Un projet controversé soutenu par l'Etat.

A Nécy, dans l'Orne, la future unité de méthanisation peine à trouver sa place parmi les 500 habitants de la commune. Portée par quatre exploitants agricoles, la petite usine devrait produire du gaz et de l'électricité par combustion de déchets organiques d'ici à l'année prochaine. Mais le projet inquiète plusieurs riverains.

Pour retarder sa construction, prévue au mois de novembre prochain, ils sont une vingtaine à s'être regroupés puis constitués en association. Comme quelque 230 collectifs de riverains en France, recencés par un groupe de scientifiques indépendantsLes Hérissons masqués redoutent "la destruction des milieux naturels par un projet industriel", indique l'une de ses membres anonymes, géologue de profession. 

25 000 tonnes de matière traitées chaque année 

Ce samedi-là, au matin du 9 octobre, trois d'entre eux sont partis tracter dans le village : "On a lancé une campagne d’information depuis qu’on est au courant de ce projet", explique Dominique Delanoë, hérisson masqué. Il assure lutter contre la construction de cette nouvelle unité de production, précisément, et non pas contre son procédé : "On n'a rien contre la méthanisation dès lors que celle-ci est à caractère domestique au niveau d’une ferme par exemple. Là, dans le cas présent, on a affaire à un projet de type industriel. Quand même 25 000 tonnes de matières qui vont être traitées chaque année."

Cette matière organique, principalement composée de fumier et de déchets agricoles, est destinée à alimenter le méthaniseur pour générer du gaz et de l'électricité par combustion. Quatre agriculteurs de la commune associés au projet se sont engagés à la fournir : "35% d’effluents d’élevage, 65% de végétaux", affirme Vincent Meyer, exploitant agricole.

Ce projet va permettre d’alimenter autour de 1200 foyers ou l’équivalent de 66 bus à l’année. Ça va créer des emplois sur le site. Deux emplois non délocalisables plus des emplois induits.

Vincent Meyer, exploitant agricole

Pour celui qui entend cultiver ses terres en "bon père de famille", le futur méthaniseur répond à une "volonté de préparer l’agriculture plus verte de demain et de participer à la transition écologique."

"Le rôle premier de l’agriculture c’est quand même de nourrir les populations"

Les opposants au projet ne sont pourtant pas de cet avis. Ils redoutent, d'abord, que des terres agricoles ne soient uniquement exploitées pour produire du déchet à brûler, plutôt que pour cultiver des fruits et des légumes à consommer : "Le rôle premier de l’agriculture c’est quand même de nourrir les populations", soutient la géologue, membre des Hérisson masqués.

Par ailleurs, l'association craint que la production "intensive" de matière organique, à destination de l'unité de production, n'appauvrisse durablement les sols. Ces derniers sont traditionnellement enrichis en carbone par le déversement de fumier. Cependant, les déchets agricoles sont également indispensables au fonctionnement des méthaniseurs, qui ont besoin d'une quantité importante de fumier, de lisier ou encore de boue de station d'épuration pour générer de l'énergie. "Ces sols sont déjà très appauvris. Si en plus on leur enlève le carbone qu’on leur restitue habituellement par l’intermédiaire des épandages de lisier, de fumier ou autre, ils vont encore plus s’appauvrir", ajoute la scientifique. 

Le groupe d'agriculteurs favorable au projet n'est pas sans ignorer ce risque. "Ça a pu arriver en Allemagne puisqu’ils ne remettaient jamais de digestat [résidu de matières organiques qui enrichissent les sols]. Quand vous prenez au sol et que vous ne ramenez pas, évidemment que vous l'appauvrissez", estime l'agriculteur Vincent Meyer. Pour autant, d'après lui, la peur d'un appauvrissement des terres agricoles n'a pas lieu d'être dans l'hexagone, car il existe un cadre légal précis : "En France, on a 15% maximum de cultures à vocation alimentaires qui peuvent rentrer dans le méthanisé. C’est-à-dire que 85%  c’est obligatoire en France –  n'entrent pas en concurrence avec l’alimentaire."

400 méthaniseurs à horizon 2030 en Normandie

L'Orne, où se situe la commune de Nécy, est l'un des trois départements français les mieux équipés en méthaniseurs agricoles. Quarante-cinq fonctionnent déjà sur son territoire et quatre sont en cours de construction. Mais il n'est pas le seul à être concerné par le développement de la méthanisation. L'objectif affiché de la Normandie est d'investir dans un nombre croissant d'unités de production. La Région mise sur la multiplication de ces équipements.

La carte ci-dessous (fournie par Biomasse Normandie) regroupe les différentes installations en Normandie :

Ainsi, c'est un véritable plan de méthanisation qu'a commencé à lancer la Normandie en partenariat avec l'ADEME, la Chambre Régionale d'Agriculture de Normandie, sa marque NOV&ATECH et l'association de promotion de la filière Biomasse Normandie.  Alors que 141 méthaniseurs sont en activité aujourd'hui, la région projette d'en construire près de 300 de plus d'ici à 2030. "Ce plan sera l'une des pierres angulaires, avec l’éolien et le photovoltaïque, du plan énergétique régional de demain"soulignait déjà en avril 2018 le président de la Région Hervé Morin. 

La méthanisation : une "énergie verte" ?

L'ambition de la région s'incrit plus largement dans la volonté de l'Etat français de réduire ses émissions de CO2. En effet, le Ministère de la Transition écologique souhaite faire de la méthanisation une énergie de substitution aux énergies fossiles, particulièrement émettrices de gaz à effet de serre : "La filière biogaz contribue pleinement aux objectifs de la transition énergétique pour la croissance verte, à savoir le développement des énergies renouvelables, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et le développement d’une économie circulaire", peut-on lire sur le site du Ministère. Les conclusions de l'ADEME – agence environnementale publique – vont également en ce sens. L'agence affirme que la méthanisation est un "processus biologique qui permet d’améliorer le recyclage des déchets tout en produisant de l’énergie verte."

Sur le principe, la méthanisation se produit effectivement naturellement dans les sols, dans les eaux, dans les tas de fumier. Mais un groupe de 25 chercheurs indépendants, membre du Collectif Scientifique National Méthanisation raisonnée, s'inscrit en faux contre l'idée de la méthanisation industrielle comme énergie verte. D'après le physicien Daniel Chateigner, le processus n'est pas neutre en émission de gaz à effet de serre : "C’est un tour de passe passe. Quand je vais utiliser le gaz sur la gazinière, qui vient de l'unité de méthanisation, je vais créer du CO2. Ça, c’est un gaz à effet de serre. A partir de là, on comprend que la méthanisation génère des gaz à effet de serre, au minimum au moment de la consommation d'énergie."

14 accidents de méthaniseurs en Normandie

En plus des émissions de gaz à effet de serre, le collectif se mobilise et poursuit ses études car il redoute des accidents, notamment engendrés par des fuites de gaz. "En Normandie, on dénombre déjà 14 accidents dus à la méthanisation. 300 en France. Des pollutions des eaux par exemple. Nous avons mené une étude d’accidentologie. Nous estimons que le nombre d'accidents a été multiplié par cinq depuis 2015, l’année de l’ouverture des subventions. Il y aujourd'hui cinq fois plus d’accidents de méthaniseurs qu’avant, chiffre pondéré par le nombre de méthaniseurs en fonctionnement, car on travaille vite et n'importe comment. Tout est prévu en auto-contrôle donc, c’est évident, qu’il y a des accidents", ajoute le chercheur Daniel Chateigner. 

Pour limiter le nombre d'accidents et la génération d'émission de gaz à effet de serre, le scientifique et son collectif militent pour que la méthanisation soit développée en circuit court"Il faut utiliser l’énergie en circuit court. L’agriculteur peut l'utiliser pour chauffer sa serre ou les riverains à proximité. Quand on sort de là ça n’a pas de sens. Le problème c’est comment on utilise la technologie. Imaginons des voies intelligentes pour en sortir du nucléaire et des énergies fossiles. La méthanisation à grande échelle n’en fait pas partie."

De son côté, le collectif préconise principalement la baisse de la consommation d'énergie : "Il faut commencer par isoler les habitations qui ne le sont pas pour limiter notre consommation d'énergie et investir massivement dans les pompes à chaleur", estime le scientifique. 

 

 

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