Si vous receviez de l'argent sur votre compte, suite à une erreur de virement de l'expéditeur ? Seriez-vous assez honnête ou assez crédule pour le renvoyer ?
Recevoir de l'argent sans raison sur son compte, c'est ce qui est arrivé à Marc* juste avant Noël. Mais ce n'est pas forcément une bonne nouvelle.
Tout a commencé par un SMS : "le virement de 154 euros a été effectué". Le lendemain, un numéro inconnu tente de joindre Marc à 6 reprises. La 7 ème fois, il décroche et converse alors avec un jeune homme qui dit s'appeler Lucas. Il prétend avoir commis une erreur en envoyant un virement sur son téléphone et voudrait bien récupérer son argent.
L'histoire complète à lire ici : Arnaque au virement par SMS : "trois personnes m'ont harcelé pendant deux jours"
En 48 heures, 3 personnes auront tenté de récupérer les 150 euros au cours de 3 conversations téléphoniques, 7 appels en absence, 2 messages vocaux et 2 SMS, un scénario élaboré mais dans ce cas précis, vain.
En vérifiant son compte, quelques jours plus tard, Marc observe qu'un virement instantané Paylib a bien été effectué via son numéro de portable. Était-ce alors vraiment une erreur commise par un adolescent ? Vous l'aurez deviné : pas du tout. Il s'agit d'une opération de blanchiment d'argent.
Du blanchiment d'argent à petite échelle ou un test de crédulité ?
Nul besoin d'obtenir votre IBAN pour vous envoyer de l'argent. Votre numéro de téléphone suffit si vous êtes inscrit sur une solution de paiement mobile (Lydia, Wero ou Paylib, par ex). Créditer le compte de "cibles" peut paraître étonnant.
"Ce genre de procédé existe depuis longtemps", explique Stéphanie Blaize, directrice de la communication de la Caisse d'Epargne Normandie, "ce sont des techniques de blanchiment d'argent". "Au milieu, il y a en général une banque digitale avec un compte ouvert avec des faux papiers et fermé ensuite rapidement".
"Si cela vous arrive, il faut immédiatement appeler la banque pour prévenir son conseiller, pour qu'il soit vigilant en cas de mouvement suspect" préconise Stéphanie Blaize. Il ne faut en aucun cas rendre l'argent.
Dans le cas de notre témoin, l'argent a bel et bien été envoyé sur son compte. S'il l'avait renvoyée, la somme aurait été plus difficilement traçable. Cette dissimulation de l'origine des fonds, c'est ce qu'on appelle le blanchiment. En cas de recherche d'une brigade financière, seul le compte de Marc aurait été identifiable. Celui des escrocs aurait déjà disparu. En théorie, seul Marc risquait alors des poursuites judiciaires.
Cette technique est utilisée notamment par les trafiquants de drogue pour "blanchir" l'argent sale. Le montant faible de la somme peut étonner mais selon les experts, il peut aussi s'agir d'un test. Une fois la personne mise en confiance, une seconde opération, avec une somme plus importante, peut être tentée. Le mode opératoire avec une petite somme permet aussi de récupérer plus souvent l'argent et de blanchir une grosse somme en multipliant le procédé à grande échelle.
Envoyer de l'argent directement (et risquer de le perdre si la personne ne le rend pas) peut paraître une opération risquée de blanchiment. Il arrive que les fraudeurs aillent jusqu'à proposer un dédommagement financier pour récupérer le montant "viré par erreur".
L'arnaque à la mule, du blanchiment à l'escroquerie pure et dure
Ce blanchiment peut être effectué de façon moins discrète et couplé à une escroquerie. "Le scénario le plus courant", note Stéphanie Blaize, "ce sont des cybercriminels qui s'attaquent à des jeunes sur les réseaux sociaux. Ils leur proposent d'encaisser des chèques (entre 4 et 10) de 1 000 euros et de reverser 900 euros (en gardant 10% pour eux), une fois les chèques crédités sur leur compte". Seulement voilà, une fois les 900 euros virés, les chèques se révèlent sans provisions. Le blanchiment se couple ici à une véritable arnaque imparable : les personnes lésées n'osent pas porter plainte après avoir accepté une opération illégale.
"L'arnaque à la mule est très ancienne et elle est régulièrement effectuée par chèque sur des sommes allant jusqu'à 4 000 ou 5 000 euros" explique Michel Guillaud de l'association France Conso Banque.
Parfois le scénario est assez élaboré."Un fraudeur a passé une annonce cherchant un agent de recouvrement pour relancer ses locataires qui ne payaient pas leur loyer". L'agent de recouvrement novice croit avoir de la chance, il récupère les impayés de plusieurs locataires par chèque, les encaisse et envoie l'argent au propriétaire en conservant les 10% de commission négociés.
"On a vu des gens escroqués de 10 000 à 15 000 euros de cette façon" explique Michel Guillaud. "C'est une faille du système bancaire qui profite aux fraudeurs" ajoute-t-il, "la banque pratique la méthode du crédit direct, c’est-à-dire que les chèques sont crédités sur le compte et les gens s'imaginent que l'argent est là mais c'est une illusion d'optique. Ce qu'on reproche aux banques c'est de ne pas être assez pédagogues là-dessus. Le dépôt peut être annulé jusqu'à 3 semaines après et on trouve ça aberrant".
*prénom modifié