"Ce devait être une fête, on regrette presque la qualification" La galère des clubs amateurs pour organiser les matchs de Coupe de France contre les équipes professionnelles

L'US Bolbec, le FC Serquigny-Nassandres, l'AG Caen, l'AF Virois : ces quatre clubs amateurs normands ont en commun d'avoir affronté des équipes professionnelles en Coupe de France ces dernières saisons. Derrière l'épopée sportive et les festivités d'un rendez-vous de gala, une fête un peu gâchée par les contraintes financières et sécuritaires.

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"On nous a demandé 84 000 euros pour jouer au stade d'Ornano !" La révélation de Kévin Beaufils a choqué et indigné une partie du monde du football la semaine dernière. Pour le président de l'US Bolbec, la joie de la qualification historique pour le 8e tour de la Coupe de France s'est vite estompée derrière la galère de l'organisation du match contre le SM Caen. 

"Est-ce que ça vaut encore le coup de s'inscrire à la Coupe de France ?"

Le terrain du club seinomarin n'étant pas homologué pour accueillir un pensionnaire de Ligue 2, la Fédération française de football lui a demandé de trouver un autre point de chute. Ses dirigeants ont tenté le stade Océane du Havre, mais impossible, le HAC jouant le lendemain contre Angers en Ligue 1. Ils se sont alors rabattus sur le terrain de Pavilly, validé par la FFF... avant un rétropédalage. "La préfecture nous interdit de jouer sur les terrains de Bolbec, Pavilly, Yvetot ou autres pour un problème de hooliganisme entre les supporters de Caen, Rouen et Le Havre, se désole Philippe Beaufils, responsable du sponsoring.

Finalement, devant l'impasse, le match se jouera au stade d'Ornano, mais l'organisation incombera au club professionnel, qui n'ouvrira qu'une petite partie de son stade. Une tribune sera dédiée aux Bolbecais, qui devront toutefois parcourir 100 km pour profiter de "leur match". "Les joueurs se sont chèrement vendus pour avoir cette place-là et on est pris en otage, s'insurge Philippe Beaufils.

On va être pénalisé sur tout. On va aller jouer chez eux, on ne va pas avoir la recette. On regrette presque d'avoir passé le tour. On en est là, alors que ça devrait être une fête ! On se demande si ça vaut encore le coup de jouer la Coupe de France.

Philippe Beaufils, responsable du sponsoring à l'US Bolbec

Il y a un mois, le FC Serquigny-Nassandres (R2) s'est retrouvé dans une configuration similaire. Qualifié pour la première fois de son histoire au 7e tour de la compétition nationale, le club eurois a hérité de l'En Avant Guingamp (L2). Une joie immense à laquelle a succédé le stress de l'organisation, dans un timing serré.

"Entre le moment du tirage et le choix du terrain, il s'est passé quatre jours dont un week-end et un férié, relate Christophe Valentin, président. On a appris l'identité de notre adversaire le mercredi à 11h, deux heures plus tard, Guingamp nous appelait pour nous demander où l'on jouait pour réserver un hôtel..." En résumé, on demande à un club amateur d'organiser un match professionnel, sans être véritablement aiguillé. "On a été livrés à nous-même, pas d'aide de la Ligue, ni du district", se désole le dirigeant, qui note tout de même le coup de pouce d'un délégué "qui a pris l'initiative personnelle" de les aider.

La FFF impose un cahier des charges trop lourd pour les amateurs

Heureusement, le FCSN entretient des contacts privilégiés avec le club "voisin" de Lisieux. Même si le souhait premier était de jouer dans l'Eure, le président s'est donc résolu à délocaliser sa rencontre dans la cité de Sainte-Thérèse. Le terrain trouvé, Christophe Vincent et les bénévoles du club ne sont pas au bout de leur peine.

"On doit gérer la billetterie nous-même, sécuriser le stade, faire des réunions, parquer les supporters adverses, que le bus de Guingamp et les véhicules des officiels puissent se garer à l'intérieur du stade. Il a fallu qu'on fasse appel à une entreprise de sécurité, qu'on trouve des toilettes mobiles pour les supporters adverses..." En somme, les cahiers des charges de la FFF et de la préfecture sont "très lourds", et "tout est très compliqué" pour un club amateur.  

Ils veulent que la coupe de France soit accessible à tous mais ça devient compliqué quand on arive au 7e tour. Il y a des contraintes que seul un club de N2 ou N3 peut résoudre.

Christophe Vincent, président du FC Serquigny-Nassandre

 

Malgré la défaite 5-0, le FCSN a tout de même vécu son moment mémorable. À 35 km de chez lui, mais avec ses supporters, jeunes et bénévoles. Au total, 1 900 spectateurs ont assisté au match et l'EAG a accepté de laisser la recette de la billetterie. Environ 10 000 euros qui couvriront largement les frais engagés, en plus des 6 000 euros versés par la fédération pour une présence au 7e tour de la compétition.

La saison dernière, Guingamp avait déjà fait le bonheur d'un club normand : l'AG Caen. Enfin, le bonheur... "Ça reste un bon souvenir... pour ceux qui n'ont pas vécu l'organisation, se souvient Bruno Belas, coprésident. Je suis bénévole, j'ai passé 80% de mon temps pendant trois semaines à organiser le match".

Quand la coupe met les clubs en danger

Les contraintes de sécurité ont empêché la tenue de la rencontre dans le stade de Venoix, antre habituel de l'Avant-Garde Caennaise. Unique solution selon le dirigeant : jouer au stade d'Ornano. "Le SM Caen nous demandait 50 000 euros, mais c'était une somme inenvisageable. La mairie est intervenue et nous avons trouvé un arrangement". Toutefois, le club y a quand même laissé des plumes, ou plutôt de l'argent.

"En à peine dix jours, on n'a pas eu le temps d'organiser ça correctement, on n'a rassemblé que 2 000 spectateurs et on n'est pas retombé sur nos pieds", regrette le dirigeant caennais. Le club n'est pas rentré dans ses frais, si bien qu'avec des comptes dans le rouge, la DNCG - gendarme financier du football français - a prononcé à son encontre une rétrogradation administrative en fin de saison. Heureusement, la mairie s'est portée garante des dettes et le club a pu se maintenir en N3. 

La réglementation devient tellement lourde qu'elle en devient incohérente. Là où ça doit être une fête, ce n'est pas normal que ça deviennent une contrainte pour un club amateur.

Bruno Belas, coprésident de l'AG Caen

Fraîchement élu à la tête de la Ligue de Normandie, Romain Féret partage le courroux des clubs. "On a une fédération arc-boutée sur des principes réglementaires qui ne sont pas en adéquation avec les réalités de nos collectivités, se désole-t-il. Le constat, c’est aujourd’hui, ça agrandit encore plus la distance entre les pros et les amateurs".

"Il est temps que le foot revienne sur terre"

Le nouveau patron du foot dans la région le concède, "On a beaucoup de retard dans les infrastructures en Normandie". Toutefois, il estime qu'il est "temps que le foot revienne sur terre". "On ferme un terrain parce qu'il manque un mètre de longueur, on invalide un stade parce que la casquette de l'abri de touche est trop près de la ligne alors que ce même terrain a accueilli un stage de l'équipe de France féminine, ce n'est pas possible !"

La Ligue doit-elle entrer en jeu pour accompagner ces clubs amateurs qui réussissent des parcours historiques en Coupe de France, jusqu'à obtenir le graal de défier des pros ? Romain Féret livre une réponse bien normande : "Je dirais non parce que c'est une compétition fédérale, mais oui parce que c'est nos clubs". On jugera sur pièces la saison prochaine.

A Vire, le président Christophe Lécuyer a de l'expérience en matière d'organisation de matchs de haut niveau. Son stade Pierre Compte a accueilli plusieurs fois des rencontres de présaison sujettes à risques comme Caen - Le Havre, Caen - Rennes, Caen - Guingamp. Il a aussi emmené son équipe jusqu'en 32e de finale de Coupe de France.

"Ce que j'en retiens c'est que contrairement à l'adage, en Coupe de France, il faut mettre la charrue avant les bbœufs, affirme le président virois. Comprenez, il est nécessaire d'anticiper une éventuelle qualification et pourquoi pas une confrontation avec un club professionnel. "Ce n'est pas être arrogant, c'est être prévoyant", poursuit-il.

Christophe Lécuyer a appris la leçon à ses dépens. En décembre 2022, l'AF Virois doit accueillir le SM Caen au 8e tour de la Coupe de France. Le club décide d'installer une tribune provisoire de 600 places. Validée dans un premier temps par la FFF, elle est retoquée à l'avant-veille du match alors que tous les billets ont été vendus. Un report du match est décidé.

Ériger un stade intermédiaire pour accueillir certains grands matchs 

Finalement, c'est à d'Ornano que se disputera le match. Vire le perdra sur le terrain mais le remportera sur tapis vert, gagnant ainsi le droit d'affronter Nantes, tenant du titre. Là encore, la rencontre se déroule dans l'enceinte caennaise, le club déboursant au total plusieurs dizaines de milliers d'euros pour organiser ces oppositions. "De grands moments", même si le club "n'a pas capitalisé autant qu'il aurait aimé" sur ces deux rencontres de gala.

Granville et Avranches l'avaient fait, en remplissant d'Ornano en 2016, 2017 et 2020. Mais les adversaires se nommaient alors Paris et Marseille, un tout autre calibre. Mais pour les matchs importants mais de moindre envergure, faudrait-il créer un stade intermédiaire capable d'accueillir 3 à 4 000 spectateurs ? La question s'était déjà posée il y a une dizaine d'années mais était restée sans réponse, soulevant surtout l'interrogation de la ville devant l'accueillir.

Devenu le centre névralgique du football normand avec l'installation du QG de la Ligue et du pôle espoir régional, Lisieux pourrait y prétendre. "Pourquoi pas Houlgate, propose Christophe Lécuyer. Si la région veut bien investir encore quelques millions pour l'adosser au Centre Sportif de Normandie (CSN)". Le ton est badin mais l'idée est à creuser. 

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