"J'avais 13 ans" est un spectacle créé à partir des témoignages de 4 jeunes Dieppois qui ont subi du harcèlement scolaire. Ils joueront sur scène leur propre rôle. Une façon de se reconstruire. La première a lieu le 10 novembre au conservatoire de Dieppe. La pièce tournera ensuite dans les collèges et lycées afin de faire de la prévention sur le sujet.
"Cette pièce de théâtre, c'est une revanche sur ceux qui m'ont harcelé. Ça prouve que ma parole n'est pas effacée, qu'ils n'ont pas réussi à me faire taire, ni à me détruire."
Élodie, 23 ans, est l'une des 4 jeunes qui racontent sur scène le calvaire subi à l'école durant de nombreuses années.
"Pour moi, ça a commencé en primaire. J'ai subi du harcèlement moral, mais aussi du harcèlement sexuel, car j'ai fait, à 7 ans, une puberté précoce. J’avais des seins, des poils, j'étais différente, et plus je tentais de cacher cette différence, plus les autres la voyaient. On me baissait mon pantalon, on me soulevait mon tee-shirt, on m'insultait, on me tapait et on me crachait dessus. Plus j'ai grandi, et plus ça a empiré."
Quatre victimes de harcèlement sur les planches
Élodie montera sur scène et décrira son calvaire, année après année. Une sorte de catharsis. C'est d'ailleurs le credo du Marilù Collectif, qui crée le spectacle. Cette compagnie de théâtre, lancée en 2018 et dirigée par Margot Tramontana, cherche à comprendre la place des individus dans le monde à partir de leurs parcours de vie.
" Nous avons été contactés par la mission locale de Dieppe, qui travaillait avec ces jeunes ayant subi du harcèlement. La mission connaissait notre travail et nous a proposé de mettre en lumière leur parole. C'est vraiment l'objectif de notre compagnie : inviter les gens à porter leur témoignage sur scène, pour libérer leur parole, déconstruire les "a priori" et rendre visibles les corps et la voix de ceux que l'on voit trop peu au théâtre. "
Margot TramontanaMetteuse en scène et directrice artistique du Marilù Collectif
"Je ne pouvais plus mettre un pied à l'école"
Le spectacle mettra 4 jeunes en scène, âgés de 17 à 25 ans. Élodie, Louis, Flavian et Naéva ont tous subi du harcèlement, avec des conséquences parfois très lourdes : déscolarisation, phobies, isolement, tentatives de suicide, peurs paniques.
Élodie se souvient :" dès que je voyais un arrêt de bus, je me mettais à vomir. L'arrêt de bus, ça signifiait aller à l'école. Je ne pouvais plus. J'avais trop peur."
Naéva, elle, a dû être déscolarisée dès la 4e. Elle racontera sur scène combien son harcèlement a transformé son existence en cauchemar.
" J'ai subi du harcèlement au collège Delvincourt, à Dieppe. Ca a eu de très grosses conséquences sur ma vie entière. En 4e, j 'ai été déscolarisée, je ne pouvais plus mettre un pied à l'école. Je pleurais tous les jours, dans ma chambre, dans le noir. J'ai dû faire deux ans d'hôpital de jour à Rouen par la suite car j'avais perdu beaucoup de poids. Je ne suis plus jamais revenue à l'école."
Naéva, 22 ans
Un spectacle créé pour provoquer une prise de conscience
C'est aussi l'un des objectifs de la pièce : faire prendre conscience des conséquences terribles et durables du harcèlement, un fléau qui bouleverse des vies, et provoque un vrai choc mental et physique. Comme un arrêt brutal de l'innocence. Margot Tramontana souligne :
"Ce spectacle est fait pour créer une prise de conscience. C'est une œuvre artistique qui vient alerter sur la réalité du harcèlement et sur les mesures qui ne sont pas encore assez fortes. Le programme gouvernemental de lutte contre le harcèlement "pHARe" a été créé seulement cette année, c'est bien mais c'est insuffisant."
La pièce sera jouée à Dieppe en Seine-Maritime à partir du 10 novembre et tournera ensuite dans les collèges et lycées de Normandie durant deux ans, jusqu'en 2025. Peut-être aussi dans certaines écoles primaires, à partir du CM2.
Un travail de prévention et de réinsertion
" Le but c'est vraiment faire de la prévention dans les écoles", poursuit Margot Tramontana, " mais aussi pour ces jeunes qui sont sortis du système traditionnel, de faire un travail de réinsertion, de venir se reconstruire et faire de leurs histoires une force."
La pièce posera plusieurs questions : comment en arrive-t-on à harceler ? Pourquoi est-on choisi comme victime ?
" On va travailler aussi avec une chorégraphe sur le mécanisme de la meute, de l'effet de groupe", précise Margot Tramontana. "On va aussi inviter un jeune sur scène qui a, quant à lui, été en position de harceleur durant sa scolarité."
Avancer, penser et panser ses plaies
"Au cours du processus de création, nous avons en effet rencontré et interviewé Vincent, un jeune de la mission locale du Tréport qui a été en position de harceleur. Il avait été harcelé et est passé de l'autre côté de la barrière. Comme dans un processus de la justice restaurative, le spectacle se construira en dialogue entre ce dernier et les 4 jeunes victimes de harcèlement."
Ce processus d'échange permet d'avancer, de penser et panser ses plaies
Émilie Rousselet est éducatrice spécialisée à la mission locale de Dieppe. Elle est à l'initiative de ce spectacle, avec ses collègues. "On travaillait déjà avec ces jeunes, qui nous ont parlé de ce qu'ils avaient subi à l'école, et on a décidé de faire une sorte de sondage géant sur Dieppe. Nous nous sommes aperçus que 7 jeunes sur 10 avaient à un moment ou un autre subi du harcèlement ! On s'est dit qu'il était très important d'en parler."
Émilie travaille sur le pôle " bien-être " de la mission locale :
" On accompagne ces jeunes vers l'autonomie et l'emploi, mais il faut leur apprendre à dépasser leurs freins, et surtout, à reprendre confiance. Car la confiance en soi est entamée quand on est harcelé. On travaille sur la prise de parole en public"
Emilie Rousselet, éducatrice spécialisée à la mission locale de Dieppe
Renouer avec le groupe
"L'objectif, c'est aussi pour eux de reprendre confiance dans le collectif," poursuit Emilie. Car ces anciens élèves harcelés craignaient le groupe.
" Là, ils avancent ! ils sont heureux de travailler ensemble, ils sont heureux de se retrouver pour répéter et sont vraiment acteurs du projet. Il y a 5 acteurs sur scène, mais ils sont une douzaine de jeunes issus des missions locales de Dieppe, de Saint-Valéry-en-Caux et du Tréport, ceux qui ne jouent pas travaillent en coulisse. Le sujet leur tient tous à cœur et ils travaillent plusieurs compétences."
Les jeunes se sont déjà imprégnés de leurs textes et ont commencé à appréhender la scène durant une semaine de résidence au collège Jean Cocteau d'Offranville et une autre au collège Georges Braque de Dieppe. Ils sont à nouveau en résidence durant les vacances de la Toussaint au Conservatoire de Dieppe, qui accueillera leur premier spectacle le 10 novembre, au lendemain de La journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire qui se déroulera cette année le jeudi 09 novembre 2023.
Les dates des spectacles à venir :
- le 10 novembre, à 13h30 et 20 h au Conservatoire Camille Saint-Saëns de Dieppe
- le 14 novembre à 14h00 au Drakkar à Neuville-lès-Dieppe
- le 16 novembre à 20h au Casino de Dieppe