Sept réfugiés ukrainiens sont accueillis par un couple de retraités près de Dieppe (Seine-Maritime). A la recherche d’un endroit pour se loger, ils nous racontent leur histoire. Le départ sous les bombes, le voyage interminable, et cette guerre qu’ils vivent à distance.
Lorsqu’on entre dans le petit mobil home où les cinq membres de la famille habitent depuis quelques jours, c’est immédiatement de grands sourires, et de multiples « Bonjour ! » lancés avec un accent prononcé (ils sont russophones). Les enfants montrent fièrement les quelques jouets entassés dans leur petite chambre. Cette poupée Barbie et ce camion Transformers ne ne sont pas les leurs, mais des dons reçus il y a quelques jours.
Le temps d’une seconde, face à cette chaleur humaine et ces yeux pétillants, on croirait presque voir une joyeuse troupe en vacances dans un petit camping près de Dieppe (Seine-Maritime). Cette famille vient pourtant de traverser un enfer, et derrière cette bonne humeur de façade se cache une tension extrême, une inquiétude incessante, un désarroi épuisant.
Vladimir, 63 ans, est ici avec sa femme Ludmila, ses enfants Sofia et Alexandre, et sa mère Yusefa. Ils sont venus en Normandie car ils sont de la famille d’Iryna Hédin, qui habite en France avec son époux, Marie-Joseph Hédin. Le retraité de 80 ans n’a pas hésité à appeler sa belle-famille, à l’aube de la guerre, pour lui proposer de venir se réfugier en France. "ça a été automatique", dit M. Hédin.
Ce sont sept réfugiés ukrainiens qui arrivent alors en Seine-Maritime. La nièce d’Iryna Hédin, Tatiana, vit dans la maison du couple normand avec sa fille, Kira, 8 ans. Les cinq autres dorment donc au camping voisin. Ils sont aujourd’hui en sécurité. En vie. Mais cela s’est joué de peu.
Un voyage de 12 jours, parfois sans eau ni nourriture
Vladimir raconte comment leur voyage a commencé. C’était le 24 février dernier, dans la ville de Kherson (Ukraine).
A cinq heures du matin, les bombardements ont commencé. Très vite, il y a eu des maisons détruites. Alors on est parti tout de suite en voiture, avec les enfants. J’ai pris des papiers, et rien d’autre.
Vladimir, 63 ans réfugié à Dieppe
La famille de Vladimir quitte Kherson pour Mykolaïv, à un peu plus d’une heure de voiture, afin de récupérer Tatiana et sa fille. Le long de la route, il y a de grands champs de blé qui permettent d’avoir une vue dégagée. A travers la fenêtre, la famille peut distinguer une grande colonne de chars russes. « On est parti au tout dernier moment. »
Alors Vladimir roule vite, très vite. «Tu penses seulement a une seule chose : aller loin, le plus loin possible » explique tatiana. Chaque avion qui passe au-dessus de leurs têtes est une source de stress immense. Ils doublent beaucoup d’autres familles, fuyant à pied. Des femmes et des enfants le plus souvent, les hommes de 18 à 60 ans étant restés combattre.
Arrivés à la frontière polonaise, ils trouvent une chambre d’hôtel. Vladimir dort par terre. Mais rapidement les bombardements reprennent, la famille repart. Ils passent alors 24 heures d’affilées dans la voiture, sans eau ni nourriture, ne serait-ce que pour les enfants.
Des enfants déshydratés dans la fuite
La fuite dure 12 jours. Ils passent par Cracovie (Pologne), puis Cologne (Allemagne) avant d’arriver à Dieppe le 8 mars dernier.
Lorsqu’ils passent sa porte, Iryna voit trois enfants traumatisés par l’exode. « Dès qu’ils sont arrivés, les enfants ont voulu rester en haut, et se collaient au canapé pour se protéger. Ils ne voulaient pas manger, mais ils voulaient de l’eau. Beaucoup d’eau. » A quelques kilomètres de la maison, il y a l’aérodrome de Dieppe Saint-Aubin. « Ce matin encore un avion est passé, c’était le stress, tout de suite les enfants ont eu peur. »
Pour que ces enfants et leurs proches aillent mieux, Iryna et Marie-Joseph Hédin se démènent. Depuis quelques jours, les dons affluent : vêtements, jouets, nourriture. Marie-Joseph cherche un appartement ou un grand bungalow pour remplacer le mobil home, et il a une piste pour un travail qui pourrait convenir à Vladimir. Le normand fait également jouer ses relations pour que sa belle-famille puisse subir un examen médical complet. Il sent leur fragilité. Certes, le pire semble derrière eux, mais leurs craintes sont encore grandes.
L'angoisse pour les proches restés en Ukraine
Depuis notre arrivée, Tatiana est celle qui a le regard le plus inquiet. Des yeux fatigués qui regardent, sans cesse, son téléphone portable. Tous sont en lien avec les amis et les proches restés en Ukraine. Le mari de Tatiana est encore à Mykolaïv, pour combattre.
« Ça, c’est Mykolaïv ce matin ». Tatiana nous tend son téléphone portable. Elle fait défiler les photos. Dans une rue dévastée, on voit quelques sacs noirs. On imagine qu’ils contiennent des corps. « Une bombe a explosé près d’un magasin, 8 personnes sont mortes ». D’un mouvement de doigt, elle montre une autre photo. Cette fois, pas de sac. Mais quatre corps sans vie. Dont ceux de deux enfants. « C’est une famille de 4 personnes, à Mykolaïv, là où se trouve mon mari ».
Je ne comprends pas comment les russes, qui parlent la même langue que nous, peuvent faire une chose pareille
Tatiana, réfugiée ukrainienne
Voilà l’angoisse dans laquelle vivent ces réfugiés. Ils ne savent pas comment vont leurs proches, ils ne savent pas si leur maison est détruite, ils ne savent pas s’ils rentreront un jour chez eux.
« Je ne comprends pas comment les russes, qui parlent la même langue que nous, peuvent faire une chose pareille », souffle Tatiana. « La vie d’avant, c’était tellement bien. On travaillait dur, mais on vivait bien, on avait besoin de rien. On avait un appartement, un travail, on ne manquait de rien. On n’imaginait pas venir ici comme des réfugiés, sans rien, sans travail, sans argent. »
En Ukraine, Tatiana est directrice d’une agence de voyage. Vladimir chef d’entreprise, propriétaire d’un grand moulin, avec deux associés. Ludmila est manucure. Tous les trois veulent travailler au plus vite, car ils ne veulent pas « profiter » davantage de la « gentillesse » de tous ceux qui les aident.
« Je ne m’attendais pas à ce que les gens en Normandie nous aide comme ça », nous confie Vladimir, la tête basse, comme honteux, à tort, face à l’élan de solidarité. « Et je remercie énormément Marie-Joseph, qui nous supporte tous les sept. Merci mille fois ». Son dernier « spasiba » (merci, en russe), se termine dans un léger sanglot.