24 juillet 1940. Un mois après la signature d'un armistice entre la France et l'Allemagne, le Meknès met le cap sur l'Hexagone. A son bord, 1 300 soldats et membres d'équipage avides de rentrer au pays. Torpillé par les Allemands, il n'atteint jamais la côte. Et disparaît au large de Dieppe, emportant avec lui 420 passagers. Un drame commémoré chaque année depuis 2010, à l'initiative d'une association de mémoire.
Il y a 83 ans, jour pour jour, le Meknès navigue en Manche, feux allumés, pavillon visible, en direction de Toulon. Il doit ramener plus d'un millier de soldats auprès de leur famille, alors que la France et le IIIe Reich ont signé la fin des hostilités. Intercepté par une vedette allemande, mitraillé de toutes parts puis torpillé, le Meknès sombre au large de l'île de Portland. En seulement dix minutes. "C'est la première catastrophe de la France après sa capitulation. Il n'y a rien eu de comparable à cette époque-là", note David Raillot, fondateur et actuel secrétaire de l'association Les Oubliés du Meknès. "Et ça a été oublié par tout le monde."
Si 900 rescapés sont secourus par des navires anglais puis débarqués, le bilan fait état de 420 victimes, mortes ou portées disparues. "C'était surtout des Français. Mais il y avait aussi un légionnaire de Sarajevo, un Tunisien, un Vietnamien, un Polonais, une dizaine d'Italiens, un Américain...", liste David Raillot. Des soldats alliés, réservistes pour la plupart et avides de retrouver leurs familles après la débâcle de la France - car pour eux, la guerre est finie - mais aussi des marins faits prisonniers par les Anglais lors de l'opération Catapult, le 3 juillet 1940, en cours de rapatriement, et des membres d'équipage.
48 heures de trop
La mer rejette peu à peu un monceau de cadavres sur les plages de Normandie : 243 corps, "dont 116 terriblement mutilés qui ne furent pas identifiés", précise le site Internet de l'association des Oubliés du Meknès, échouent ainsi entre le 23 août et la fin du mois de septembre. Près de 180 corps manquent encore aujourd'hui à l'appel.
Un destin funeste qui aurait pu être évité... Le 22 juin 1940, l'Allemagne impose aux navires français amarrés en Angleterre un délai très strict pour rallier les ports français, un mois jour pour jour après la signature de l'armistice. "Passée cette date", précise encore l'association, "les instructions étaient que 'tous bâtiments de commerce naviguant sous le pavillon français rencontrés à la mer hors de la Méditerranée, seraient traités comme ennemis par la Défense navale allemande'."
Parvenue trop tard à l'amirauté française, c'est cette lourde décision du Reich qui a conduit au torpillage du navire, le 24 juillet 1940, malgré son pavillon tricolore. Aux yeux de la justice, c'est une exécution sommaire, l'armistice ayant déjà été signé. Le gouvernement allemand, lui, se justifie, arguant que les autorités britanniques auraient dû officiellement le notifier avant le départ du navire.
Une journée de commémoration tous les ans depuis 2010
Passionné par l'histoire de Dieppe et de la région, David Raillot se passionne pour le drame du Meknès au fil des recherches qu'il effectue dans l'état civil de Belleville-sur-Mer (Seine-Maritime) et des communes alentours. "Personne ne l'avait jamais vraiment étudié. J'ai récolté des informations, rencontré une première famille [de marins, ndlr], puis une deuxième, et c'est devenu presque ma famille", raconte celui qui a depuis fondé l'association des Oubliés du Meknès.
Un monsieur a perdu son père et ne l’a jamais retrouvé. 83 ans après, il est venu assister aux commémorations, avec son fils, et ils sont vraiment touchés. La stèle de Petit-Caux, c’est le seul lieu de mémoire où ils peuvent se souvenir de leur aïeul. Son nom n’est inscrit nulle part ailleurs.
David Raillot
En 2010, la structure fait poser une stèle en hommage aux 420 victimes du torpillage, sur la commune de Petit-Caux, près de Dieppe. 600 personnes assistent à son dévoilement. Cette année encore, elles sont nombreuses à faire le déplacement : "On attend plus de 150 familles, une vingtaine de porte-drapeaux, quatre ambassades, une trentaine de maires", nous confie David Raillot à quelques heures de l'échéancela.
"22 gerbes vont être posées [la cérémonie a eu lieu ce lundi 24 juillet à 16h30 à Berneval-le-Grand, ndlr]. Les familles arriveront de Montpellier, Toulouse, Calais, Tours, Paris... Certains de nos adhérents habitent en Australie, aux Etats-Unis, au Canada... Tant que des familles des disparus sont encore présentes, on continue, on veut pouvoir les honorer le mieux possible."
Revivez les commémorations dans ce sujet de G. Archiapati et C. Heudes, avec les interviews de Gisèle Leblanc, fille d’un disparu du Meknès, Irène Castagnoli, consule générale d’Italie à Paris, et Raynald Allègue, président de l’association Les Oubliés du Meknès :
L'action de l'association ne s'arrête pas à ces commémorations. Elle se bat pour le devoir de mémoire via des interventions dans des écoles ou des mairies, ou la participation à d'autres événements liés à l'histoire de la Seconde guerre mondiale... Et garde - encore - l'espoir de retrouver les corps des disparus, notamment via l'analyse des courants ou le largage de balises.