Le cargo saoudien "Bahri Yanbu" doit arriver au Havre pour embarquer des armes. Elus, politiques et ONG dénoncent ce chargement, affirmant que ces armes pourraient être utilisées dans la guerre en cours au Yémen
Quelques heures avant l'entrée du navire dans le port du Havre, la France a reconnu qu'un navire saoudien allait effectuer ce mercredi (8 mai 2019) un chargement d'armes mais assuré qu'elle ne disposait d'"aucune preuve" permettant d'affirmer que des armes françaises sont utilisées dans la guerre meurtrière menée au Yémen par l'Arabie.
"Pas de preuves"
"Il y aura chargement d'armes en fonction et en application d'un contrat commercial", a déclaré sans plus de précisions la ministre française des Armées Florence Parly sur la chaîne BFM TV et la radio RMC, interrogée sur le cargo saoudien Bahri Yanbu qui fait route vers le port du Havre, où il est attendu.Mme Parly n'a pas précisé la nature des armes qui seront chargées ni leur destination. Selon une source gouvernementale, "il ne peut pas s'agir de canons Caesar puisqu'il n'y a aucune livraison de Caesar en cours". Le Caesar est un camion équipé d'un système d'artillerie.
La ministre des Armées a de plus répété que, "à la connaissance du gouvernement français, nous n'avons pas d'éléments de preuve selon lesquels des victimes au Yémen sont le résultat de l'utilisation d'armes françaises".
"La France trahit les traités internationaux pour du business"
Cette vente d'armement a été dénoncée hier à l'Assemblée nationale par le député PCF de Seine-Maritime Jean-Paul Lecoq. Dans son intervention dans l'hémicycle il a interpellé le Premier ministre et dénoncé la coalition militaire avec l'Arabie Saoudite contre le Yémen, et la vente de canons Caesar qui bombardent les populations civiles et demandé au gouvernement les moyens de donner au Parlement le pouvoir de contrôler la vente d'armes.Jean-Paul Lecoq (GDR) dénonce la coalition militaire avec l'Arabie Saoudite contre le Yémen, et la vente de canons Caesar qui bombardent les populations civiles et demande au Gvt les moyens de donner au Parlement le pouvoir de contrôler la vente d'armes #DirectAN #QAG pic.twitter.com/8pFX4KnDv7
— Assemblée nationale (@AssembleeNat) 7 mai 2019
Ce mercredi après-midi, interrogé par nos confrères de la radio France Bleu Normandie, Jean-Paul Lecoq a déclaré qu'il demandait que la cargaison soit retenue. Evoquant la signature d'un accord commercial il y a plusieurs années, il a précisé :
On s'en fout !
Si c'est pour tirer sur des populations civiles, à la base ça doit être suspendu !
Des armes françaises au Yemen ?
Selon le site d'investigation Disclose, le navire doit prendre livraison de "huit canons de type Caesar" que l'Arabie saoudite pourrait utiliser dans la guerre qu'elle livre au Yémen aux rebelles houthis, minorité chiite soutenue par l'Iran, grand rival de Ryad.La ligne invariablement avancée par Paris est que ces armements ne sont utilisés que de manière défensive et pas sur la ligne de front.
Or, selon une note de la Direction du renseignement militaire (DRM), révélée par Disclose mi-avril, 48 canons Caesar produits par l'industriel français Nexter "appuient les troupes loyalistes, épaulées par les forces armées saoudiennes, dans leur progression en territoire yéménite". Une carte de la DRM estime que "436.370 personnes" sont "potentiellement concernées par de possibles frappes d'artillerie", dont celles des canons français.
"Mme Parly dit qu'elle n'a pas de preuves. Mais la question n'est pas de savoir si nous avons des preuves mais de chercher par tous les moyens (à savoir) si des armes françaises sont utilisées contre des civils. On l'avait fait en Syrie quand il y a eu des doutes sur les armes chimiques", a déclaré à l'AFP le premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure.
ONG mobilisées
Les déclarations de Mme Parly ont suscité un tollé parmi les ONG. Cela "montre de nouveau l'obstination de la France à poursuivre ses transferts d'armes à ce pays malgré le risque indéniable et parfaitement connu des autorités françaises qu'elles soient utilisées contre des civils", a commenté dans un communiqué Bénédicte Jeannerod, directrice France de Human Rights Watch. Parmi les dizaines de milliers de personnes tuées au Yémen, on compte de nombreux civils.Neuf ONG, dont l'Observatoire des armements, réclament "l'établissement d'une commission parlementaire permanente de contrôle des ventes d'armes, comme en Suède, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas", a indiqué de son côté Tony Fortin, de l'Observatoire des Armements.
Amnesty International appelle de son côté à la suspension du chargement, "afin d'établir notamment s'il s'agit de canons Caesa". "Un tel transfert serait en effet contraire aux règles du Traité sur le commerce des armes que la France a signé et ratifié", écrit dans un communiqué Aymeric Elluin, d'Amnesty International France.
Ce traité de l'ONU, entré en vigueur en 2014, vise à réguler le commerce des armes dans le monde.
Huit questions sur les ventes d'armes de la France à l'Arabie saoudite
L'Arabie saoudite est le deuxième client de la France en matière d'armement, derrière l'Inde. "Ce n'est pas parce qu'un dirigeant dit quelque chose que je suis censé réagir. Et donc je ne vous répondrai pas."