Un CAP chaudronnerie a été inauguré hier au Havre, la sixième "école de production" en Normandie. A mi-chemin entre le lycée professionnel et l'alternance, ces formations seraient une "troisième voie" combattant le chômage des jeunes et alimentant les secteurs qui recrutent. Promesses tenues ?
C’est une nouveauté dans le paysage éducatif français. Ou presque : les écoles de production existent depuis plus de vingt ans. Mais elles fleurissent réellement depuis 2018. Selon les chiffres de la Fédération Nationale des Ecoles de Production (FNEP), on en compte désormais 41 en France, dont 6 en Normandie. Dernière en date, une formation de chaudronnerie au Havre (Seine-Maritime), inaugurée ce lundi 8 novembre. Pour son directeur, Stéphane Lelièvre, et pour sa présidente, la sénatrice (LR) de Seine-Maritime Agnès Canayer, "cette école est une troisième voie dans l’apprentissage, après celle de l’éducation nationale et celle de l’alternance".
Une école pour « décrocheurs »
Ce lundi 8 novembre, 30 parlementaires défendaient le modèle des écoles de production dans une tribune. Signataire, la ministre déléguée à l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé le déblocage de 5 millions d’euros de subventions pour en créer davantage. Pourquoi tant de succès ?
Parce qu'elles créent une synergie entre jeunes, industriels et bassins d’emplois, les Écoles de Production sont particulièrement efficaces face au décrochage scolaire : @gouvernementFR et parlementaires soutiennent leur développement ! @Elisabeth_Bornehttps://t.co/ZNB2EFKBe1
— Agnès Pannier-Runacher (@AgnesRunacher) November 8, 2021
A l’école de chaudronnerie du Havre, on trouve 23 élèves, répartis dans deux classes. Première particularité : ils sont jeunes, entre 15 et 18 ans. La philosophie des écoles de production est de s’adresser aux élèves décrocheurs et trop jeunes pour l’alternance.
"On veut accompagner les jeunes qui ne s’y retrouvent pas dans le système scolaire actuel", explique Stéphane Lelièvre, directeur de l’Ecole de Production Métropole Havraise.
Le leitmotiv des écoles de production : "faire pour apprendre". Car voici bien une deuxième particularité : la pratique l’emporte sur la théorie. "Les élèves sont les 2/3 du temps en atelier, le reste du planning est dédié aux cours théoriques. C’est l’inverse du schéma classique."
Troisième particularité : en atelier, les jeunes travaillent pour honorer de vraies commandes, réalisées par de vraies entreprises. L’idée est de responsabiliser les jeunes en les mettant face à de réels clients, et de les habituer au matériel qu’ils utiliseront durant leur carrière future.
Le modèle des écoles de production est reconnu par l’Etat. "C’est un CAP académique qui est délivré par notre école" précise Stéphane Lelièvre. Pourtant l’école de chaudronnerie est bien privée. Privée, mais gratuite.
Pas de frais d’inscription, que de la motivation
"On a choisi pour tous les jeunes de faire la gratuité de l’école. Quand ils viennent ici, ils arrivent les mains dans les poches : on leur fournit le matériel, la tenue". Stéphane Lelièvre ne demande ni diplôme aux élèves, ni argent à leurs parents. "On demande de la motivation, c’est tout. On ne regarde pas le carnet de note, pas le niveau d’étude. On reçoit les jeunes un par un, on les voit en entretien pour ressentir l’envie et la motivation."
Sans frais d’inscription, l’école est donc financée par des partenaires comme la Région et l’Etat. Des dons et les recettes de la vente des commandes permettent également de remplir les caisses. Mais les plus gros contributeurs sont les fondations, et notamment celle de l'entreprise Total Energies. C’est le cas pour l’école du Havre, comme pour beaucoup d’autres. La société précise sur son site internet : "Nous nous engageons à apporter à la Fédération nationale des écoles de production un soutien financier de 60 M€ sur 10 ans avec un objectif : 100 Écoles de Production pour la France". Total Energies Fundation souhaiterait participer financièrement à la création d'une école de production dans chaque département. "Le budget d’une école de production est important, confie Stéphane Lelièvre, l’investissement lié aux machines dans notre école, c’est 750 000 euros.
Des écoles à la demande
Les écoles de production naissent d’une envie commune entre les industriels et les collectivités d'un même territoire, pour répondre à un besoin commun. L’idée est que chaque bassin d’emploi crée son école de production en fonction des secteurs en tension. Au Havre, c’est après une étude de marché que le secteur de la chaudronnerie a été choisi. Mais les autres écoles normandes proposent des formations différentes : on peut apprendre l’usinage dans le Cotentin, les métiers du bois dans le Calvados, la restauration près de Rouen… Pour être très réactif, et coller au mieux à la demande réelle du marché de l’emploi, "une école de production peut se monter très rapidement, en 9 à 18 mois", selon Stéphane Lelièvre.
"Quasiment 100% d’embauche après la formation"
Si l’on en croit l’enquête de Pôle Emploi sur les secteurs qui recrutent, réalisée cette année, la chaudronnerie fait effectivement partie des métiers en tension. En 2021, sur 580 projets de recrutement en Normandie, plus d’1 tiers sont en Seine Maritime. Et la plus de la moitié sont indiqués comme « difficiles à pourvoir ». A première vue, les écoles de production répondent donc à un réel besoin. Mais que disent les chiffres de recrutement à la sortie de l’école ? Celle du Havre n’a pas encore le recul nécessaire, mais selon Stéphane Lelièvre il y a dans les autres écoles de production "quasiment 100% d’embauche après la formation".
La fédération des Ecoles des production se présente ainsi comme une arme contre le chômage des jeunes. Selon des chiffres communiqués par Pole Emploi Normandie, 40 000 normands de moins de 25 ans sont aujourd’hui sans emploi. Cela représente 15% des demandeurs d’emplois.