Souvenirs d’enfance, projets, sports... Le maire du Havre et candidat à la prochaine présidentielle se confie à France 3 Normandie, au micro d'Emilie Leconte, pour l'émission Dimanche en politique, diffusée dimanche 15 septembre 2024.
Dans le cadre de l’émission Dimanche en politique, diffusée ce dimanche 15 septembre à 11h22 sur France 3 Normandie, Édouard Philippe a choisi de répondre aux questions de notre journaliste Emilie Leconte sur le Quai de Southampton au pied de la fameuse catène de conteneurs.
Pourquoi avoir choisi cet endroit ?
"On est dans un endroit qui compte beaucoup pour moi, parce que d’une certaine façon c’est là que tout a commencé. Mes grands-parents, puis mon père et son frère jumeau habitaient dans cette tour, au 47, au dernier étage.
De famille havraise, je suis né à Rouen où mes parents travaillaient à l’époque et quand j’étais petit je venais y passer mes vacances, mes Noël, mes étés, ici dans cette tour.
Je regardais les bateaux parce qu’à l’époque, il n’y avait qu’une entrée du port, donc tous les bateaux passaient par ici. Il y avait des édicules, des petites constructions portuaires, des camions absolument partout, des bus, parce qu’on embarquait pour les ferries ici.
C’était très actif, très routier, très moche en vérité, d’ailleurs personne ne venait ici, sauf pour y embarquer.".
Vous aviez à cœur de rendre cet endroit aux Havrais ?
"On a ici une vue unique sur plusieurs volumes Perret, l’architecte qui a reconstruit Le Havre après sa destruction totale en 1944. Et donc si on veut mettre en valeur le patrimoine de la Ville, c’est un des endroits où on voit quelque chose d’assez passionnant sur la Reconstruction."
Avec une œuvre aussi pas forcément destinée à rester ?
"Elle n’était pas du tout destinée à rester. Elle a été installée ici en 2017 au moment où on célébrait le 500e anniversaire de la création du Havre. L’idée c’était de placer des œuvres d’art assez monumentales ou intéressantes dans la ville pour que ceux qui viennent au Havre et qui ne connaissaient pas la ville regardent la ville et que ceux qui vivent au Havre et connaissent parfaitement leur ville voient comment elle a changé.
Donc, on a un artiste qui nous a dessiné ça, on s’est dit « mais il est fou ! ». On l’a installée, on s’est dit on va se faire engueuler - d’ailleurs on s’est fait un peu engueuler avant de l’installer - et immédiatement elle est devenue l’un des symboles du Havre.
Les Havrais se la sont appropriée et donc on a changé les fondations qui avaient été prévues pour durer six mois pour faire en sorte « d’arrimer » les conteneurs et l’œuvre, de façons à ce qu’elle puisse être en permanence ici."
Le projet n’est pas terminé. Le quartier n’a pas terminé sa mue ?
"Dans une ville, il y a toujours quelque chose à faire. Ici, en effet, on va transformer cet ancien terminal ferry qu’on appelle l’espace Graillot. On va garder la forme mais on va totalement changer l’aspect extérieur et intérieur et on va transformer cet espace en espace réservé à l’art contemporain.
Notre idée c’est d’avoir un musée d’art contemporain, juste à côté du Muma, qui lui, est consacré à la peinture moderne, notamment aux impressionnistes. Et en face, vous avez ce que l’on appelle la pointe de Floride, et comme la croisière se développe beaucoup au Havre, on a décidé de construire un bâtiment nouveau pour permettre d’accueillir beaucoup mieux celles et ceux qui arrivent au Havre."
Est-ce que le Havre a contribué à « faire » Edouard Philippe ?
"Oui. Vous êtes toujours « de quelque part ». Après, si vous vous résumez à ce quelque part, c’est un peu limitatif. Donc il faut s’ouvrir. Mais vous êtes toujours de quelque part.
Quand vous grandissez près de la mer, dans une famille extrêmement attentive à ce qui se passe sur le port parce que c’est son histoire, quand vous grandissez dans une ville où les rapports sociaux sont souvent rugueux, qui a une culture de la lutte, qui a un rapport avec le passé très étonnant, parce qu’elle a été totalement rasée…
Quand vous faites de la politique ici, eh bien oui, vous êtes forcément un peu différent que si vous en faisiez ailleurs dans des territoires dont la sociologie, l’histoire, la géographie seraient très différentes."
C’est pour ça que vous êtes encore candidat à la mairie du Havre pour 2026 ?
"Je suis extrêmement attaché à ce que je fais ici. Je n’ai aucune envie de quitter le Havre. Peut-être vous souvenez-vous que certains ont eu cette idée. Alain Juppé m’a dit en 2009 « Vous devriez venir faire la politique à Bordeaux et puis je vous laisserai la place un jour ».
Il m’aimait beaucoup, on s’entendait très bien. J’étais très très heureux qu’il me le propose mais je lui ai dit non. Pour moi ce n’est pas un sujet. J’ai envie de faire de la politique ici, au Havre. On fait de la politique dans un endroit où on a des souvenirs, dans un endroit où on a des projets."
Candidats à la mairie du Havre, candidat à l'Elysée aussi ? Deux candidatures, vous êtes gourmands sur ce coup-là ?
"Tout le monde comprend qu'un athlète, un sportif, avant une grande compétition, il se prépare. Vous n’avez jamais vu quelqu’un dire « Les JO c’est la semaine prochaine je vais y aller ».
Ce sont des préparations qui sont très longues, physiques, mentales. Ce n'est pas la même chose évidemment un mandat et une élection. Enfin, ce n’est pas la même chose mais ça ressemble un peu. J'ai toujours pensé que quand on se proposait de faire quelque chose de difficile, il fallait se préparer.
Se préparer, ça veut dire quoi ? Ça veut dire réfléchir. Ça veut dire apprendre, parce qu’on a toujours plein de choses à apprendre. Plus on vieillit et plus on se rend compte qu’on ne sait pas en fait. C’est troublant mais une fois qu’on l’a compris, c'est bon.
On a toujours beaucoup de choses à apprendre sur les gens, sur les problèmes, les enjeux, sur ce qui se passe dans le monde, dont on ne parle pas en France mais qui affecte la France. On a énormément de choses à apprendre et moi je le fais en parcourant la France, en essayant de comprendre sa géographie."
Que vous a appris Matignon ?
"Quelqu’un qui vous dirait j’ai passé trois ans à Matignon et ça n'a strictement rien changé, je pense qu’il vous raconterait des craques. Forcément ça vous change. Ça vous soumet à un rythme qui est très impressionnant, une tension, un stress.
Vous êtes confronté à des sujets qui partent dans tous les sens, avec des degrés d’urgence variables. Hors c'est très difficile d'être un généraliste. Et à Matignon, vous êtes un généraliste et vous devez comprendre très vite un sujet qui peut être hyper technique en matière d'agriculture puis ensuite intervenir sur la fiscalité de je ne sais quoi…"
Et c'est possible ça ?
"Il faut d’abord avoir l’humilité de savoir que même quand on apprend vite on ne sait pas tout et qu’on peut se tromper, c'est une des choses que j’ai apprises à Matignon. Je le savais avant mais entre le savoir et le vivre c’est très différent.
Il faut toujours regarder ce qu'on fait, se battre pour ce qu’on croit et en même temps savoir que parfois on s'est trompé et que donc il faut corriger, c'est la vie. Et tous les gens qui prennent beaucoup de décisions au fond savent ça et pas simplement en matière de politique. Il faut apprendre à vivre avec ça."
Pourquoi avoir annoncé votre candidature à l'Elysée maintenant ?
"Ça fait trois ans que j'ai créé mon parti. Depuis trois ans, on me demande si je serai candidat à l’élection présidentielle. Ça fait trois ans que je dis que je me prépare.
Les évidences, soit vous les formulez jamais, soit vous les formulez clairement. Je décide de la formuler clairement. Je ne suis pas pressé, je suis déterminé."
Si vous n'aviez pas fait de la politique, qu’est-ce que vous auriez fait ? Écrivain ? Enseignant ?
"J'étais fait pour ça. J'étais parti pour en tout cas. Mes parents étaient professeurs et moi j'aimais l'histoire, c’était ma grande passion. J'étais plutôt un bon élève en histoire, donc j'ai fait une classe prépa et je me disais que peut-être, avec un peu de chance, si je travaillais beaucoup, je pourrais faire normal sup et deviendrais professeur.
Mais bon, je n'en avais pas très envie, j'avais vu mes parents le faire. Il y avait un côté un peu répétitif dans le métier de professeur qui m'angoissait et c’est assez usant comme métier donc j'avais envie de faire autre chose. D'ailleurs, j'ai fait beaucoup d'autres métiers.
J'ai été juge pendant quelques années, j'ai beaucoup appris, beaucoup aimé ça. J’ai été avocat, beaucoup appris aussi. J'ai travaillé dans une grosse entreprise industrielle française qui construit des centrales nucléaires. J’ai découvert l'industrie, un vrai apprentissage extraordinaire.
J'ai quand même beaucoup de chance, j'ai 53 ans, j'ai fait plusieurs métiers, ils m'ont tous passionné et aucun ne m'a autant passionné que maire. Donc j'ai de la chance."
Le sport dans votre vie est important, qu’est-ce que ça vous apporte ?
"Mon père ne faisait pas de sport. Il était malade avant que je naisse donc je l'ai toujours connu malade. Il n'aimait pas les supporters de foot, c'est comme ça. Moi, j'ai toujours adoré le sport, pas par esprit de contradiction, mais j'étais très nerveux quand j'étais petit, j’avais besoin de faire du sport. Je faisais du foot, du tennis, du squash. La pratique sportive permet de se sentir bien dans son corps et franchement, c'est important.
Et puis le sport, c'est aussi un jeu. Et plus ça va, moins j'aime les sports qui ne sont pas des jeux. Il faut surtout que j’arrête de penser au boulot. Quand vous boxez, vous ne pensez pas au boulot, sinon vous en prenez une.
J'aime bien les jeux, j'adore le foot, j'aime bien le fait qu'on fait du sport avec d'autres, même si à la boxe on boxe contre quelqu’un, mais on est avec d’autres et on partage quelque chose, c'est formidable. Le sport, ça a une place évidemment hyper importante dans nos sociétés, on l’a vu avec les JO."
Qu'est-ce que vous en avez pensé de ces JO ?
"Ça a créé un moment assez merveilleux de partage, d'enthousiasme, de fierté, d'humilité aussi à certains égards. Donc on a passé un moment extraordinaire."
Un moment léger aussi. Je pense qu'on avait besoin aussi de ce moment-là. Vous l'avez senti comme ça, vous aussi ou pas ?
"C’était une espèce d'ivresse, d'illusion, mais je crois que le pays avait envie, les Français avaient envie d’arrêter de parler politique et d'arrêter de songer au désordre politique qui s'était installé avant et après la dissolution. Ils avaient envie de partager quelque chose d'unique et de rare. Et je crois qu'ils l’ont fait, que ce soit dans les stades, à Paris ou devant leur télévision."
On va regarder quelque chose de ça aujourd'hui ou on va retomber ?
"Il faut être lucide et optimiste, je ne crois pas que parce qu'il y a eu les JO, le monde va changer. Mais quand on dira des horreurs sur des choses qui pourraient arriver quand il y aura des grands projets, peut-être qu’on pourra se rappeler, avec un peu d'humilité, de ce qu’on est capable de faire et avec un peu de fierté, de ce qu'on a été capable de faire."
Qui vous a inspiré pour faire de la politique ? Vous avez été proche d'Alain Juppé, vous avez succédé à Antoine Rufenacht, d'ailleurs, est-ce qu'il y a une rue, une place qui porte son nom ?
"On sait très bien ce qu'on va baptiser en l’honneur d'Antoine, mais il faut encore que cela soit construit. Mais bien sûr, il aura une place éminente. Vous avez cité Alain Juppé et Antoine Rufenacht, j'ai avec tous les deux une relation intense. Et peut-être, à certains égards, encore un peu plus avec Antoine, parce que c'est lui qui m'a formé pendant dix ans, il m'a appris à savoir ce qui était important et ce qui l’était moins. Il m’a appris quand il fallait être dur et quand il ne fallait pas l'être. Il m'a pris énormément de choses et je suis, je lui suis infiniment reconnaissant. C’était un patron extraordinaire.
Vous savez, les gens qui vous impressionnent dans la vie, il y a à la fois les grandes figures de l'histoire, connu ou moins connu, parfois ce sont des personnages romanesques. Ils n'existent pas mais ils ont été créés par des auteurs avec une telle humanité et une telle richesse, par exemple Monseigneur Myriel dans Les Misérables de Victor Hugo. C'est vraiment l'homme bon. Les Trois mousquetaires, Cyrano de Bergerac.
Donc il y a des personnages fictifs qui comptent beaucoup, et puis des personnages que personne ne connaît, mais qui comptent pour vous parce qu'ils vous ont appris des choses, impressionné… C’est dans le cercle familial. Ils ne sont pas connus mais ils comptent aussi énormément.
Vous savez à la fin, on est le produit de plein de choses, d'une éducation, d'un endroit, d'une époque, de nos aspirations, de nos contradictions. On est comme on est, et plus je vieillis, plus je sais que la seule chose qui compte vraiment, c’est d’être tranquille avec qui on est.
Travailler, s'améliorer, apprendre, mais ne pas se faire trop de nœuds au cerveau sur qui on est."
Une dernière question. Qu'est-ce que vous aimeriez laisser à la Normandie ?
"Je ne vais pas vous faire la liste de ce que je souhaiterais faire au Havre dans les années qui viennent parce qu’elle serait longue. Mais si je devais dire le sujet qui me paraît essentiel pour la Normandie, le plus compliqué mais le plus essentiel, c'est la ligne ferroviaire."
LNPN comme on dit ? Ligne nouvelle Paris-Normandie.
"On travaille bien avec le maire de Rouen, on a décidé de travailler en bonne intelligence parce que je pense que c'est bon pour Le Havre, c'est bon pour Rouen et c'est bon pour tout le monde. Donc on se parle, on échange, on essaie de s’aider quand on peut. Les Normands sont assez convaincus par le projet, en revanche, en Île-de-France, c’est beaucoup plus compliqué. C'est vraiment le combat.
Antoine s'est beaucoup battu et pas le seul, Laurent Fabius s'est beaucoup battu aussi à son époque sur ce projet qui avait initialement été lancé par Nicolas Sarkozy. Ensuite, on a essayé de le conserver, de le garder. Moi, j'étais Premier ministre, je me suis battue pour qu'il reste et qu'il continue à avancer et il est, il faut bien le reconnaître, contesté au niveau francilien et il faut qu'on continue à se battre parce que c'est pour nous essentiel.
Pas demain matin, mais pour la Normandie et pour son avenir, une bonne desserte ferroviaire me paraît absolument indispensable."