Dans les petites communes rurales, difficile de trouver le travail qu'on souhaite sans faire des concessions. Moins d'opportunités que dans les grandes villes, peu de transports pour y accéder... les freins à l'emploi sont nombreux.
Si j’avais un logement à Rouen, j’aurais du boulot en bas de chez moi.
Hicham
Le Covid, la guerre, le climat, ils en ont entendu parler. L’emploi, un peu moins. Sujet secondaire de cette campagne présidentielle, il s’agit pourtant de la préoccupation principale et quotidienne d’un bon nombre de français.
Dans le cadre du dispositif Ma France 2022, nous avons choisi d’aborder la thématique de l’emploi dans une ville bien précise : Neufchâtel-en-Bray, en Seine-Maritime. Dans cette commune de 4700 habitants, le taux de chômage était au 1er janvier 2021 à 11,3% contre 8,1% au niveau national.
Située à 70 km d’Amiens, à 50 km de Rouen et à 35 km de Dieppe, Neufchâtel en Bray est la principale ville du Pays de Bray. Quel est le marché de l’emploi ici ? Est-il difficile de se lancer dans la vie active, de trouver du travail, de se reconvertir ou d’installer son entreprise ? Quelles sont les attentes dans le cadre de l’élection présidentielle ? Nous avons posé ces questions à plusieurs habitants.
Ils n’ont pas le même âge, ils ont des parcours de vies uniques, et viennent de milieux sociaux différents. Mais auto entrepreneur, intérimaire ou jeune chômeur, ils partagent tous un point commun : l’envie de travailler.
Mégane, forcée d’aller loin pour trouver un emploi
C’est le problème majeur rencontré à Neufchâtel-en-Bray : la question de la mobilité, des distances et du transport. Pour Mégane, 27 ans, « il faut aller sur Rouen pour trouver dans le domaine qu’on veut ». La jeune femme souhaite se reconvertir « dans le secrétariat, la bureautique ». Son rayon d’action est assez large : elle cherche à Neufchatel, au Tréport, à Dieppe, « mais avec le prix du gasoil, on peut pas aller loin ».
Et avant même de trouver, les simples recherches coûtent cher en essence. Pas de Pole Emploi à Neufchâtel-en-Bray, il faut se déplacer à l’agence de Forges-les-Eaux (à 15 km) pour le moindre papier, le moindre rendez-vous. Ces démarches sont couteuses. Mégane souhaiterait qu’on aide davantage les demandeurs d’emploi qui recherchent activement. « au prix de la vie maintenant, c’est pas évident ».
Hicham, chômeur autostoppeur
Pour Hicham, c’est le même refrain : Rouen, ou rien. Le jeune homme de 23 ans en est persuadé : « si j’avais un logement à Rouen, j’aurais du boulot en bas de chez moi ».
Hicham habite en pleine campagne, « avec rien à 7 km autour ». Il a un scooter, mais pas d’argent pour mettre de l’essence dedans. Alors régulièrement, il va à ses rendez-vous en autostop. Hicham est accompagné dans ses démarches par la Mission locale rurale du Talou, dont une permanence est située dans le centre de Neufchâtel.
Dans la communauté de commune Bray-Eawy, la mission locale effectue un travail dantesque pour aider les jeunes de 16 à 25 ans déscolarisés dans leur projet professionnel. Rien qu’en 2021, 415 jeunes ont été accompagnés dans la ComCom. 117 ont réalisé des immersions en entreprises, 182 ont signé un contrat de travail, 30 ont trouvé un CDI.
« Pour nous le point noir, le frein majeur, c’est la mobilité » confirme Justine Charlet, directrice adjointe de la mission locale. « On voit des jeunes qui dépendent des transports scolaires pour venir ». Difficile alors de chercher du travail pendant les vacances scolaires, par exemple.
Lisa et le problème du "bus de 15 heures"
Lisa recherche un stage dans la vente alimentaire. Boulangerie, café, salon de thé… Elle aussi est particulièrement motivée. Un travail dans une épicerie à Neufchâtel lui conviendrait parfaitement. Mais toute la bonne volonté du monde ne vaut pas grand chose quand on habite Saint-Saëns, à 15 kilomètres de Neufchâtel, et qu’on a pas le permis.
"A Neufchâtel, le dernier bus pour Saint Saens est à 15 heures. Dans la vente, on finit rarement à 15 heures". La jeune femme ne demande qu’une chose : plus de transports dans les campagnes.
Léa, ou quand savoir ce qu’on veut faire ne suffit pas
Même problématique, mais horaire différent pour Léa. Il y a un bus qui part de chez elle, à Bosc le Hard, à 6h30 le matin. Et un deuxième à 13h30.
A 19 ans, après un CAP en milieu familial et collectif, Léa sait ce qu’elle veut faire : travailler dans une maison de retraite. « Les stages m’ont plu, je veux continuer ». Mais il y a peu ou pas de structures où elle habite. Alors sans transports en commun, la jeune femme est bloquée.
Les concessions de Lino
Léa et Lino ont 41 ans d’écart, mais un problème en commun : impossible de travailler dans leur domaine d’activité près de chez eux. A 60 ans, Lino est installateur de cuisine. Il a travaillé dans des lieux particulièrement prestigieux : le Ritz, le restaurant Jules Verne de la Tour Eiffel, les ministères, ou encore l’Elysée. Mais il a quitté la région parisienne pour vivre près de Neufchâtel. Il lui reste 3 ans de travail à effectuer avant la retraite, alors Lino s’est inscrit chez l’agence d’intérim Adecco afin d’avoir quelques missions.
Depuis qu’il est intérimaire, Lino a dit adieu aux cuisines. « Je trouverais certainement une société dans mon domaine sur Rouen, mais ça fait beaucoup de routes, de frais, de fatigue ». Lino accepte alors toutes sortes de missions. Récemment, il a fait plusieurs inventaires en supermarché, ainsi qu’une quinzaine de jours en scierie.
Oui, il y a du travail…
Certes, il n’installe plus de cuisine, mais des missions, Lino en a. L’agence Adecco en trouve régulièrement pour le soixantenaire, comme pour les 170 autres personnes que l’agence d’interim fait travailler – et qui font d’elle le deuxième employeur de la ville.
« Il y a beaucoup d’offres » analyse Laura Caron, directrice de cette agence qui couvre une zone d’un rayon de 30 km autour de Neufchâtel. « Le marché est dynamique. Là où il y a le plus de pénurie, c’est dans l’industrie et le BTP ».
...mais selon Florent, « chacun reste dans sa zone de confort »
A la mission locale du Talou aussi, « on a le sentiment que ça repart ». Justine Charlet voit que les stages sont de plus en plus accessibles pour les jeunes, qu’il y a un « vivier » pour les immersions professionnelles « au niveau des entreprises neufchâteloises ».
« Il y a du boulot » assure Florent, 45 ans, croisé dans la rue principale de la commune. Ce commercial travaille dans une entreprise couvrant toute la Seine-Maritime et comptant quelques clients à Neufchâtel. Une entreprise qui peine à recruter.
« Je pense que chacun reste dans sa zone de confort », juge Florent. « Mais quand on a besoin de bosser, il faut peut-être sortir de son confort et aller chercher du taff où il y en a, tout simplement. Il faut sortir de l’assistanat, il y a des possibilités de rebondir ».
Pour Louis, il faut « un minimum d’envie »…
Florent ne connait pas Louis, mais ils pensent la même chose tous les deux. « Quand on a un minimum d’envie et de compétences, il y a du boulot pour tout le monde », assure Louis Gavel. A 23 ans, ce dernier est CDI intérimaire. « Je fais du tirage de fibre en souterrain et en aérien ».
Le jeune homme le concède : dans son domaine, « pas besoin de faire des kilomètres pour trouver du boulot ». Si sa situation financière lui convient, Louis a tout de même une attente dans le cadre de l’élection présidentielle qui se profile : l’augmentation du SMIC. « Je vois beaucoup de gens qui préfèrent rester chez eux à cause de l’augmentation du gasoil. C’est pas normal ».
…et pour Cédric, « le minimum décent pour vivre »
Egalement intérimaire, Cédric connait parfois des moments de creux, sans missions. Il est pourtant ouvert à tout, et toujours disponible : « J’ai fait espace vert, terrassement, contrôle de qualité, inventaires… ».
« On demande tous le plus possible » sourit Cédric. Mais il ne serait évidemment pas contre une hausse des salaires. « Je veux pas 3 000€, mais le minimum décent pour vivre. Une fois qu’on a payé les factures, avec le prix du carburant, c’est pas toujours facile ».
Côme voudrait mieux rémunérer ses employés
La thématique de l’emploi est indissociable de celles du salaire et du pouvoir d’achat. Gérant d’un hôtel-restaurant, Côme Lefrancois aimerait que ses salariés gagnent mieux leur vie. « Mes employés qui touchent 1500€, ça me coute 2 700 €. Tout cet argent qui part je ne sais où… je préférerais leur donner à eux ».
« Aujourd’hui tu travailles, tu fais tes heures, et tu te retrouves avec autant de sous de côté qu’une personne au chômage. Je ne dis pas qu’il faut diminuer l’un, mais il faut augmenter l’autre ». Le patron du Côme Inn a eu toutes les peines du monde à recruter lorsqu’il a repris ce restaurant, en 2018. Mais aujourd’hui son affaire tourne bien, les clients sont nombreux… et il les connait tous.
« On connait tout le monde, c’est agréable », confie-t-il. Rien à voir avec ses 8 années à Londres. L’expérience anglaise lui a plu, mais Côme souhaitait revenir dans sa ville d’origine. « Parce que j’aime Neufchâtel. C’est une ville de 4500 habitants avec tous les commerces dont on a besoin »
Isabelle : petite commune mais grand plaisir
Eviter la grande ville. C’est ce tout ce qu’Isabelle Félix recherchait. « Je me sens bien dans les petites communes », explique cette courtière en assurance de prêt. Dans son domaine, encore une fois, il n’y a pas mille solutions : c’est Amiens ou Rouen. Alors elle a créé sa société. Un autre problème apparait alors : trouver un bureau.
Mais on ne trouve des pépinières d’entreprises que dans ces grandes villes qu’elle évite. Et les bureaux sont rares. « ça aurait pu être un local, mais je ne reçois pas de client et c’est trop cher ». Isabelle vient finalement de trouver son bonheur : un espace de coworking flambant neuf à Neufchatel-en-Bray.
Domitille, celle qui espère... et qui incarne l'espoir
Flambant neuf, c’est finalement un peu tôt pour le dire : l’espace de coworking est encore en travaux. Des bureaux sont prêts (et déjà occupés, notamment par Isabelle) mais une grosse partie du projet est encore en train de naître. Car dans la tête de Domitille Ridel, ça fourmille d’idées.
La créatrice de cet espace n’a que 28 ans. Elle a grandi à Neufchâtel et a quitté sa région pour travailler dans l’automobile. Puis elle est revenue pour donner naissance à « La Suite dans les Idées ». Un nom qui colle très bien à sa personnalité.
« Le coworking, c’est pour créer une dynamique. Il y a un gros problème de foncier à Neufchâtel, c’est difficile de trouver un bureau. A partir de là, on perd des actifs, des gens qui veulent faire des choses ici. »
Depuis le début de cet article, on répète qu’il faut partir, loin, pour trouver du travail. Pour Domitille, nous faisons fausse route. « Plein de gens aimeraient travailler ici. On est au croisement des deux autoroutes, l’A28 et l’A29, c’est un avantage ».
La jeune femme connait les faiblesses de sa commune. Les transports, bien sûr : « il faut travailler la mobilité, c’est le plus important ». La publicité, ensuite. Domitille regrette que Neufchâtel ne sache pas faire parler d’elle : « c’est une histoire de communication. On parle du camembert, jamais du neufchâtel. Alors qu’on est en forme de cœur, c’est chouette ! ».
Faussement naïve, vraiment lucide, Domitille pointe un dernier manque : les jeunes. Pour les attirer, elle souhaite que son espace de coworking devienne un tiers lieu, avec notamment un jardin partagé. Elle souhaiterait attirer les 20-30 ans, « car les entreprises n'arrivent pas à recruter les jeunes actifs ».
Se disant « pas la personne la plus calée en politique », Domitille n’attend pas grand-chose de l’élection présidentielle pour régler les problèmes d’emplois à Neufchâtel. Quelque part, elle a peut-être raison : ces problèmes, ce sont des personnes comme elles qui les règlent.