Vous en avez probablement au moins une paire dans votre dressing : incontournables, les sneakers ! Et certaines d'entre elles, rares et recherchées, peuvent valoir plusieurs milliers d'euros. À Rouen, de nouveaux magasins se créent face à un marché en pleine expansion.
Depuis le mois d'août 2023, Julien Deschamps restaure les sneakers dans son atelier rouennais, L'Etabli de la Sneakers.
Dans la boutique où trônent des figurines à l'effigie de Michael Jordan, des tableaux qu'il a lui-même confectionnés, et des ballons de basket customisés, il nettoie les pièces les plus abîmées, bichonne le cuir et redonne une seconde vie aux chaussures, des plus basiques aux plus prisées.
Depuis son ouverture, L'Etabli de la Sneakers cartonne. La Belle Sneaker, Sneaks Magik... À Rouen, quelques structures proposent des services similaires, voire de la customisation, pour s'adapter à une demande en constante augmentation. Car les sneakers représentent aujourd'hui 47% du marché de la chaussure en France... Chiffre d'affaires total : 9 milliards d'euros.
"Certaines paires cotent à plusieurs milliers d'euros, donc forcément, l'idéal, c'est de bien les entretenir", relève Julien Deschamps. "Quand on m'amène des paires un peu plus classiques, des paires que la personne apprécie, mon but, c'est simplement d'en prendre soin et de leur donner la seconde vie qu'elles méritent."
Cultiver la singularité
Ce passionné âgé de 34 ans, au style pointu, collectionne lui-même les sneakers. Il possède plusieurs pièces rares. Sa dernière trouvaille : une paire de New Balance 574 Salehe Bembury équipées d'un sifflet, une édition limitée "shoppée à très bon prix" sur un site de vêtements d'occasion.
Pop et colorées, toutes différentes, les sneakers représentent pour lui un moyen d'émancipation : "Depuis que je suis petit, j'ai toujours aimé avoir des baskets différentes, exprimer mon style grâce à mes chaussures. Les vêtements ont suivi ; ça fait partie d'un style, d'un état d'esprit. Toujours avoir des paires différentes. Et ça me ferait du mal d'être habillé comme tout le monde dans la rue !"
Les sneakers, c'est le confort. Il n'y a pas d'âge, pas de profession pour en porter, tout le monde en porte. Donc forcément, ça crée un marché beaucoup plus grand, et plus d'échanges.
Julien Deschamps, gérant de L'Etabli de la Sneakersà France 3 Normandie
Chercher à être unique, à tout prix... Et oser parer ses pieds d'une explosion de couleurs ! Sur TikTok, les vidéos de passionnés transformant les sneakers les plus basiques en pièces de collection cartonnent. Elles cumulent pour certaines plusieurs centaines de milliers de vues.
@_ssneak_ Painting sneakers 🤤 #satisfying #pourtoi #art ♬ Life Goes On - Oliver Tree
Le resell, une pratique répandue
Selon une étude de l'IFOP et d'eBay, en 2020, 1 Français sur 10 entre 18 et 24 ans disait collectionner les sneakers. C'est le cas de Théo, 21 ans. Le jeune entrepreneur, qui vient de se lancer, en free-lance, dans le nettoyage des sneakers, les collectionne depuis le collège. Il avoisine aujourd'hui la centaine de paires... Et garde toutes les boîtes : "Des fois, une paire, si tu n'as pas la boîte, ça divise la cote par 6 ou 7. Alors ma compagne et moi, on a une pièce à chaussures !"
La paire de ses rêves : les Nike Air Mag Back to the Future, tirées du film éponyme, des petits bijoux qui cotent "autour de 15 à 20 000 euros". Mais la passion n'a pas de prix et faire les bons paris peut s'avérer très rentable : une pratique nommée "resell", revente, qui peut rapporter gros.
"Il faut surveiller les dates de sortie des paires, sur les applis", explique Théo. "On est ensuite placé en liste d'attente, et soit on peut repartir avec la paire, soit on n'est pas sélectionné. Le resell n'est pas dans mon état d'esprit, mais j'ai déjà revendu quelques paires. Par exemple une paire d'Air Jordan 1 Travis Scott que j'ai achetée 170 euros en avant-première et revendue dans les 500, 600 euros. Mais si je l'avais gardée plus longtemps, j'aurais pu en tirer plus cher."
Problème : si le passionné parvient à se procurer le précieux sésame, il ne repart pas forcément avec la bonne taille. La loi de l'offre et de la demande règne sur ce marché où les pointures les plus rares se revendent plus cher. Quand la rareté de la paire fait aussi exploser les prix.
L'art de trouver LA paire introuvable
Dégoter des pièces quasi introuvables pour les revendre plus chers, c'est ainsi l'une des spécialités de Maison 512, une boutique spécialisée dans les sneakers ouverte depuis un an à Rouen. Avec son cogérant, Alexandre Ollagnier, Simon Passeman, tous deux la vingtaine et l'énergie de chefs d'entreprise aguerris, proposent des éditions limitées, de 150 à plusieurs milliers d'euros, et quelques modèles exclusifs.
Imaginez qu'une paire sorte samedi matin, à 9h, sur le site Nike. Il faut s'inscrire à un tirage au sort, 60 000 paires sont à vendre et 200 000 personnes en veulent. Ça veut dire que 140 000 personnes seront frustrées et prêtes à payer plus cher pour l'avoir au prix resell.
Simon Passeman, gérant de Maison 512à France 3 Normandie
Simon Passeman joue aussi parfois les personal shoppers pour des clients en quête du Graal de la sneaker : "On ne peut pas se permettre d'avoir en stock tous les modèles et toutes les tailles, donc on se donne environ 2 jours pour trouver la paire de leur choix, peu importe le budget et le modèle, on fixe un prix et on la commande."
Dans le viseur des collectionneurs : des paires neuves, mais sorties parfois il y a 10 voire 15 ans. Des collaborations, comme avec Travis Scott, du style, et surtout, une cote qui ne s'effondrera pas avec les années. La plus grosse transaction de Maison 512 : une paire de Jordan 1 Off White... À 4 000 euros.
"Tout le monde veut une paire de sneakers"
Simon Passeman l'assure, cependant : les collectionneurs, prêts à vider l'intégralité de leur portefeuille pour une paire de chaussures, restent une faible minorité parmi les aficionados de la sneaker. "Il y a 3-4 ans, la sneaker était un marché de niche. Maintenant, c'est Monsieur tout le monde qui vient acheter sa paire. C'est pour cela qu'on propose des paires moins chères, pour toucher le plus de monde possible. On vise toute la population, pas que les passionnés."
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D'Adidas à Nike, de New Balance à Fila, de Veja à Balenciaga, "depuis deux ans, les sneakers se sont démocratisées à 100%", estime-t-il. "Tout le monde veut une paire, les gens commencent à en mettre pour aller travailler... Elles sont de plus en plus confortables et pour le quotidien, c'est parfait. Maintenant, on a des clients de 8 ans à 60, 70 ans."
Une deuxième antenne de Maison 512 ouvrira le 15 février à Rouen pour répondre à la demande. Plus classiques, les retailers - Foot Locker, JD Sports et autres Courir - continuent de fleurir dans les centres-villes. Preuve d'un engouement qui ne faiblit pas pour une chaussure qui donne, décidément, des ailes aux pieds.