Dix jours après le cyclone à Mayotte, Rouen a participé à une journée de "deuil national" et respecté une minute de silence, ce lundi 23 décembre. Membre de l'Association des Mahorais de Rouen, Saouda Le Pley confie son espoir de voir perdurer l'élan de générosité des métropolitains mais blâme l'inertie du gouvernement.
"Il n'y a que ma sœur et moi en métropole". Saouda Le Pley, 41 ans, vit en France métropolitaine depuis 1998. À Mayotte, où elle se rend presque chaque année, vivent encore son père et ses deux frères. Les nouvelles arrivent au compte-goutte. Et elles ne sont pas bonnes.
"Dans la rue, ça sent la mort"
"J'ai eu beaucoup de mal à avoir mon père, il n'y a pas du tout de réseau, explique celle qui travaille comme aide-soignante à Darnétal (Seine-Maritime). Et j'ai des amis qui n'ont pas eu la moindre nouvelle de leur famille depuis le cyclone."
Saouda Le Pley décrit des conditions de vie très difficiles sur l'île dévastée. "Il n'y a pas d'eau. Le peu que ma famille a, c'est deux bouteilles par jour pour quatre personnes. Il y a peu de points de distribution. Je suis obligée de leur faire des virements pour qu'ils s'achètent de l'eau. Or, le prix a explosé... Tout est compliqué. Au niveau hospitalier, c'est encore pire."
Il y a énormément de morts, plus que ce qu'on voit dans les médias. La population mahoraise est majoritairement musulmane : les gens enterrent leurs proches le jour-même. Certains ne vont pas à l'hôpital. On n'aura jamais le chiffre exact.
Saouda Le Pleyà France 3 Normandie
"Un enfant est tombé dans un trou suite au cyclone. Il n'y avait pas de réseau pour appeler les secours, il est décédé, se désole-t-elle. Pour être honnête, toute ma famille me dit qu'il y a plus de décès que ce qu'on nous dit. Ils ont l'impression que les informations que l'on a ici sont faussées. Même dans la rue, ça sent la mort..."
"Il faut que je me batte pour aider"
Très attristée, Saouda Le Pley se promet malgré tout de "ne pas flancher". Depuis dix jours, elle tente de se faire intégrer dans la réserve de soignants envoyés en renforts à Mayotte. Sans succès : "Il faut que je me batte pour aider, mais je n'ai aucun retour. Pourtant, il y a de très gros besoins ! Je me sens un peu impuissante."
Malgré le soutien de la députée (PS) de Seine-Maritime, Florence Hérouin-Léautey, qui lui envoie "tous les sites possibles" pour lui permettre de se rendre sur l'île, rien. "Je parle la langue, j'ai un logement, mais il n'y a aucune organisation. J'ai l'impression que tout le monde s'en fout. C'est une urgence, quand même..."
À Mayotte, on est complètement abandonné. On a l'impression de ne pas être des Français à part entière. On voit peu de politiciens s'intéresser à notre situation. Ça me met très en colère.
Saouda Le Pley
Le cœur de Saouda est sur l'île, où elle pense à ceux qui ont tout perdu, "tous ces nombreux SDF, des enfants, des personnes handicapées. Ils n'ont plus rien". Et même après la reconstruction, longue, subsistera "la peur que ça ne se reproduise. Celle que l'on n'entende plus parler de nous après les fêtes, que l'aide ne se pérennise pas."
"Cet élan de générosité m'a surprise"
Pour faire sa part, Saouda a organisé, avec l'Association des Mahorais de Rouen, le club de football de Boos, dont son mari est président, et la MJC de Saint-Sever, une grande collecte. Largement suivie. "Une cheffe d'entreprise va nous livrer une palette d'eau la semaine prochaine. Une personne de l'hôpital du Havre a récolté un camion entier de médicaments, de matériel médical et de nourriture. Cet élan de générosité m'a surprise", s'émeut-elle.
Même si elle note une dichotomie entre l'investissement des Français d'outre-mer comme de métropole, globalement solidaires des Mahorais, et l'inaction du gouvernement - rappelant que François Bayrou ne s'est pas rendu sur l'île.
Une autre collecte sera mise en place dès le 26 décembre (les informations seront communiquées sur la page Facebook ci-dessus). Eau, produits alimentaires non périssables, produits d'hygiène, vêtements, "on prend tout", assure Saouda Le Pley. Concluant : "Mayotte ne va pas se reconstruire tout de suite. Il ne faut pas que l'élan de générosité, qui est si fort, s'estompe après les fêtes."