Entré dans le dictionnaire en 2019, ce terme désigne l'ensemble des attitudes et des comportements hostiles qui discriminent les personnes grosses, en surpoids ou obèses. Une stigmatisation du quotidien souvent douloureuse pour ceux qui en sont victimes. Témoignages.
Le pire, lors des cours de sport, c’était de ne jamais être sélectionnée ou d’être placée par le prof car j’étais considérée comme un boulet par les autres
L’estime de soi en prend alors un coup : "je me suis sentie coupée des autres car leur regard était malveillant. Je m’interdisais beaucoup de choses. Cette perte de confiance m’a accompagnée dans ma vie d’adulte" précis-t-elle aujourd'hui.
"Est-ce que vous allez un jour arrêter de grossir ?"
Au début de sa première grossesse, Guylaine, plutôt "mince et coquette" jusqu’alors, prend trente kilos en quelques semaines. Autour d’elle, les regards changent, les remarques fusent. A commencer par son gynécologue qui lui demande abruptement si elle compte un jour arrêter de grossir.
Après l’accouchement, les kilos restent.
Les gens m’ont demandé si j’étais encore enceinte. Ils m’ont traité de baleine, de grosse vache, d’hippopotame, de truie. Au bout d’un moment, je n’entendais plus. On se forge un caractère, on répond, on devient méchant.
"Je vis dans un espace plus étriqué que les autres"
Tout comme Guylaine, Victoria a très vite adopté une stratégie d’évitement. "J’ai appris à gérer mon manque de confiance en moi en évitant toutes les situations qui font mal. J’ai des sphères de vie où je suis en confiance, le reste j’évite. Je vis dans un espace plus étriqué que les autres."
Regardez ce que Victoria et Guylaine vivent au quotidien, en raison de leur poids.
Une hostilité du quotidien
A 37 ans, Anne-Laure se souvient avoir passé tout un hiver sans sortir de chez elle. "Même pour faire mes courses, je restais dans la voiture" explique la jeune femme. De toute façon, à quoi ça sert de sortir pour prendre des moqueries sur mon poids"
Comme pour beaucoup, la grossophobie a fini par envahir tous les pans de sa vie : "dans la dernière entreprise où j’ai travaillé, le père de mon employeur n’arrêtait pas de me parler d’une de ses amies, qui s’était fait opérer."
Les gens ne cherchent pas à comprendre. Dans leur tête, une personne mince est forcément plus compétente qu’une personne forte. Nous faisons moins rêver.
Une vision que partage Victoria. "La société nous attribue souvent des caractéristiques en fonction de notre poids. Si nous sommes obèses, c’est que nous sommes paresseux et que nous manquons de discipline."
Président régional de la Ligue contre l'obésité, Olivier Foulatier, également chirurgien digestif, attribue la grossophobie de la société à l'ignorance de ce qu'est l'obésité : une maladie.
Le corps médical, grossophobe lui aussi parfois
Certains soignants ne sont pas en reste. Eux que les patients, en surpoids ou non, espèrent empathiques et bienveillants s’avèrent parfois maladroits ou blessants.
Anne-Laure se rappelle parfaitement de ce jour où, enfant, sa mère l’a emmenée chez le médecin car elle ne mangeait plus depuis trois jours. "Comme j’étais déjà forte, il a regardé ma mère et lui a répondu que je pouvais me le permettre. Je m’en souviens très bien car il a souri en le disant. J’étais très en colère. Dans ma tête, je l’insultais".
Vanessa Folope, médecin endocrinologue, dirige le Centre de nutrition de Bois-Guillaume (76), rattaché au CHU de Rouen. Avec son équipe, elle prend en charge les patients qui souffrent d’obésité. Pour Vanessa Folope, si elle reste anormale, la grossophobie de certains soignants peut s’expliquer par de la maladresse et aussi la peur de moins bien soigner.
Depuis 2014, le CHU de Rouen organise des formations réservées aux soignants. L’objectif : changer leur regard sur l’obésité en leur faisant revêtir une combinaison qui simule un corps de 200 kilos.
Une société moins grossophobe envers les hommes ?
Alain est l’un des rares hommes à avoir accepté de répondre à nos questions. A 57 ans, il raconte avoir pesé jusque 140 kilos.
« Un poids physiquement bien réparti » précise-t-il. « Du coup, lorsque je disais mon poids aux gens, ils étaient étonnés. Comme j’évoluais dans le milieu du rugby, le sport m’a un protégé des remarques blessantes. C’était des plaisanteries mais rarement plus ».
Comme pour d’autres personnes souffrant d’obésité, trouver des habits dans les magasins n’a pas toujours été chose facile. Lui aussi a essuyé des propos déplacés comme ce jour où il consulte un anesthésiste en vue d’une sleeve* : « Je vais essayer de vous piquer mais avec la taille de vos bras, ça va encore être quelque chose » lui assène le praticien. « C’est violent. Sur le coup, j’étais sidéré. Ensuite, j’ai fait un signalement à la clinique où cet homme exerçait » confie-t-il.
Mais Alain en a conscience.
La société est encore dans une vision de la femme mannequin. Je n’ai jamais eu de problème au travail. Alors qu’à l’accueil, une de mes collègues qui est également en surpoids, s’est entendue dire par un client : « la grosse, j’en veux pas.
Alain, Guylaine, Victoria et Anne-Laure ne rêvent que d’une chose. Que la société prenne conscience de la grossophobie dont elle fait preuve. Et que tous aient le droit au même respect, à la même considération quelle que soit leur apparence.
* Opération qui consiste à couper la poche de l'estomac afin que celui-ci ne forme plus qu'un tube. Avec un estomac plus petit, le patient est contraint physiquement de réduire la quantité de nourriture ingérée.