Une famille de Rouen (Seine-Maritime) a découvert que son piano de la marque Erard a appartenu au compositeur Isaac Strauss. Un instrument historique qui a bien failli terminer aux encombrants.
"C’est un piano qui est chez ma grand-mère depuis toujours." Voici comment Alain évoque l’instrument sur lequel lui et ses cousins s’amusaient à effleurer les touches.
Mal accordé, il était plutôt là pour orner le salon de leur aïeule. Mais cette dernière doit être placée en maison de retraite. Vient le moment pour la famille de trier ses affaires dans son appartement de Mont-Saint-Aignan.
Aucun succès aux enchères
Parmi les meubles les plus encombrants, ce magnifique piano en acajou. Ils décident de contacter un commissaire-priseur de la région. Celle-ci l’estime à 800 euros et le propose à quatre reprises en salle des ventes. Au bout de six mois, elle demande à la famille de le reprendre.
Personne n’ayant la place pour le stocker à son domicile, ils se mettent d’accord pour faire un don à l’école de musique de Luneray. Au moment où la convention est sur le point d’être signée, un oncle qui ne veut pas avoir de regret, décide de faire appel à un expert. Il contacte Vital et Bérangère Romet, experts et réparateurs de pianos à Rouen.
Un piano d’Isaac Strauss
Les experts se déplacent et admirent l’instrument. Avec le numéro de série, ils retrouvent l’ancien propriétaire dans les archives de la marque Erard… Un certain Isaac Strauss, contemporain de Rossini dont il sera proche.
Originaire de Strasbourg, Isaac Strauss connaîtra ses plus grands succès à Vichy. Le ministre du Commerce de Louis-Philippe, qui cherche à développer la ville d’eau de Vichy, lui propose en 1843 de devenir fermier des Salons de l’établissement thermal de Vichy.
Strauss a le monopole des loisirs, en échange duquel il s’engage à faire réaliser des agrandissements. Il est ainsi à l’origine de l’essor de Vichy (de 1852 à 1869, le nombre des baigneurs passe de 5 000 à 25 000), où il se fait construire une villa en 1858, dans laquelle il accueille Napoléon III lors de ses cures en 1861 et 1862 et qui existe toujours sous le nom de Villa Strauss.
Son œuvre, composée uniquement de musique de bal (en grande partie des valses, mais aussi des polkas, des quadrilles et d’autres danses dédiés aux plus grands personnages de son temps) est aujourd’hui oubliée et il est plus connu pour ses collections d’art, notamment de judaïca, qui sont à l’origine du Musée d’art et d’histoire du judaïsme.
Une valeur de 25 000 euros après restauration
À la lumière de cette nouvelle expertise, la famille décide de conserver et restaurer le piano. Actuellement, il est pratiquement remis à neuf. Un restaurateur basé à Elbeuf peaufine les derniers détails, notamment la peinture au tampon.
"C'est compliqué de donner une estimation, il y a la valeur sentimentale et c'est un piano de collection. Mais s'il faut lui donner un prix, ça serait entre 20 000 et 25 000 euros. Si on l'affiche plus cher, on n'est vraiment pas sûr qu'il parte, or, c'est ce que veut la famille", concède Berengère Romet.
La restauratrice a partagé des photos du piano sur un groupe privé Facebook regroupant les "fans de pianos Erard" mais elle constate que la dimension du piano peut freiner l'enthousiasme des potentiels acquéreurs.
Elle nous confie que le marché du piano est en crise et qu'actuellement les modèles numériques sont plus appréciés par les musiciens car plus facile à transporter.
Depuis quelques mois, chaque membre de la famille active son réseau pour tenter de vendre ce précieux objet à un collectionneur ou une fondation. Avis aux amateurs.