Afin d'honorer la mémoire de son fils Imad, première victime du terroriste Mohamed Merah en 2012, Latifa Ibn Ziaten organise, comme chaque année depuis onze ans, plusieurs hommages au Maroc. Afin de poursuivre son combat pour la paix et venir en aide à la jeunesse, elle inaugure ce 11 mars 2023 un centre éducatif à Fnideq. Entretien.
Le 11 mars 2012, à Toulouse, Imad Ibn Ziaten est assassiné par Mohamed Merah. Le militaire âgé de 30 ans est la première victime du terroriste, qui en l'espace de dix jours, tue sept autres personnes, dont trois enfants juifs, et en blesse six. Un mois après ces attentats, Latifa Ibn Ziaten fonde l'association IMAD pour la Jeunesse et la Paix, en hommage à son défunt fils.
À travers ses actions et ses interventions dans les écoles, les prisons et les centres d'éducation pour parler tolérance et laïcité, Latifa Ibn Ziaten veut empêcher les jeunes de suivre le chemin du terrorisme islamiste. Mère courage infatigable, elle a reçu de nombreux prix et a été décorée de la Légion d'honneur en 2015.
Originaire de Tétouan, au Maroc, Latifa Ibn Ziaten déménage à Sotteville-lès-Rouen, en Seine-Maritime, alors qu'elle a 17 ans pour rejoindre son mari Ahmed. Imad et ses quatre frères et sœurs grandissent en Normandie. En 2012, le jeune homme est sous-officier au régiment du train parachutiste de Francazal lorsqu'il est tué par Merah. Imad repose sur les hauteurs de M'diq, au Maroc.
C'est dans ce cimetière qu'une cérémonie d'hommage a lieu ce samedi 11 mars 2023 avant l'inauguration du centre éducatif IMAD pour la Jeunesse et la Paix à Fnideq. Comme chaque année, l'association IMAD organise également la course pour la jeunesse et la Paix. Cette 11e édition a lieu à M'diq dimanche 12 mars. À quelques jours de cette série d'hommages à Imad, Latifa Ibn Ziaten nous a accordé un long entretien.
Ce samedi 11 mars marque le 11e anniversaire de la mort d'Imad. Dans quel état d'esprit êtes-vous à l'approche de cette date ?
C'est trop dur… Quand arrive la fin du mois de février, c'est le plus dur pour moi. Personne ne peut remplir ce vide. Malgré tout le bien que je fais, les projets et les messages de paix que je transmets, il y a cette douleur à l'intérieur, la douleur d'une mère qui ne disparaîtra jamais. Mais mes enfants me remplissent de bonheur. Mon fils a eu un enfant le mois dernier, ça m'a fait chaud au cœur, je suis très heureuse.
Il y aura une cérémonie d'hommage au cimetière de M'diq sur la tombe d'Imad. Pourquoi votre fils est-il enterré là-bas ?
Mes grands-parents et ceux de mon mari habitaient à M'diq. Imad adorait cet endroit, il aimait la mer, c'était un garçon qui aimait la vie. Je l'ai enterré à M'diq parce que c'était son choix. À chaque fois que je viens, je lui dis : "je pense que j'ai bien fait de t'enterrer ici, c'est dur pour moi parce que je suis loin de toi". Mais sa tombe est face à la mer et il est entouré de sa famille. Quand ça me manque de discuter avec lui, je prends un billet d'avion et je vais au Maroc. Lorsque je vais le voir, je reste une heure, deux heures, je lui raconte tout, je nettoie la tombe, je lui dis que je vais revenir.
Dimanche, sera lancée la 11e édition de la course pour la jeunesse et la paix. Que représente cette course par rapport à Imad ?
Entre 500 et 600 jeunes vont courir. Ce sera très beau. Imad aimait beaucoup le sport, il faisait du football, un peu de rugby plus jeune, de la natation et un peu d'athlétisme au début. Il aimait le sport et la culture, il avait toujours un sac de sport ou un livre à la main. Cet hommage signifie beaucoup de choses pour ce grand garçon, ce grand homme que je ne pourrai jamais oublier.
C'est pour ça que je me suis mise vite sur le terrain : pour qu'aucune autre mère ne souffre comme moi.
Latifa Ibn Ziaten
Il est toujours présent, il me manque énormément, je ne souhaite à personne de vivre cela. C'est pour ça que je me suis mise vite sur le terrain : pour qu'aucune autre mère ne souffre comme moi. Cet assassin n'a laissé que des douleurs. Il a créé la terreur, la haine et malheureusement certains Français tombent dans ce piège et quel dommage ! On doit rester solidaires, frères et sœurs, on doit protéger cette humanité et ne pas laisser cette haine grandir.
Vous allez inaugurer le centre éducatif Imad pour la jeunesse et la paix à Fnideq, un établissement dédié à l'apprentissage et à la formation des jeunes nécessiteux de France et du Maroc. Parlez-nous de ce centre. Quelles seront ses missions ?
Depuis le Covid, beaucoup d'enfants ont quitté l'école au Maroc. On va donc déjà essayer de récupérer ces jeunes de 10, 11, 12 ans, et après il y en aura de tous âges. On travaillera avec les écoles publiques locales. Le centre sera ouvert du lundi au samedi, de 8h30 à 17h30 pour orienter les jeunes qui ont quitté l'école, les accompagner et travailler avec les parents.
Des professeurs, une psychologue, une avocate, et une pharmacienne notamment assureront des missions d'accompagnement : soutien scolaire, enseignement du français, de l'anglais, des cours de remise à niveau et d'informatique, accompagnement aux études, vers un métier, etc. Je le vois avec ce que je fais depuis des années : il faut démarrer le moteur des gens. Ils ont les capacités, mais pas la confiance en eux. Et nous leur transmettrons les valeurs du Royaume (le Maroc ndlr) : humanité, paix et vivre ensemble. Nous parlerons aussi du problème du terrorisme, ce que j'appelle "la secte". Le but est de dire aux parents d'être attentifs, parce qu'il n'y a pas assez de dialogue à la maison. Et peut-être qu'on ira plus loin, Inch'Allah !
Mon rêve est de sauver cette jeunesse et de lui tendre la main. Le monde est beau, il faut le rendre encore plus beau !
Latifa Ibn Ziaten
À partir de quand ce centre accueillera-t-il les jeunes ? Et combien de jeunes pourra-t-il accompagner ?
Le centre fonctionnera à partir du mois de septembre 2023 et il sera peut-être ouvert dès juin pour les inscriptions. Nous allons essayer d'accompagner 1 000 élèves par an. Je ne vais pas être beaucoup sur place, mais je descendrai peut-être une fois par mois et je vais rester quelques mois là-bas lors de sa mise en route. J'ai financé le projet mais j'ai été beaucoup aidée par la ville de Fnideq et les ouvriers. Je suis très fière de ce centre. Mon rêve est de sauver cette jeunesse et de lui tendre la main. Le monde est beau, il faut le rendre encore plus beau !
Onze ans après la création de votre association, IMAD pour la jeunesse et la paix, quel bilan dressez-vous ? Êtes-vous toujours en contact avec certains jeunes ?
Je suis très fière de ce que j'ai fait. Je n'ai jamais pensé que j'allais devenir une femme de terrain, mais j'ai réussi à sauver beaucoup de jeunes, de familles, et même des adultes en difficulté. C'est pour ça que je dois continuer. J'ai deux à trois conférences par semaine, mon agenda est très chargé, mais je ne lâche rien. Tant que j'ai la santé ! C'est une mission que j'ai aujourd'hui. Mes enfants et mon mari m'aident beaucoup. Si ce n'était pas le cas, ce serait difficile pour moi. Et j'espère que quand je n'aurai plus la force, quelqu'un reprendra le flambeau. Il faut des femmes et des hommes de terrain. La seule chose que je regrette, c'est que je ne vois pas beaucoup mes petits enfants parce que je voyage très souvent. Et oui, je reste en contact avec les jeunes, je ne les oublie pas. Je les contacte quand il y a des moments difficiles, je les aide. J'ai perdu un fils, mais aujourd'hui, j'ai beaucoup d'enfants.
Observez-vous un changement dans le discours des publics auxquels vous vous adressez ? La situation s'est-elle améliorée depuis 2012 ?
Ça s'est amélioré sinon je ne continuerais pas à faire ça. Mais il y a encore une petite minorité [qui est toujours sensible au discours terroriste, ndlr]. Malheureusement, on a encore des ghettos fermés, des écoles sans mixité. Je vois des jeunes qui sont retournés au Maroc et qui me disent que c'est compliqué en France, qu'ils ne sont pas libres de pratiquer leur foi. Aujourd'hui c'est très compliqué pour un jeune Français d'origine maghrébine de confession musulmane, surtout quand on vit dans un quartier fermé, c'est pour ça que je dis à l'État de faire quelque chose. Quand un jeune à bac+3 ne trouve pas de travail en raison de son prénom, c'est grave. Mais je leur dis de pas lâcher.
Sans amour, comment voulez-vous que ces enfants grandissent ? Tout le monde doit aider cette jeunesse.
Latifa Ibn Ziaten
Récemment, j'étais dans une école à Versailles, catholique et plutôt riche. Un enfant m'a dit qu'il avait peur de l'islam. C'est la faute de l'école, des parents et de la société parce qu'on n'explique pas ! C'est dommage parce que la France est un pays d'accueil, d'ouverture, de valeurs et de libertés. La terreur, elle, n'a pas de religion, ni de frontière.
Je suis allée dans des foyers de mineurs, et ça m'a fait mal au cœur de voir tous ces jeunes. Dans certains foyers, je n'ai pas vu d'amour circuler. Sans amour, comment voulez-vous que ces enfants grandissent ? Tout le monde doit aider cette jeunesse.
Quels sont vos projets futurs ?
J'en ai beaucoup. J'ai notamment un projet sur Israël et la Palestine avec des femmes. La femme est beaucoup plus sur le terrain aujourd'hui. Elle a beaucoup de valeurs, un cœur, de l'amour, elle est patiente, résistante, courageuse et a une force assez spéciale. Je voudrais emmener des femmes en Israël et en Palestine à la rencontre des femmes, membres d'associations, qui sont sur le terrain, pour faire passer un message de paix et de vivre ensemble.