Le pape François a remis le prix Zayed de la fraternité ce jeudi à Latifa Ibn Ziaten, la mère de la première victime de Mohamed Merah. Cette rouennaise accompagne les jeunes "livrés à eux-mêmes" afin de prévenir la radicalisation. La cérémonie s'est faite virtuellement.
Pour prévenir les dérives sectaires et extrémistes, il faut avant tout "investir dans l'accompagnement des jeunes", plaide Latifa Ibn Ziaten, figure de la lutte contre la radicalisation en France, qui recevra jeudi un prix international.
Cette Franco-Marocaine de 61 ans multiplie les rencontres et projets éducatifs pour accompagner les jeunes depuis l'assassinat de son fils par le jihadiste Mohammed Merah, le 11 mars 2012.
Je suis très heureuse et émue de vous annoncer que le Prix «Zayed Award for Human Fraternity» vient de m’être décerné.
— Latifa Ibn Ziaten (@LatifaIbnZ) February 3, 2021
Cette prestigieuse distinction décernée demain par Son Eminence Dr. Ahmed Al-Tayeb et Sa Sainteté le Pape François m’honore et me touche infiniment. @ZayedAward pic.twitter.com/76v7htwdu7
Pour son engagement, le prix Zayed de la fraternité lui a remis jeudi (ainsi qu'au secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres), lors d'une cérémonie virtuelle à Abou Dhabi, présentée par le pape François et le grand imam d'Al-Azhar.
Pour empêcher la radicalisation des jeunes, l'accompagnement quotidien des enfants placés en foyer est un des enjeux clefs, juge-t-elle, tout comme l'accès à des assistants de service social dans tous les établissements scolaires et la réinsertion des détenus à leur sortie de prison.
Après l'assassinat de mon fils, j'ai voulu créer quelque chose, pour qu'il ne soit pas oublié.
Imad, première victime de Merah
Il y a près de huit ans, son fils Imad, est mort à l'âge de 30 ans. Il a été la première victime de Mohammed Merah qui avait tué trois soldats puis un professeur et trois enfants dans une école juive.
"La moitié de mon coeur est partie avec lui et je ne voulais pas qu'il soit oublié. Tout le travail que je fais me permet de voir mon fils grandir chaque jour à travers l'association".
Une association appelée "Imad pour la jeunesse et la paix" organise des interventions dans des écoles, des maisons d'arrêt ou des foyers, mais aussi des projets éducatifs comme la restauration d'un musée au Maroc par "une vingtaine de jeunes en difficulté, issus d'un milieu social défavorisé" en 2018.
Dans ses nombreuses conférences, Latifa Ibn Ziaten raconte que sa volonté de "tendre la main vers l'autre" lui est venue d'une discussion avec des jeunes, dans le quartier de Toulouse où habitait Mohammed Merah, 23 ans, avant d'être tué par la police.
Des jeunes "rejetés de partout"
"Ils m'ont dit: madame, vous ne regardez pas la télé ? Mohammed Merah, c'est un martyr. Là je me suis dit qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas. Je leur ai demandé: Comment pouvez vous dire que c'est un martyr ? C'est un assassin.
Je suis la mère d'Imad. J'ai vu leur visage changer, ils m'ont répondu on est vraiment désolé, mais regardez où on habite. La République nous a oubliés."
Pour Latifa Ibn Ziaten, le "piège" de la radicalisation plane sur les jeunes "livrés à eux-mêmes", "fatigués et rejetés de partout".
"Il faut réussir à savoir ce qu'il se passe dans la tête d'un jeune et quelles solutions on peut lui proposer", résume-t-elle. "Quand vous n'avez pas les chances à disposition pour réussir, quelqu'un peut vous récupérer".
Si elle ne souhaite pas se prononcer sur le projet de loi contre les "séparatismes" du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin - qui prévoit des mesures sur la neutralité du service public, la lutte contre la haine en ligne, le contrôle renforcé des associations ou encore une meilleure transparence des cultes et de leur financement - elle met inlassablement en avant "l'accompagnement pour trouver des solutions".
Latifa Ibn Ziaten regrette cependant de ne pas avoir eu l'occasion de travailler sur ces sujets avec le gouvernement: "J'aurai bien voulu aider, je suis soutenue dans mes actions mais sans plus, c'est vraiment dommage".
Tout en saluant "le travail" fait par le gouvernement, notamment sur la fermeture de certaines mosquées, elle prône surtout l'engagement des citoyens.
Les fossettes rieuses, elle expose d'un ton calme le principe fondateur de sa démarche: "Tant qu'un enfant est en difficulté, il ne faut pas lâcher".