"J’ai peur de l’avenir et de ce que je vais léguer à mes enfants", les normands musulmans retiennent leur souffle durant l'entre deux tours

Selon une étude Ifop pour le journal La Croix, 7 musulmans sur 10 ont voté pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour de la présidentielle. Les deux candidats finalistes ne convainquent pas même si face à l'extrême droite, beaucoup appellent à faire barrage.

Alors que l'une des mesures phares du programme de Marine Le Pen prévoit l'interdiction du port du voile dans l'espace public, les français musulmans se sentent une nouvelle fois attaqués. Entre déception, peur et résignation, trois musulmans de Seine-Maritime se sont confiés à nous. 

"Si demain le voile est interdit, je le mettrai !"

Linda est mère de deux enfants, esthéticienne au Havre et musulmane pratiquante. Bien qu'elle ne porte pas le voile, la mesure de Marine Le Pen de l'interdire dans l'espace public lui hérisse le poil. "Elle veut nous faire croire qu’elle défend les femmes, que le foulard c'est la soumission… mais elle veut nous imposer de le retirer, sans même nous laisser le choix. Je ne peux pas accepter qu’une femme puisse choisir pour moi. Nous ne sommes pas déficientes mentalement, nous sommes juridiquement capables, nous avons le droit de vote… je refuse qu’on m’infantilise.  De quel droit ?"

Au-delà du voile, cette havraise redoute les conséquences d'une arrivée au pouvoir de l'extrême droite, qui pourrait "légitimer l'islamophobie, compliquer la vie des musulmans que ce soit pour trouver du travail ou un logement...On deviendrait des cibles, cela serait dramatique ! "

Des larmes dans la voix, Linda soutient qu'elle portera le voile si son interdiction était actée, malgré les risques.

Je me battrai pour mes enfants, pour leur liberté... quitte à finir toutes les semaines au commissariat !

Linda

"Je suis citoyenne française avant tout"

Madjouba, émue également, en a assez de devoir toujours se justifier, de montrer patte blanche, et de sentir les regards sur elle dans la rue. "Je porte le voile depuis 2014, par choix. Je ressens le besoin de pratiquer ma religion avec tous les tenants et les aboutissants qui vont avec et ce n'est ni mon mari, mon frère ou autre qui me l'a imposé."

Arrivée en France d'Algérie lorsqu'elle avait 5 ans, cette havraise a connu le racisme envers ses parents quand elle était jeune et la difficile intégration. Des années plus tard, elle ressent toujours une certaine distance.  "On est à la troisième génération… ça y est on est français. De devoir se justifier en permanence ça me fait de la peine.  On est épuisé" lâche-t-elle dans un souffle.  

La mesure de la candidate d'extrême droite ne la surprend pas vraiment. "Ça nous fait peur, on se dit à quelle sauce on va être mangé ? Qu’est ce qu’il va nous arriver ? Mais on se le dit depuis que son père est en politique et qu'il est arrivé au deuxième tour en 2002 ! "

J’aime la France et son melting pot, je l’adore c’est magnifique ! Toute cette richesse culturelle. C’est du gâchis !

Madjouba

"Tous les politiciens nous utilisent"

Pour ces deux havraises, amies de longue de date, les musulmans sont utilisés par les politiciens pour récolter des voix à droite. " Je n'ai aucune haine envers les électeurs du RN, ils votent pour elle parce qu'ils se sentent incompris, qu'ils galèrent et qu'on leur promet une augmentation de salaire," admet Linda. 

Madjouba acquiesce. " On est tous dans le même bateau, à travailler pour à peine survivre... Et Macron, au final, c'est pas tellement mieux avec sa loi séparatisme". Ce qu'elles voudraient, toutes les deux, c'est qu'on parle d'écologie, d'éducation, de pouvoir d'achat, "de vrais problèmes". 

Je suis ni victime ni terroriste, je galère comme tout le monde. Qu’est-ce que ça peut faire aux gens que je porte un voile ou un string ?

Madjouba

Un appel à faire barrage au Rassemblement National 

Vendredi 15 avril, la Grande Mosquée de Paris et le Rassemblement des Musulmans de France ont appelé à voter Emmanuel Macron. Même son de cloche du côté de l 'Union des Musulmans de Rouen (UMR), même si on admet que le président sortant "n'a pas fait que du bien" durant son quinquennat. 

"Il n’est pas idéologiquement anti-islam, mais il a eu un discours très à droite en ce qui concerne l'Islam comme avec la loi séparatisme, où les musulmans se sont sentis stigmatisés, ou la fermeture de certaines mosquées, regrette Bachar El Sayadi, imam et président du l'UMR. Marine Le Pen est clairement raciste… elle veut limiter les libertés individuelles ce qui est très grave. On appelle à voter pour Emmanuel Macron, pas que pour nous, musulmans, mai pour le bien-être de tous les français ! "

L'imam rouennais salue par ailleurs l'implication de ses fidèles pour ces élections, et espère qu'ils seront suffisamment nombreux dimanche 24 avril à se déplacer pour faire barrage à l'extrême droite. 

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