Les jeunes et la quête du « corps de rêve » : une bonne nouvelle ? Analyse d’un phénomène

Musculation et fitness sont désormais les activités sportives favorites des jeunes français. Ils s’abonnent en nombre aux salles de sport, et suivent massivement des youtubeurs aux corps sculptés. Une tendance globalement positive… mais qui a ses limites.

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C’est mercredi. Au même moment, partout en France, des centaines de milliers d’enfants enchaînent les dribbles au foot, les échanges au tennis et les longueurs à la piscine. Pendant ce temps-là, Charlotte et Louis, 11 ans, font des squats. Puis du rameur. Puis des "burpees". Et ils recommencent.

Ce cours de crossfitt spécifique aux ados, Charlotte "adore". Son objectif ? "Muscler un peu, avoir un bon corps". Louis ne vise pas "le corps de rêve", "trop compliqué" à atteindre, mais il aimerait "un bon physique".

Le cofondateur des Crossfit Ballers, Anthony Andriamirado, a créé ce cours dès 2018. Et aujourd’hui, le segment des 11-25 ans représente un quart des adhérents du club. "C’est la nouvelle tendance : bien-être, bouger, mieux manger".

Les salles de sport dopées par la jeune clientèle

Musculation et fitness sont désormais les activités sportives préférées des jeunes. On compte 43% de pratiquants chez les 16-25 ans, selon une étude de l’UCPA-Crédoc. Il y a la recherche du corps fin, sain, musclé ; mais aussi, probablement, une quête de satisfaction personnelle.

Le leader du secteur des salles de sport, Basic-Fit, a mené son enquête sur cette recherche d’estime de soi. "89% des 18-34 ans qui font une activité physique régulière ressentent les bienfaits de l’activité non seulement dans le domaine professionnel (prise de parole en public, entretien d’embauche), mais aussi dans leurs relations personnelles". Selon Fabien Rouget, porte-parole de Basic-Fit France, "il y a une prise de confiance" des jeunes en société, suite à leurs efforts en salle.

Les moins de 35 ans représentent 50% de la clientèle de Basic-Fit, bien souvent "des néophytes qui accèdent pour la première fois à une salle de sport". Depuis la pandémie et les confinements, la demande est si grande que les salles de sport fleurissent partout en France. Dans la Métropole de Rouen, deux nouvelles salles Basic-Fit (pour 700 en France) ont vu le jour à la rentrée 2023. Son concurrent Fitness Park a également ouvert une salle dans la galerie commerciale Saint-Marc.

Les réseaux sociaux comme accélérateur du phénomène

Comment expliquer cette affluence soudaine des jeunes générations ? Le déclencheur du phénomène, on l’a dit, serait le COVID-19. Bloqué chez soi pendant le confinement, loin des terrains, des stades et des bassins, il a fallu s’entretenir à la maison. Puis lorsque la vie a repris, s’inscrire dans une salle de sport paraissait tout à fait logique.

L’accélérateur du phénomène ? Sans aucun doute les réseaux sociaux. Toutes les enseignes de fitness mènent des campagnes de communications agressives sur Facebook, Instagram, Tik Tok… là où se trouve la clientèle. "Les réseaux font partie intégrante de notre stratégie de communication", explique Fabien Rouget. Pour "toucher une grosse partie des jeunes", Basic-Fit réalise "des partenariats avec des influenceurs, dernièrement Lena Mahfouf".

J’ai un public qui peut aller sous les 15 ans, il faut essayer de montrer le bon exemple, de promouvoir ce mode de vie.

Valentin Lagorce, coach sportif et influenceur

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Mais la très populaire Youtubeuse plus connue sous le nom de Léna Situations n’est pas une experte en musculation. D’autres influenceurs et influenceuses s’en sont fait une spécialité : on les appelle les « fitboy » et les « fitgirl ».

Le plus connu est sans aucun doute Tibo Inshape et ses 11,4 millions d’abonnés sur la plateforme vidéo. Ses vidéos, sur la musculation, mais aussi sur la perte de poids, les régimes alimentaires ou les sports extrêmes, frôlent les 6 milliards de vue (!).

Loin de ces scores spectaculaires, le rouennais Valentin Lagorce publie lui aussi des vidéos sur YouTube. Ce coach sportif a 26 ans. Parmi ses 4 500 abonnés, "un public qui peut aller sous les 15 ans", selon lui. "Il faut essayer de montrer le bon exemple, de promouvoir ce mode de vie. Aujourd’hui on voit plein de jeunes qui sont musclés, c’est top. On va dans ce sens là, dans le dépassement de soi, peu importe l’âge".

Que des bénéfices ?

Les jeunes gagnent du muscle, les salles gagnent des adhérents, les influenceurs gagnent des abonnés. Tous gagnants ? Pas si sûr.

Il y a d’abord un risque physique. Guillaume Levavasseur, médecin du sport à Rouen, constate une légère hausse des consultations pour des blessures liées à la mauvaise pratique de la musculation. "Chez les adolescents, la musculation peut entrainer une rétraction musculaire", détaille le spécialiste. "Ça peut tirer sur l’accroche tendon-os et favoriser, si l’exercice est inadapté, trop fort, trop intense, une espèce de micro fracture." Trop de musculation stoppe la croissance ? « C"est des idées reçues. Elle ne stoppe pas la croissance mais elle peut créer des douleurs ».

Que les jeunes se mettent à l’activité physique, Guillaume Levavasseur en reste persuadé, "c’est une bonne chose". Mais il recommande une pratique "en complément d’un autre sport", en "variant les exercices" pour ne pas travailler toujours les mêmes zones, et, surtout, "toujours encadré".

La question de l’encadrement

Chez les Crossfit Ballers, Louis, Charlotte et tous les autres font systématiquement leurs exercices sous l’œil d’un coach. « On n’est pas une salle de fitness en accès libre, nous on propose uniquement des cours encadrés » insiste Anthony Andriamirado.

Une petite pique à l’adresse des salles de sport lowcost, réputées pour leur manque d’accompagnement des néophytes. Chez Basic-Fit, "en terme de suivi, on a deux méthodes : soit avec un "personal trainer", soit via une application" explique Fabien Rouget. Si le coach personnel coûte en moyenne 50€ de l’heure, l’application est gratuite. Mais l’entreprise n’a aucun moyen de vérifier si les abonnés suivent bien les conseils de leur téléphone.

C’est presque inatteignable ce que proposent les influenceurs. Ça provoque une baisse d’estime de soi.

Stéphane Mallet

Enseignant chercheur à l’Université de Rouen

Autre point noir : l'impact psychologique de cette course au biceps. Stéphane Mallet, et d’autres enseignants chercheurs du laboratoire de gestion de l’Université de Rouen, s’intéressent à la consommation numérique des jeunes, et à ses conséquences sur leur santé et leur alimentation. Pendant deux ans, ils ont analysé les comptes de plusieurs fitboy et fitgirls francais, ainsi que les jeunes qui les regardent.

Leurs conclusions ? "Pour une partie des jeunes, ça va les inciter à faire du sport. Ils veulent ressembler aux influenceurs, qui sont beaux, musclés, un modèle de réussite. Mais une autre partie des jeunes ne fait que regarder. C’est presque inatteignable, ce qu’on leur propose. Ça leur parait difficile. Ils sont démotivés. Ça provoque une baisse d’estime de soi, une baisse de confiance. Ils ont une perception du corps plus mauvaise."

Dernier aspect négatif : le "dérèglement" de l’alimentation. Les fitboys poussent à la prise de masse et, selon Stéphane Mallet, "font de la promotion déguisée pour vendre des protéines voire des amphétamines".  Quant aux fitgirls, elle promeuvent une alimentation healthy mais parfois "trop restrictive".

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Le reportage de France 3 Normandie sur la musculation et les jeunes. ©France 3 Normandie

Encore une fois, aucune volonté pour ces chercheurs de diaboliser la pratique de la musculation : selon Stéphane Mallet, cette nouvelle tendance est globalement une bonne nouvelle pour la santé des jeunes. Il s’agit simplement de "trouver le bon curseur ".

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