En avril 2022, après plusieurs mois à livrer des colis pour Amazon, huit salariés sans-papiers ont été licenciés oralement par la filiale sous-traitante de Lumina Services, située à Saint-Etienne-du-Rouvray. Ces travailleurs se sont mobilisés pour obtenir ce qui leur était dû : salaires pour le travail effectué et papiers administratifs en règle. Mais un an plus tard, deux d'entre-deux sont menacés d'expulsion du territoire français.
"C'est incompréhensible" s'exprime Pierre Louvard, représentant de l'Union départementale CGT à Rouen à propos des Obligations de quitter le territoire français (plus connues sous le nom d'OQTF) reçues par deux travailleurs sans-papiers dont il s'occupe. Le syndicat dénonce une "sanction" injustifiée au vu du parcours de ces personnes.
Ces deux hommes font partie des travailleurs sans-papiers qui ont livré des colis pour Amazon pendant plusieurs mois pour le compte de la filiale sous-traitante Lumina Services, située à Saint-Etienne-du-Rouvray (76). Comme l'ensemble des salariés de ce sous-traitant "fantôme", ils ont été licenciés oralement fin avril 2022. L'entreprise a depuis été placée en liquidation judiciaire, Amazon ayant arrêté de recourir à ses services.
Malgré leurs situations précaires, huit salariés sans-papiers ont décidé de se mobiliser depuis un an pour faire valoir leurs droits. Concrètement, ils demandent à être payés des salaires et indemnités de licenciements qui leur sont dus et à obtenir des papiers administratifs en règle.
Dénonciation des conditions de travail extrêmes
Tous ont été employés en CDI mais n'ont jamais reçu les autorisations de travail liées à leurs contrats qui leur permettraient de régulariser leur situation. Ils avaient pourtant été embauchés en connaissance de cause puisque Lumina Service leur avait fait miroiter des papiers en règle en récompense de leur investissement.
Les heures supplémentaires étaient pas payées. On travaillait chaque jour de 10h à 23h, sans jour de repos. On nous a limogés à la dernière minute, sans préavis et oralement.
Djiguiba Camara, un des livreurs de Lumina ServicesAvril 2022
Suite à la mobilisation de ces travailleurs, soutenus par l'Union départementale 76 de la CGT, la préfecture de Seine-Maritime avait accepté de discuter de la régularisation administrative de cinq d'entre-eux. Pour cela, ils devaient présenter un dossier de régularisation, composée d'un contrat de travail et d'une demande d'autorisation de la part de l'un de leur employeurs.
Cette démarche est impossible à effectuer pour les salariés qui ont travaillé exclusivement pour Lumina Services, cette dernière refusant toujours de leur délivrer ces précieux documents. Consciente de cette impasse, la préfecture de Seine-Maritime a accédé à la demande de la CGT de s'affranchir de ces autorisations de travail pour les demandes de régularisation de ces cas bien particuliers.
"Des premiers de corvées sanctionnés"
Incompréhension et étonnement, lorsque, le 15 mai dernier, deux de ces anciens livreurs ont appris qu'une OQTF était délivrée à leur encontre. Rien ne semble justifier pourquoi ils ne bénéficient pas du même traitement que deux autres de leurs collègues, qui eux ont reçu une autorisation de travail.
Au moment de la rédaction de cet article, la préfecture de Seine-Maritime n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations. De son côté, la CGT ne compte pas abandonner. Pour le syndicat, "cette affaire est un conflit du travail" qui dépasse le cas personnel de ces travailleurs en situation irrégulière.
Nous sommes choqués, qu'ignorant encore si des poursuites vont être engagées contre Lumina et Amazon, d'apprendre que deux des livreurs qui ont dénoncé cette situation soient "sanctionnés" d'une OQTF. Que la préfecture prenne en compte l'ensemble du parcours individuel des livreurs est une chose, qu'elle en oublie le conflit social est inacceptable.
Commmuniqué de presse - UD CGT 76
Pour Pierre Louvard, représentant syndical CGT en charge du dossier, ces travailleurs sans-papiers qu'il appelle des "premiers de corvées" sont doublement victimes du système qu'ils ont voulu combattre. En voulant dénoncer des conditions illégales de travail d'un "sous-traitant délinquant" pour défendre les droits de travailleurs et combattre le dumping social, ils écopent d'une obligation à quitter le territoire français.
Accompagnés de leur avocate, ces anciens livreurs représentés par la CGT ont déposé un recours au Tribunal administratif de Rouen. Une mobilisation de soutien à leur égard est prévue à 11h50 le 6 juin 2023 devant le Tribunal administratif de Rouen.