Le cimetière Saint-Sever compte près de 12 000 stèles, dont une très large partie de tombes de militaires du Commonwealth morts durant la Première Guerre mondiale. La reine Elizabeth II et son mari le prince Philippe s’y étaient recueillis lors de leur visite à Rouen en 1972
Ce qui frappe en premier lieu c’est l’immensité du cimetière. Des sépultures à perte de vue. Près de 12 000 tombes réparties sur plus de 6 hectares.
Des monuments d’un blanc immaculé presque tous identiques auxquels Paul Le Trévier a consacré un ouvrage « Le jardin aux 12 000 pierres ».
Depuis une douzaine d’années, l’historien s’est passionné pour ce lieu. Pour mieux comprendre l’histoire individuelle derrière chacune des 11 769 sépultures, il a photographié chaque stèle et a ainsi constitué une base de données. Grâce aux registres militaires et aux journaux de l’époque, il est même parvenu à contacter la famille de certains défunts.
Rouen, base arrière des troupes britanniques
Pour comprendre pourquoi autant de britanniques ont été enterrés ici, il faut remonter le temps jusqu’à la Première Guerre mondiale.
« Dès août 1914, les britanniques ont voulu tirer parti des infrastructures portuaires et ferroviaires de Rouen. C’était une ville très accessible par la mer puisque son port permettait à des bateaux hauturiers d’accoster sur place. Ils pouvaient donc débarquer du matériel et aussi mettre en place des évacuations sanitaires pour un certain nombre de blessés ».
Rouen devient l’une des principales bases logistiques britanniques des camps, des hôpitaux et un dépôt de ravitaillement sont installés au sud-est de la ville.
Rouen, une ville-hôpital
Alors que Rouen compte 100 000 habitants, 50 000 britanniques sont cantonnés ici durant la Première Guerre mondiale, des infirmières, des médecins, des boulangers, des religieux, des chauffeurs, des palefreniers. « Rouen était presque devenue bilingue » explique Paul Le Trévier.
Au champ de courses – actuel hippodrome des Bruyères- jusqu’à 16 hôpitaux militaires vont coexister à Rouen entre 1914 et 1918 pour une capacité totale de 14 000 lits. Les soldats revenus blessés du front y sont soignés. Beaucoup meurent et sont donc enterrés au cimetière Saint-Sever situé tout à côté.
« En juillet 1916, l’offensive de la Somme va tout changer. Un afflux très important de blessés arrive à Rouen. Les britanniques décident alors de faire l’acquisition de prairies à proximité du premier cimetière et créent une extension qui compte désormais pas loin de 8000 tombes » explique l’historien.
Près de trente nationalités
Tout au long de son travail, Paul Le Trévier a recensé près de 30 nationalités : « le cimetière donne un visage de ce qu’était le Commonwealth au début du XX ème siècle. Il y a ici des Australiens, des Néo-Zélandais, des Indiens, des Sud-Africains… »
Mais comme il ne s’agit pas d’un cimetière situé sur la ligne de front, il compte aussi les stèles de civils morts d’accident ou de maladie. La présence de quelques rares femmes, notamment des infirmières et des volontaires, est à noter, comme Louisa Riggal.
« Elle était infirmière dans l’hôpital australien situé à proximité du cimetière » explique l’auteur « Comme elle avait étudié pendant 2 ans en France, elle parlait presque couramment notre langue. Arrivée à Rouen en 1916, elle joue un rôle déterminant dans l’organisation médicale de la ville. Elle coordonne les actions des médecins militaires britanniques installés ici et des autorités médicales françaises ».
Plus tard, aux stèles de 14-18, s’ajouteront celles des soldats anglais morts près de Rouen durant la Seconde guerre mondiale. Tout particulièrement celles des soldats canadiens blessés lors de l’opération Jubilée à Dieppe le 19 août 1942 et soignés à Rouen.
L’hommage royal
Le 20 mai 1972, la reine Elizabeth II et le prince Philip visitent Rouen lors de leur deuxième voyage officiel en France. Comme le montrent les images de l’époque, ils sont accueillis à la gare par le premier ministre Jacques Chaban Delmas, le préfet de région et le sénateur maire Jean Lecanuet. Après un passage en voiture place du Vieux marché, le couple royal se rend au cimetière de Saint-Sever pour un hommage. Le cortège rejoint ensuite le yacht royal " Britannia " à bord duquel la reine quitte le port.
Devenu territoire britannique en 1921, le cimetière militaire Saint-Sever est aujourd’hui entretenu par les jardiniers du Commonwealth War Graves Commission. Une commémoration est organisée chaque année le 11 novembre. Il est le plus grand cimetière britannique de France.